Utiliser ou démontrer une implication

Dans ce premier article, Zoé Mesnil nous présente trois activités qui permettent de travailler l’implication dans des contextes non mathématiques et qui abordent des schémas de raisonnement valides en rapport avec les erreurs des élèves dans des démonstrations. Elle approfondira cette réflexion sur la compétence Raisonner et sur la démonstration dans un prochain article qui mobilisera des connaissances mathématiques sur la logique.

Zoé Mesnil

© APMEP Décembre 2021

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Beaucoup des théorèmes que nous fréquentons en mathématiques peuvent s’écrire sous la forme d’une implication « si … alors … ». J’utilise volontairement pour l’instant une formulation avec l’expression « si … alors … » qui est également utilisée dans le langage courant (même s’il est en fait plus fréquent de dire seulement « si … »), plutôt qu’une formulation avec le terme « implique », plus utilisé en mathématiques, ou même le symbole \(\implies\), qui est un symbole mathématique (mais dont l’utilisation sort parfois de ce contexte…), notamment parce que je fais l’hypothèse (mais sans étude exhaustive à l’appui) que c’est la première forme « si … alors … » que les élèves vont rencontrer.

Deux tâches sont associées à un tel théorème : l’utiliser, le démontrer. Celles et ceux qui ont fréquenté les mathématiques dans l’enseignement supérieur, avec leur présentation plus axiomatique que dans l’enseignement secondaire, feront peut-être remarquer que généralement, il s’agit plutôt de le démontrer puis de l’utiliser. Et bien sûr, je me suis posé la question de l’ordre de ces deux tâches, et ayant moi-même fréquenté les mathématiques à l’université, l’ordre démontrer-utiliser me vient très naturellement. Cependant, lorsque les élèves rencontrent les premiers théorèmes au collège, ils ne sont pas tous démontrés, et l’accent est d’abord mis sur la façon de les utiliser.

Comment utilise-t-on un théorème qui se présente sous la forme « si A alors B » ? Très tôt les enfants savent faire une inférence correcte à partir de phrases ayant cette forme : ils savent que munis d’une telle affirmation, à partir du constat que A est réalisé, ils peuvent affirmer que B est réalisé. Là encore, j’utilise un vocabulaire du langage courant, car c’est généralement dans de tels contextes que sont rencontrés les premiers énoncés en « si … alors … ». Par exemple, l’enfant à qui on dit « si tu prends un bonbon avant le déjeuner, tu ne pourras pas en prendre un autre après le déjeuner » ne s’étonnera pas qu’on lui refuse un bonbon après le déjeuner s’il fait le choix d’en manger un avant. Il pourrait en revanche (légitimement !) s’étonner qu’on lui refuse un bonbon après le déjeuner alors qu’il n’en a pas pris avant. Son étonnement est parfois mis sur le compte d’une mauvaise maîtrise de la logique : il a confondu ce qu’on lui disait avec « si tu ne prends pas de bonbon avant le déjeuner, tu pourras en prendre un après le déjeuner », que l’on pourrait assimiler à la contraposée de la réciproque du premier énoncé (je reste prudente, car ces énoncés de la vie courante ne se formalisent pas si automatiquement sous forme d’implication, et il y a notamment ici un problème de temporalité difficile à prendre en compte avec une implication mathématique). Or, nous savons bien qu’une implication et sa réciproque (et donc a fortiori la contraposée de sa réciproque) ne sont pas équivalentes, ce n’est pas parce que l’une est vraie que l’autre est vraie. Mais ici, je ne pense vraiment pas que cet enfant fasse une erreur de logique : manifestement, il est dans une situation où il lui est reconnu le droit d’avoir un bonbon, la question est de savoir quand, sachant qu’il n’a droit qu’à un seul bonbon. Son raisonnement l’amenant à considérer légitime d’avoir un bonbon après le déjeuner alors qu’il y a renoncé avant le déjeuner, basé sur ces axiomes là, est alors tout à fait correct. Bien sûr, cet exemple d’un enfant qui raisonne correctement n’a pas pour but de nier les nombreuses erreurs que nous trouvons dans les productions de nos élèves ou étudiants, et je reviendrai dans la suite de ce texte sur les difficultés qu’ils rencontrent dans l’utilisation d’une implication.

