La bosse des maths n’existe pas

Clémence Perronnet
Éditions Autrement 2021
ISBN 978-2-7467-5573-4
269 pages, 19 €

© APMEP Septembre 2022 

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Une étude de l’OCDE montre que les jeunes Français ne sont pas égaux face aux mathématiques, sans que soient en cause d’hypothétiques « dons » (la fameuse bosse des maths). L’OCDE établit que les inégalités face aux mathématiques sont d’abord sociales et avance comme principaux facteurs, une moindre exposition aux mathématiques pour les élèves défavorisés, la constitution de classes de niveaux et l’orientation.

Clémence Perronnet s’attaque dans son ouvrage à cette supposée neutralité sociale des sciences. De nombreuses études ont été publiées concernant la sous-représentation des femmes dans les professions scientifiques alors qu’au lycée, les filles sont globalement meilleures élèves que les garçons. Mais peu sont consacrées à la sous-représentation des personnes issues des classes populaires ou de minorités ethno-racisées.

La problématique étudiée par l’auteure est donc la suivante : pourquoi les filles, les personnes issues des classes populaires et les minorités ethno-racisées sont-elles à ce point sous-représentées en sciences ?

Dans un premier temps, l’auteure consacre cinq chapitres à étudier comment les sciences excluent (Sciences et inégalités ; Quand les sciences sont hors champ ; Les sciences, une affaire de famille ; Scientifiques en herbe… à l’école et Les exclus-es des sciences, puis elle formule, dans un sixième et dernier chapitre (Agir pour l’égalité en sciences), des propositions pour des sciences inclusives.

Les sciences sont souvent présentées, par opposition aux matières littéraires, comme un très bon ascenseur social permettant aux individus les plus performants d’accéder à un niveau élevé de la pyramide sociale. Pour comprendre cette puissance des disciplines scientifiques, il faut remonter à la fondation de l’école républicaine, à la fin du XIXe siècle. On a alors considéré que les disciplines scientifiques étaient moins discriminantes socialement que les humanités et que cela favoriserait l’augmentation du niveau scolaire de la population, tout en luttant contre l’obscurantisme dans les campagnes.

L’auteure explore quelques pistes : existerait-il un fondement biologique aux inégalités devant les sciences ? Est-ce une affaire de goût ?

Elle a suivi, entre 2013 et 2017, une cohorte d’une cinquantaine d’élèves vivant dans de grands ensembles de logements sociaux, scolarisés dans des établissements REP+ et dont la plupart avait un parent immigré de première génération. Son but était alors de comprendre par quels mécanismes le statut économique et social des familles entrave la pratique des sciences.

La première hypothèse de l’auteure est que les sciences ne se limitent pas à un ensemble de connaissances mais sont aussi une culture. Or, souvent, pour ces familles, face à la nécessité, la culture, fut-elle scientifique, demeure un luxe et reste hors champ.

Quel est alors le rôle de la famille dans l’appétence pour les sciences ? Cette partie, étayée par de nombreux témoignages, est particulièrement intéressante et remet en cause certaines idées communément admises.

Quel est le rôle du milieu scolaire dans le rapport aux sciences ? Effet établissement ? Effet classe ? Effet enseignant ? Même si, sur le papier, l’Éducation Nationale garantit l’égalité des chances…

Il semble aussi que l’école élémentaire et même maternelle donne un certain goût des sciences aux élèves (expériences, classes à thème comme une classe d’astronomie, etc.) mais que ce goût tend à disparaître avec l’entrée au collège. D’après une enquête TIMMS, 49% des enfants de CM1 aiment beaucoup les mathématiques et seulement 15 % pas du tout. En 4e, ce sont 11 % des collégiens qui les aiment beaucoup et 46 % plus du tout ! Il semblerait qu’à ce niveau, un bon nombre d’élèves se sentent déjà rejetés par le système scolaire et montrent ainsi leur résistance à une domination scolaire non consentie.

On est donc amené à se demander : pour qui sont faites les sciences et qui peut faire des sciences aux yeux de ces élèves ?

Les enfants des classes populaires considèrent qu’en théorie, tout le monde peut faire des sciences mais, dans la pratique, ils associent plutôt les sciences au masculin :

  • Les représentations médiatiques des scientifiques sont majoritairement masculines (l’auteure fournit à ce sujet nombre de statistiques éclairantes) et, si les femmes sont peu représentées, les enfants avancent une hypothèse de goûts sexués : les femmes ne seraient pas naturellement attirées par les sciences.

  • Si les élèves associent ainsi spontanément les sciences au masculin, c’est parce que leur environnement (médias, fictions TV, littérature scientifique, etc.) les influence en ce sens. Même une grande scientifique comme Marie Curie est, dans certains documents, présentée comme la collaboratrice de son mari, alors que c’est l’unique scientifique à avoir eu deux fois le prix Nobel, dans deux disciplines différentes : physique en 1903 et chimie en 1911.

Se crée ainsi dans l’esprit de ces élèves, l’idée que le scientifique est un homme blanc venant d’un milieu favorisé socialement et ce type de représentation les conduit à se censurer dans leurs ambitions : les scientifiques, ce sont les autres !

Après ce très long constat (197 pages sur 255) vient enfin le moment de se demander ce que l’on peut faire pour rendre les sciences plus égalitaires et inclusives. Le premier point souligné par l’auteure est le fait que nous sommes tous concernés par ces actions à mener : que ce soit comme parent, professeur, médiateur scientifique, professionnel des sciences ou même simple amateur. De nombreuses associations se sont déjà mobilisées : Femmes et mathématiques ; Femmes et sciences ; Femmes Ingénieures. Cependant on notera qu’il s’agit là de lutter uniquement contre les discrimination liées au genre ; l’auteure ne cite aucune association ayant entrepris le même travail en faveur des classes populaires ou des populations ethno-racisées.

Il faut cependant se méfier d’un certain nombre d’écueils qui peuvent conduire à des actions contre-productives : ne montrer que des exemples de femmes scientifiques de très haut niveau peut laisser entendre qu’à moins d’être une femme d’exception, on n’a aucune chance de faire une carrière scientifique.

Ce dernier chapitre laisse un peu sur sa faim ; certes les propositions sont classiques : faire un état des lieux ; clarifier les enjeux et identifier les causes, pratiquer l’inclusion, etc. mais au vu des chapitres précédents, sans doute attendait-on des solutions plus innovantes.

Cependant, l’étude approfondie faite par l’auteure de l’état des lieux de ces discriminations ne pourra qu’aider les enseignants (et les parents !) à prendre conscience de leur rôle bien involontaire dans cette situation d’exclusion qui perdure. En ce sens, la lecture de ce livre est fortement conseillée à tous les membres de la communauté éducative.

Bénédicte Bourgeois

Pour citer cet article : Bourgeois B., « La bosse des maths n’existe pas », in APMEP Au fil des maths. N° 545. 10 février 2022, https://afdm.apmep.fr/rubriques/temps/la-bosse-des-maths-nexiste-pas/.

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