Que disent les recherches sur les manuels
« Méthode de Singapour » ?

Dans l’actualité des réformes sur l’enseignement des mathématiques, la méthode de Singapour est souvent évoquée comme une référence à suivre. L’article suivant vulgarise des résultats de la recherche sur les manuels français de la méthode de Singapour. La version numérique de l’article approfondit cette étude, en renvoyant notamment à une bibliographie scientifique complétée.

Éric Mounier et Nadine Grapin

© APMEP Juin 2019

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En France, les vingt-et-une mesures pour l’enseignement des mathématiques formulées dans le rapport Villani-Torossian (2018) visent à améliorer les connaissances des élèves en mathématiques, en particulier à l’école primaire. Il est fait référence à plusieurs endroits au « cas de Singapour », avec une section entière dédiée (pages 18 et 19), comme pouvant être source « des pratiques les plus concluantes », « des activités scolaires […] associées à la notion de plaisir » alors que « la manipulation tient une place primordiale ». Le rapport insiste sur le caractère situé des méthodes pédagogiques (culturellement et au niveau du curriculaire, les objectifs des programmes n’étant pas les mêmes qu’en France) ainsi que sur les moyens mis en place, en particulier concernant la formation des enseignants (100 h par année à Singapour pour la formation continue des enseignants du primaire contre 18 h en France). Il existe quatre manuels scolaires à Singapour agréés par le ministère de l’éducation singapourien et, pour les raisons exposées ci-avant, ceux-ci ne peuvent donc être transposés tels quels en France. Pour autant le rapport indique :

« Nous pouvons rapidement nous saisir des dispositions les plus simples et efficaces, notamment : une pédagogie explicite et systématique : l’élève est guidé de manière explicite mais non dirigiste dans son apprentissage ; des étapes d’apprentissage bien identifiées : l’étape concrète, l’étape imagée et l’étape abstraite ; les quatre opérations introduites dès le cours préparatoire, leur sens étant exploré dès la maternelle ; des stratégies efficaces de résolution de problèmes mathématiques ; une formation initiale intensive ; le développement professionnel du professeur, centré sur la didactique disciplinaire et relié à la pratique de classe. La verbalisation est centrale : dès la maternelle, le professeur encourage l’élève à raisonner à voix haute et à échanger avec les autres en mettant « un haut-parleur sur sa pensée » » (Villani & Torossian, 2018, p. 19).

Dans ce contexte, les éditions La librairie des écoles ont lancé depuis 2016 une série de manuels du CP au CM1 intitulée « Méthode de Singapour » (que nous noterons MdS), dont la directrice de collection Monica Neagoy a fait partie, en tant que formatrice, de la commission Villani-Torossian. Le site des Cahiers pédagogiques a publié des articles, alimentant une controverse sur la « Méthode de Singapour ». Il nous est alors apparu pertinent de nous pencher sur cette collection, et plus particulièrement sur l’adéquation entre les objectifs affichés par les auteurs et les contenus qui y sont proposés.

Les supports et le type de progression

La collection MdS est présentée comme une nouvelle édition d’une plus ancienne déjà éditée par La librairie des écoles (en 2007) recouvrant tous les niveaux de l’école élémentaire. Actuellement, quatre niveaux de classe sont concernés : CP (2016), CE1 (2017), CE2 (2018), CM1 (2018). Pour chacun, l’enseignant dispose d’un guide pédagogique, présentant les choix d’enseignement et prescrivant les scénarii des séances à mener au jour le jour, d’un recueil de fiches photocopiables, ainsi que de différentes ressources numériques (en ligne), en particulier du matériel à découper pour l’enseignant et l’élève. Du matériel pédagogique complémentaire est aussi en vente, matériel utilisé explicitement dans le déroulement des séances (par exemple il peut s’agir de cubes emboîtables pour le CP). L’élève dispose en outre d’un fichier sur lequel il va répondre directement aux exercices, et ceci de manière quotidienne. Le fichier est destiné à être projeté en classe et étudié avec l’enseignant (dans le cadre d’une pratique qualifiée de « pratique guidée », nous y reviendrons). Les auteurs sont professeurs de mathématiques ou professeurs des écoles, chaque unité1 est signée par son auteur. Les séances de MdS sont prévues pour une durée variable (de 40 à 90 minutes au CP, calcul mental en sus).

Si on se réfère au rapport du Cnesco (Mounier & Priolet, 2015) et à notre propre expérience, les manuels et les différents documents (fichiers, matériel pédagogique) qui les accompagnent ne tranchent pas particulièrement avec ce qui existe en France.

La collection MdS propose un découpage des apprentissages sur l’année en séquences (composées de plusieurs séances consécutives) traitant uniquement d’une même notion. Ces séquences sont regroupées en « unités » (16 unités se succèdent pour le CP, proposant ainsi une programmation des apprentissages sur l’année) qui traitent de notions diverses, en général du même domaine.