Comment démontre t-on un théorème qui se présente sous la forme « si A alors B » ? Difficile de trouver un exemple d’activité de la vie courante qui se rapproche de cette tâche : j’entends ici « démontrer » au sens de Balacheff [1] qui appelle « démonstration » une preuve acceptée par la communauté mathématique, parce qu’elle respecte une forme particulière. Démontrer une implication est donc une activité typique des mathématiques, et l’apprendre se fait de façon très progressive.

Dans cette première partie, je présenterai trois activités, Les cosmonautes, La tâche de Wason et Les jetons, qui permettent de travailler sur l’implication dans des contextes non mathématiques. Les trois activités présentées sont déjà l’objet de plusieurs publications. Je n’en dirai pas grand chose de nouveau, mais je tâcherai de montrer comment on peut construire des connaissances sur l’implication de façon progressive à partir de leur étude en classe.

Dans une deuxième partie, je proposerai un regard plus théorique sur l’implication : comment est-elle définie au sein de la logique mathématique, comment la logique mathématique décrit-elle ces deux tâches que sont utiliser et démontrer une implication ?

Les cosmonautes

L’activité Les cosmonautes est présentée en 1983 dans un article de Marc Legrand [2], l’énoncé est le suivant :

Les cosmonautes

Une réunion de cosmonautes du monde entier a lieu à Paris. Les cosmonautes américains portent tous une chemise rouge.

Question 1.

À l’aéroport, on voit quelqu’un qui porte une chemise rouge. Est-il cosmonaute américain ?

oui
non
on ne peut pas savoir
Question 2.

À côté de lui, il y a quelqu’un qui porte une chemise blanche. Est-il cosmonaute américain ?

oui
non
on ne peut pas savoir
Question 3.

Le haut-parleur annonce l’arrivée d’un cosmonaute russe. Porte-t-il une chemise rouge ?

oui
non
on ne peut pas savoir
Question 4.

Dans le hall, on voit un cosmonaute américain en manteau. Porte-t-il une chemise rouge ?

oui
non
on ne peut pas savoir

Figure 1. Énoncé de l’activité Les cosmonautes, Marc Legrand.

Dans un article plus récent, Céline Murphy et Steve Weima relatent leur mise en œuvre de cette activité dans leur classe de Seconde [3]. Leur choix a été de dire seulement oralement qu’il était possible de répondre Oui, Non ou On ne peut pas savoir. Que ce soit fait à l’oral ou à l’écrit n’est pas très important, en revanche, il est effectivement nécessaire de dire aux élèves que la réponse « On ne peut pas savoir » est possible, et éventuellement correcte, car c’est assez inhabituel pour elles et eux de répondre autre chose que oui ou non.

Il est très important dans la mise en œuvre de cette activité de prévoir un temps de débat : plusieurs réponses peuvent être proposées, qui différent généralement non pas parce que certains font des erreurs de raisonnement, mais parce que le contexte n’est pas interprété de la même façon. Par exemple, il est fréquent que des élèves interprètent l’information donnée sur la couleur de la chemise comme étant caractéristique de la nationalité, non pas parce qu’ils confondent implication et équivalence, mais parce qu’il est raisonnable de penser que si on nous parle de la couleur des chemises, c’est qu’elle sert à distinguer les nationalités. Une telle interprétation amène à répondre Oui, Non, Non, Oui. D’autres peuvent considérer que l’information concerne la chemise portée à la réunion, et non la tenue portée à l’aéroport, qui n’est donc pas contrainte. Une telle interprétation amène à répondre On ne peut pas savoir aux quatre questions.

La logique mathématique permet de modéliser différentes interprétations : considérons l’ensemble \(E\) des personnes présentes à l’aéroport (\(E\) peut ne comporter que des cosmonautes ou pas), en ne prenant en compte que la seule information donnée dans le texte de l’activité, on sait alors seulement que « pour tout \(t\in E\), si \(t\) est un cosmonaute américain, alors \(t\) porte une chemise rouge ». Nous voyons qu’ici nous n’avons pas seulement une implication « si A alors B », mais une implication universellement quantifiée. Je le souligne car cette quantification universelle est souvent implicite, ce qui éventuellement amène des incompréhensions quand il s’agit de dire si une implication est vraie ou fausse (voir les débats relatés dans [4]). Penser que la couleur de la chemise est caractéristique de la nationalité, c’est considérer que « pour tout \(t \in E\), \(t\) est un cosmonaute américain si et seulement si \(t\) porte une chemise rouge ». Il est bien sûr possible de formuler ces énoncés sans variable, comme cela est fait dans le texte de l’activité. Par exemple pour l’implication nous pourrions dire « Quelle que soit la personne croisée à l’aéroport, si cette personne est un cosmonaute américain, alors elle porte une chemise rouge ». Mais nous sentons bien alors qu’expliciter la quantification universelle n’est pas du tout usuel dans une telle formulation, et nous dirions en fait seulement « Si une personne croisée à l’aéroport est un cosmonaute américain, alors elle porte une chemise rouge », formulation dans laquelle la quantification est implicite, sous-entendue dans l’expression « si une personne ».

Un parallèle peut-être fait avec des énoncés mathématiques : par exemple, l’énoncé « quels que soient les points \(\mathsf{A}\), \(\mathsf{B}\) et \(\mathsf{M}\) du plan, si \(\mathsf{M}\) est le milieu de \([\mathsf{AB}]\) alors \(\mathsf{MA}=\mathsf{MB}\) » est une implication (vraie), alors que l’énoncé « quels que soient les points \(\mathsf{A}\), \(\mathsf{B}\) et \(\mathsf{M}\) du plan, \(\mathsf{M}\) appartient à la médiatrice de \([\mathsf{AB}]\) si et seulement si \(\mathsf{MA}=\mathsf{MB}\) » est une équivalence (là encore vraie). On pourrait écrire une équivalence dans le premier cas, mais elle serait fausse (car la réciproque est fausse). On pourrait écrire seulement une implication dans le deuxième cas, elle serait vraie.

L’activité Les cosmonautes permet de faire une synthèse sur « Comment utiliser une implication ? » : quand on a une implication « pour tout \(t \in E\), si \(t\) vérifie la propriété A alors \(t\) vérifie la propriété B » (on peut aussi écrire « pour tout \(t \in E\), si \(\text{A}[t]\) alors \(\text{B}[t]\) »), alors :

  • si un élément \(p\) de \(E\) vérifie A, je peux en déduire que \(p\) vérifie B ;

  • si un élément \(p\) de \(E\) ne vérifie pas B, je peux en déduire que \(p\) ne vérifie pas A ;

  • si un élément \(p\) de E vérifie B, je ne peux rien en déduire concernant A ;

  • si un élément \(p\) de E ne vérifie pas A, je ne peux rien en déduire concernant B.

Une telle synthèse peut être réinvestie avec des exercices où l’on demande si des raisonnements très simples sont corrects (à titre d’exemple, voici une version avec une implication, il est bien sûr possible de proposer des variations avec une équivalence1) :

On sait que la propriété suivante est vraie :

Pour tout quadrilatère Q,

si Q est un losange, alors les diagonales de Q sont perpendiculaires.

R désigne un quadrilatère. Les raisonnements suivants sont-ils corrects ?

  1. R a ses diagonales perpendiculaires donc R est un losange.

  2. R est un losange donc les diagonales de R sont perpendiculaires.

  3. Les diagonales de R ne sont pas perpendiculaires, donc R n’est pas un losange.

  4. R n’est pas un losange, donc les diagonales de R ne sont pas perpendiculaires.

Figure 2. Exemple d’exercice pour réinvestir les connaissances sur l’utilisation d’une implication.

Notons pour terminer avec cette activité qu’il est proposé ici deux schémas de raisonnement valides pour utiliser une implication. Le deuxième a bien sûr un lien avec la contraposée d’une implication, mais on peut le décrire, et le justifier, sans parler de contraposée. Ainsi, quand par exemple nous énonçons la partie « directe » du théorème de Pythagore, il est déjà possible de l’utiliser pour conclure dans deux situations : celles où on veut calculer une longueur manquante dans un triangle rectangle, mais aussi dans le cas où l’égalité entre le carré de la longueur du plus grand côté et la somme des carrés des longueurs des deux autres côtés n’est pas vérifiée. Souvent, ce deuxième type de situations est abordée seulement lorsque la réciproque a été établie ; on se retrouve alors avec une situation plus globale, déterminer si un triangle dont on connaît les longueurs des côtés est rectangle ou non, et nous constatons qu’il est souvent difficile pour les élèves de distinguer s’ils utilisent le théorème direct ou la réciproque. Travailler de façon séparée dans le temps sur les deux raisonnements que permettent de faire le théorème direct, puis sur le raisonnement2 que permet de faire la réciproque peut aider à comprendre cette distinction.