Ainsi, un des aspects de MdS est de traiter une même notion sur une séquence longue regroupant des séances qui se succèdent au jour le jour sans étaler dans le temps un découpage en étapes.

Une notion n’est donc pas abordée selon une progression spiralée qui pourrait consister en une progression de séquences (regroupant, par exemple sur une semaine, plusieurs séances sur la même notion) programmée sur l’année entière. Pour autant, la progression sur une notion n’est pas non plus diluée en des séances ponctuelles dispersées sur l’année. Signalons que ces deux progressions, spiralée et ponctuelle, sont proposées par certains manuels français. En outre, MdS ne propose pas le retour quotidien sur les notions anciennes comme le font la plupart des manuels (Grapin & Mounier, 2018). Le retour sur les connaissances anciennes se fait donc essentiellement lors de leur mobilisation au moment d’aborder de nouvelles notions, sans qu’un moment spécifique de la séance y soit formellement consacré.

L’approche défendue par les auteurs de la MdS

L’approche des notions mathématiques en trois étapes « concrète – imagée – abstraite », nommée CPA (concrete – pictorial – abstract) est très présente dans les programmes singapouriens, mais sans y être explicitée ; même si elle découle des travaux de Bruner, son ancrage théorique n’est pas clairement déterminé (Yew Hoong, Weng Kin & Lu Pien, 2015). Dans le contenu des programmes, il est ainsi régulièrement fait référence à l’usage d’objets concrets (use concrete objects) ou à des images les évoquant (use concrete objects / picture) comme dans l’exemple suivant concernant l’apprentissage de la division et de la soustraction : « use concrete objects and pictorial representations to illustrate the concepts of multiplication and division such as ‘multiplying 6 by 5’ and ‘dividing 49 by 7’ » (MOES, p. 43). Il est régulièrement prescrit à l’enseignant de proposer à ses élèves, comme première « expérience d’apprentissage » (learning experience), une activité de discussion sur la notion mathématique en jeu à partir d’exemples issus de la vie réelle et/ou de leur environnement (par exemple : « discuss examples of big numbers (in thousands) in real life »).

Prenons l’exemple du CP. Les premières pages du guide pédagogique (p. 6 – 17) sont consacrées à la « présentation de la Méthode de Singapour CP » avec une première partie sur l’enseignement des mathématiques à Singapour et une seconde sur le contenu du manuel, titrée « la méthode de Singapour au CP » (avec toute l’ambiguïté associée à cette expression). Les auteurs du manuel y évoquent certains éléments du cadre des programmes singapouriens pour concevoir le manuel.

Sont particulièrement mis en avant 2 : l’organisation de notions et de compétences, l’approche concrète – imagée – abstraite, l’importance accordée à la résolution de problèmes, la modélisation (représentation par un schéma d’un concept ou d’une situation mathématique) et la pratique guidée.

L’efficacité d’une approche en trois étapes, de la modélisation ou encore de la verbalisation est soulignée sans toujours faire référence aux études qui la démontreraient. La modélisation est présentée comme efficace « dans le cadre d’une pratique guidée : le professeur présente d’abord aux élèves le schéma qui va l’aider à résoudre le problème, puis il invite les élèves à représenter à leur tour les données du problème à l’aide de ce même schéma » (guide pédagogique, p. 7). Par ailleurs, les auteurs ont choisi de développer une schématisation montrant le lien entre les nombres (les parties dans le tout). La représentation d’un problème par un schéma en barres ou en ligne telle qu’explicitée dans le manuel rejoint celle présentée dans les recommandations pédagogiques accompagnant les programmes de 2016 (BO 2018), mais sans mentionner d’études montrant l’intérêt de l’utilisation d’une telle schématisation ou encore décrivant son usage précis en classe.

Les auteurs ont donc repris certaines lignes directrices du cadre de l’enseignement des mathématiques singapourien, notamment celles concernant la façon d’enseigner. Mais comment ces intentions se retrouvent-elles dans la description des séances : en particulier, que signifie la pratique guidée ? comment les trois étapes (concrète – imagée – abstraite) se retrouvent-elles dans l’enseignement prescrit ?

Au-delà du discours, quels apprentissages, quels enseignements Exemple du nombre au CP

Les notions mathématiques enseignées et leur programmation

Les notions mathématiques traitées sont en général celles du programme français en vigueur, avec parfois des choix que nous n’avons pas rencontrés dans les autres manuels français, comme le fait de présenter différemment l’addition posée avec retenues usuellement (séance n° 115). Par ailleurs, nous avons relevé quelques formulations étonnantes qui, d’un point de vue mathématique, nous ont intrigués. Par exemple, il est mentionné qu’une figure a « une couleur » et qu’« un polygone n’est que le contour de la figure mais ne contient pas l’intérieur » (guide de l’enseignant, p. 160) ou encore qu’« un solide […] est un volume qui se mesure en unité-cube » (Ibid., p. 166).