La tâche de Wason

La tâche de Wason est très célèbre dans les études de psychologie3. La voici dans sa version standard :

Tâche de Wason (version standard)

Quatre cartes comportant un chiffre sur une face et une lettre sur l’autre, sont disposées à plat sur une table. Une seule face de chaque carte est visible. Les faces visibles sont les suivantes : D, 7, 5, K. Quelle(s) carte(s) devez-vous retourner pour déterminer la véracité de la règle suivante : Si une carte a un D sur une face, alors elle porte un 5 sur l’autre face. Il ne faut pas retourner de carte inutilement, ni oublier d’en retourner une.

Figure 3. Tâche de Wason.

En voici une version légèrement différente proposée par le groupe « Logique, raisonnements mathématiques et Situations de Recherche pour la Classe (SiRC) » de l’IREM de Grenoble :

Tâche de Wason (IREM de Grenoble)

On présente quatre cartes sur lesquelles sont écrits respectivement A, B, 4 et 7. On sait que sur chaque carte, il y a une lettre sur une des faces et un nombre sur l’autre face. On ne peut pas voir l’autre face.

Quelle(s) carte(s) au plus devez-vous retourner pour déterminer si l’affirmation suivante est vraie ou fausse : « Si une de ces cartes a une voyelle écrite sur une face, alors il y a un nombre pair écrit sur l’autre face » ?

Figure 4. Tâche de Wason, IREM de Grenoble.

Notons que dans ces deux formulations, la quantification universelle de l’implication est implicite (il y a bien une quantification universelle, même si elle ne porte que sur les quatre éléments de l’ensemble des cartes …). Dans les deux cas, elle est associée à la formulation en « si … alors … », comme c’est très souvent le cas. Dans la première formulation, la notion de « règle » renforce cette idée de quantification universelle : une règle, c’est quelque chose qui est toujours vrai. Cette quantification ne serait pas très difficile à rétablir, par exemple on pourrait considérer plutôt l’affirmation : « quelle que soit la carte considérée, si il y a une voyelle écrite sur une face, alors il y a un nombre pair sur l’autre face ».

Environ 80 % des gens se trompent à cette tâche : beaucoup choisissent de retourner la carte avec un D (un A dans le deuxième cas), une partie oublient la carte 7, et un grand nombre choisit la carte 5 (4 dans le deuxième cas).

Dans le débat que vont amener les désaccords au sein de la classe, l’enseignant peut introduire la notion de contre-exemple en demandant comment devrait être une carte pour prouver que la règle n’est pas vraie. On peut alors établir que la seule façon de prouver qu’une implication « pour tout \(t \in E\), si \(\text{A}[t]\) alors \(\text{B}[t]\) » est fausse, c’est de trouver un élément \(a \in E\) tel que \(\text{A}[a]\) est vraie, mais \(\text{B}[a]\) est fausse. À partir de la Première, il est intéressant de faire le lien entre contre-exemple et négation : un contre-exemple, c’est un élément qui permet de montrer que la négation de l’implication, qui est « il existe \(t \in E\) tel que \(\text{A}[t]\) et \(\text{NON(B)}[t]\) », est vraie. On peut faire le lien avec une propriété déjà utilisée : « quels que soient les points \(\mathsf{A}\), \(\mathsf{B}\) et \(\mathsf{M}\) du plan, si \(\mathsf{M}\) est le milieu de \([\mathsf{AB}]\) alors \(\mathsf{MA}=\mathsf{MB}\) », et lister qu’on peut bien rencontrer trois situations : \(\mathsf{M}\) milieu de \([\mathsf{AB}]\) et \(\mathsf{MA}=\mathsf{MB}\), \(\mathsf{M}\) non milieu de \([\mathsf{AB}]\) et \(\mathsf{MA}=\mathsf{MB}\), \(\mathsf{M}\) non milieu de \([\mathsf{AB}]\) et \(\mathsf{MA}\neq\mathsf{MB}\). La seule situation impossible est \(\mathsf{M}\) milieu de \([\mathsf{AB}]\) et \(\mathsf{MA}\neq\mathsf{MB}\).

Contrairement à l’activité Les cosmonautes, cette activité ne concerne pas la façon d’utiliser une implication, mais plutôt la question de la véracité ou non d’une implication. Bien sûr, un lien peut-être fait : si la règle est vraie, alors je peux affirmer qu’une carte qui a un D sur une face a un 5 sur l’autre face, mais je ne peux rien affirmer d’une carte qui porte un K. La retourner ne me donne alors aucune information sur la véracité de la règle.

Les éléments à institutionnaliser suite à cette activité dépendent bien sûr du niveau de la classe. Cela peut aller de l’énoncé de la seule règle du contre-exemple pour une implication universellement quantifiée, à l’étude plus globale des cas de vérité d’une implication, et à la négation d’une implication.

Les jetons

Dans les stages de formation continue proposés par le groupe Logique de l’IREM de Paris, nous avons chaque année depuis 2010 proposé l’activité Les jetons, et elle a souvent du succès. La voici dans sa version « classique » :

Activité

On dispose de trois formes en bois :

un disque, un carré \(\blacksquare\) et un triangle \(\blacktriangle\)

On sait que l’une des formes est rouge, une autre bleue, et une autre jaune.

Voici trois affirmations qui concernent ces pièces :

  1. si le carré est bleu, alors le disque est jaune ;

  2. si le carré est jaune, alors le disque est rouge ;

  3. si le disque n’est pas bleu, alors le triangle est jaune.

Quelle est la couleur de chaque pièce ?

Figure 5. Activité Les jetons.

Une remarque sur la question posée : dans cette version, c’est une question fermée, qui sous-entend qu’il est possible de déterminer la couleur de chaque pièce, c’est-à-dire qu’il existe une et une seule combinaison vérifiant les trois affirmations. Il est possible de proposer une question plus ouverte, ou d’avoir des variantes qui ont plusieurs solutions ou aucune4.

Deux stratégies sont couramment mises en œuvre, la première plus fréquemment :

  • faire une hypothèse sur une pièce, puis se servir des implications pour déduire la couleur des autres pièces. Pour que cela fonctionne, il faut bien sûr supposer que l’une des pièces est d’une couleur telle qu’une des prémisses d’une implication soit vérifiée, et généralement, on commence par supposer le carré bleu (prémisse de la première implication), puis constatant que cela mène à une contradiction (car alors le disque est jaune, à cause de l’affirmation 1, et le triangle aussi, à cause de l’affirmation 3), on suppose alors le carré jaune, ce qui mène également à une contradiction. Arrivés à ce stade, certains (rares) élèves n’envisagent pas de combinaison avec un carré rouge, car elle n’est pas mentionnée dans les affirmations, et concluent qu’il n’y a pas de solution. On peut alors reprendre un exemple de la vie courante pour rappeler qu’une implication ne dit pas que la prémisse est vraie : on peut dire « si j’ai 40° de fièvre je ne viens pas à l’école » sans avoir de fièvre. Mais le plus souvent, les élèves continuent en affirmant que le carré est rouge. Notons que cette formulation est incorrecte, sauf à considérer a priori qu’il y a bien une solution (ce que suppose la formulation de la question…) : à ce stade, nous ne pouvons que conclure que le carré ne peut être que rouge. L’affirmation 3 empêche alors la combinaison avec disque jaune, et on aboutit bien à une seule combinaison possible, carré rouge, disque bleu et triangle jaune, dont il faut vérifier qu’elle est effectivement solution, ce qui est le cas (les implications sont vraies car toutes les prémisses sont fausses !).

  • La deuxième stratégie consiste à établir la liste des six combinaisons possibles, et à vérifier une par une si elles satisfont ou non les trois affirmations.

Avec la première stratégie, les élèves réinvestissent les schémas de raisonnement listés précédemment dans l’activité Les cosmonautes, surtout le premier. On voit souvent apparaître des schémas incorrects, notamment déduire la prémisse à partir de la conclusion, ce qui est l’occasion de rappeler que ce n’est pas valide. Avec la deuxième stratégie, les élèves réinvestissent les connaissances sur les conditions de vérité d’une implication, qui ont pu être établies suite à l’activité La tâche de Wason. Avec cette stratégie, les erreurs viennent le plus souvent du fait que les élèves ne listent pas correctement les six possibilités. La première stratégie permet de conclure de façon assez rapide dans cette première version où il n’y a qu’une seule combinaison possible. Les versions avec plusieurs solutions sont propices à développer la deuxième stratégie, car avec la première stratégie, des combinaisons pourraient être oubliées.

Conclusion

Les trois activités présentées ici peuvent être proposées dès la fin du collège, et jusqu’au début de l’enseignement supérieur. Les connaissances institutionnalisées à l’issue de ces activités, et bien sûr le niveau de formalisation de ces connaissances, dépendent du niveau de la classe. Ces activités permettent d’aborder les schémas de raisonnement valides à partir d’une implication, la notion de contre-exemple, éventuellement de hors-sujet (un hors-sujet est un élément qui ne vérifie pas la prémisse de l’implication [5]), les conditions de vérité d’une implication, éventuellement la négation d’une implication.