À la différence de certains manuels français (comme Pour Comprendre les Maths — PCLM —, ou Mon Année de Maths) qui prennent en charge la totalité des séances quotidiennes de calcul mental, il n’est proposé dans MdS qu’une séance sur deux, laissant à la charge de l’enseignant la moitié des séances. La progression nous est apparue essentiellement basée sur le type de tâches et le champ numérique mobilisé et moins sur les variables didactiques qui permettent d’aborder certaines procédures (appui sur dix, passage à la dizaine supérieure ou non, etc.).

L’approche didactique des notions mathématiques

Nous avons analysé tout particulièrement les exercices donnés pour la construction de la numération écrite chiffrée, notion clé de la classe de CP concernant le nombre. Les tâches proposées sont majoritairement liées à des dénombrements, les collections étant presque toujours déjà organisées en un nombre maximum de dizaines. Les aspects décimaux et positionnels (Tempier, 2016) ne sont donc pas réellement en jeu dans les exercices. D’une manière générale, les exercices d’entraînement demandent une mise en fonctionnement des connaissances de niveau technique (Robert, 2008), c’est-à-dire qu’il n’y a pas besoin d’adaptation par rapport aux tâches proposées auparavant, ni du fait des variables didactiques, ni de celui du contexte. Certains manuels en France (Cap Maths, Mon Année de Maths, …) proposent plus volontiers des exercices avec une utilisation plus large de la palette des variables didactiques.

Le manuel CP propose des séances de résolution de problèmes arithmétiques qui questionnent de manière pertinente l’emploi de l’addition et de la soustraction. Cependant ces problèmes ne nécessitent pas de mobiliser les techniques opératoires apprises auparavant puisque le champ numérique ne dépasse pas 20. La schématisation en barres est utilisée dans les problèmes de transformation mais pas dans ceux de comparaison. La typologie de Vergnaud est citée (séance 122).

L’approche de l’enseignement

L’approche concrète – imagée – abstraite est à considérer avec les prescriptions pour mener une séance :

« […] trois parties essentielles, mais qui ne se succèdent pas toujours dans le même ordre : une phase d’exploration pratique (manipulation), une phase où l’on se concentre sur la leçon abordée (pratique guidée) et une phase d’entraînement individuel (pratique autonome) ». (Guide pédagogique, p. 14)

Regardons alors de manière plus précise le découpage d’une séance, à partir de celle décrite dans l’annexe de cet article (cf. ).

Figure 1 : Extrait du fichier de l’élève, séance 79

La phase d’« exploration concrète » semble se dérouler dans le 1er temps de la séance, phase qui peut être reprise un peu après (partie bleue de l’annexe). C’est ici une manipulation faite par l’enseignant devant les élèves. Notons qu’un contexte qui pourrait être lié à la vie quotidienne de l’élève est évoqué dans la séance inaugurale de chaque unité (figure 1, ci-avant). La phase « où l’on se concentre sur la leçon abordée (pratique guidée) » semble s’incarner dans la représentation de la manipulation précédente sur le fichier de l’élève (annexe, marron clair). Elle fait écho à l’étape « imagée », dans laquelle peut aussi intervenir une symbolisation (étape « abstraite »). Ces symboles sont plus volontiers utilisés dans les fiches et plus fréquents au fur et à mesure de l’année. Ils sont en particulier présents dans la « phase d’entraînement individuel (pratique autonome) » (partie verte de l’annexe).

Comme en témoigne cet exemple, nos analyses indiquent que c’est essentiellement l’enseignant qui manipule devant les élèves, le plus souvent en début de séance pour montrer la procédure attendue (Grapin & Mounier, 2019, à paraître). Ensuite, cette procédure est reprise en commun lorsqu’il va s’agir de compléter le fichier : cette trace écrite indique le savoir à retenir, sous la forme d’une procédure à retenir. Puis des exercices sont donnés via des fiches à photocopier (une à deux par séance), permettant aux élèves d’appliquer la procédure. Comme nous l’avons déjà signalé, il y a peu de changement de valeurs de variables, ni même de contexte (niveau de mise en fonctionnement des connaissances au niveau technique). Les élèves peuvent parfois aussi manipuler du matériel pédagogique par eux-mêmes dans cette phase, mais ce n’est pas systématique et ce n’est pas dans la phase de découverte de la notion. Il n’y a donc pas de situation-problème au sens de Fénichel et Pfaff (2004-2005)3. Ainsi, au sens de Rey (2001), le dispositif didactique est le plus souvent de type « explication – application » : l’enseignant livre le savoir, les élèves l’appliquent. Il est plus rarement de type « observation – compréhension –application » (la tâche proposée questionne les élèves mais elle est moins celle d’une situation-problème, par exemple parce que chaque élève ne peut pas s’engager dans un processus d’essais-erreurs). Il n’est jamais de type « problème – compréhension – application » (avant d’être institutionnalisé, le savoir visé est tout d’abord l’enjeu d’un problème « consistant » que chaque élève doit résoudre, une situation d’apprentissage qui se rapproche d’une situation-problème).