Nous avons déjà vu dans la présentation des activités comment des liens pouvaient être faits avec des exemples pris dans un contexte mathématique. La synthèse sur les schémas de raisonnement (voir p 60) peut être utilisée pour reprendre les erreurs des élèves dans les démonstrations, que l’erreur soit que l’élève ne vérifie pas les conditions d’utilisation des deux premiers schémas, ou que l’on soit face à un élève qui conclut dans l’un des deux derniers cas. « Comment démontrer une implication » n’est pas une tâche directement abordée dans ces trois activités, mais connaître les conditions de vérité d’une implication aide à justifier comment on la démontre : puisque de toutes façons l’implication est vraie quand la prémisse est fausse, la seule chose à faire est de vérifier que lorsque l’on suppose la prémisse vraie, la conclusion l’est aussi. Au-delà de cette justification, deux gestes permettent d’acculturer les élèves à la structure de la démonstration d’une implication :

  • le premier consiste à souligner cette structure lorsque des démonstrations sont faites collectivement (à partir de productions d’élèves, ou par le professeur), avec un discours méta du type « je veux démontrer que pour tout \(t \in E\), si \(\text{A}[t]\) alors \(\text{B}[t]\), pour cela, on considère un élément \(t\) de \(E\), on suppose que \(\text{A}[t]\) est vraie et on montre \(\text{B}[t]\) », et éventuellement une utilisation de surlignages et de couleurs pour identifier quelles formulations dans la démonstration sont en lien avec quels éléments de l’implication à démontrer.

  • Le deuxième consiste à reprendre sous forme d’implication ce qui a été démontré dans un exercice, par exemple si l’on demande de construire un quadrilatère \(\mathsf{ABCD}\) tel que les angles \(\widehat{\mathsf{A}}\) et \(\widehat{\mathsf{C}}\) sont droits, et que l’on demande ensuite de montrer que les quatre points se trouvent sur un même cercle, on aura en fait montré que les sommets de tout quadrilatère qui a deux angles opposés droits sont sur un même cercle, ou encore que quel que soit le quadrilatère \(Q\), si \(Q\) a deux angles opposés droits, alors les sommets de \(Q\) sont sur un même cercle.

Bien sûr, ces activités ne suffiront pas pour venir à bout des erreurs des élèves ! Comprendre ce qu’est une implication, savoir les utiliser, savoir les démontrer sont des compétences qui s’acquièrent avec beaucoup de pratique, accompagnée par le discours de l’enseignant. Pour cela, il est indispensable que celui-ci ait les idées claires : c’est l’objet de la seconde partie à venir de cet article qui reprendra des connaissances théoriques sur l’implication.

Références

  • [1] N. Balacheff. « Processus de preuve et situations de validation ». In : Educational Studies in Mathematics n° 18 (1987). , pp. 147-176.

  • [2] M. Legrand. « Les cosmonautes ». In : Petit x n° 1 (1983). , pp. 57-73.

  • [3] C. Murphy, S. Weima et V. Durand-Guerrier. « Des activités pour favoriser l’apprentissage de la logique en classe de Seconde ». In : Petit x n° 100 (2016). , pp. 7- 34.

  • [4] C. Hache et E. Forgeoux. « Vrai ou faux ? Parlons-en ! » In : Au fil des maths n° 528 (2018). .

  • [5] M. Gandit et M.-C. Massé-Demongeot. Le vrai et le faux au collège et au lycée. IREM de Grenoble, 1996.

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Zoé Mesnil est maîtresse de conférences en mathématiques à l’université de Paris et membre du Laboratoire de Didactique André Revuz.


  1. On peut éventuellement utiliser des propriétés qui ne sont pas connues des élèves.↩︎

  2. La réciproque permet aussi de faire un raisonnement de la forme « le triangle n’est pas rectangle donc il n’y a pas égalité », mais de fait, nous proposons rarement aux élèves de l’appliquer !↩︎

  3. Voir Wikipedia : .↩︎

  4. Voir d’autres versions sur le site du groupe Logique : .↩︎

Pour citer cet article : Mesnil Z., « Utiliser ou démontrer une implication », in APMEP Au fil des maths. N° 542. 8 février 2022, https://afdm.apmep.fr/rubriques/ouvertures/utiliser-ou-demontrer-une-implication/.