L’approche ergonomique et le matériel (coût)

Le coût global d’équipement d’une classe de \(23\) élèves est de \(378,80\) € (un fichier élève — deux opuscules —, un guide pédagogique, un exemplaire de fiches photocopiables) auquel s’ajoutent le matériel pédagogique (\(800\) cubes multidirectionnels à \(94,90\) €, des bouliers, …) et la reproduction des fiches photocopiables (\(265\) pages fois \(23\), soit feuilles).

Le guide de l’enseignant décrit de manière courte les phases de chaque séance en reprenant la structure récurrente en « trois parties essentielles » (voir l’exemple en annexe) puis un « approfondissement » ou un retour sur ce qui a été vu (« soutien »). Notons qu’il n’y a pas de description des procédures envisageables, qu’elles soient erronées ou non, ce que d’autres manuels français font.

Les supports élèves (fichier individuel et fiches photocopiables) sont aussi très épurés, la tâche ne comportant pas de difficulté de compréhension a priori puisque c’est la même qui a été présentée aux élèves par l’enseignant auparavant. Des tâches complémentaires sont accessibles via un site internet.

Au quotidien, il nous semble que le nombre de tâches proposées et leur durée, y compris le temps pour changer de support, exigent, pour ces jeunes élèves de six ou sept ans, une durée plus longue que celle envisagée par le guide de l’enseignant (voir annexe, texte en gras), ce qui demande vraisemblablement à l’enseignant de faire des adaptations. Nos analyses et nos observations convergent vers le fait que cette inadéquation entre la durée du travail réel et celle envisagée par les auteurs n’est pas l’apanage du manuel MdS.

Conclusion

La « pratique guidée », mise en avant dans les programmes singapouriens et reprise dans le rapport Villani-Torossian, se traduit dans MdS par le fait que l’enseignant montre ce qui est à faire, sans que chaque élève ait pu être confronté individuellement à une tâche de découverte. Les élèves appliquent ensuite ce qui a été expliqué dans des exercices similaires. Cette façon de concevoir l’apprentissage et de penser le rôle de l’enseignant correspond au type de dispositif didactique « explication – application ». Elle ne semble pas partagée par l’ensemble des auteurs de manuels français, au moins dans leur discours, mais ceci mériterait une étude spécifique. Par ailleurs si, comme le prônent les programmes singapouriens, des exercices de répétition sont proposés, la variété proposée dans le manuel ne peut suffire à travailler les différentes facettes d’un même concept.

Conséquences pour l’enseignant

Si l’enseignant souhaite transformer certaines des situations de MdS afin de problématiser l’introduction d’un savoir nouveau ou, dans une moindre mesure, de demander aux élèves de manipuler pour sortir du dispositif « explication – application », l’adaptation est complètement à sa charge puisqu’aucune indication ne lui est donnée pour le faire. C’est aussi à l’enseignant de compléter les exercices en jouant non seulement sur certaines variables didactiques, mais en proposant aussi d’autres contextes. En ce sens, MdS ne peut constituer une banque d’exercices, ce qui nous amène à penser que ce manuel est réservé à des enseignants experts.

L’étude que nous avons menée est le plus souvent centrée sur un niveau scolaire (le CP) et sur une notion clé de ce niveau ; elle présente donc des limites et mérite d’être étendue à d’autres notions à enseigner et pour d’autres niveaux scolaires de cette collection, d’autant que le discours introductif des auteurs y est similaire. Certains éléments observés dans le manuel MdS ne lui sont probablement pas spécifiques, et notre étude demande à être complétée par une analyse d’autres manuels provenant d’autres collections. En particulier, une question importante reste en suspens : quel est le traitement des problèmes arithmétiques dans cette collection de manuels ? Nous n’avons pas non plus étudié si les aspects affectif et métacognitif, signalés comme importants à développer dans le programme singapourien, sont pris en charge par le manuel et de quelle façon.

En conclusion, Singapour est certes placé régulièrement en tête des classements PISA et TIMSS, mais présenter ces résultats aux évaluations comme résultant principalement de la méthode d’enseignement prescrite est un raccourci risqué et critiquable. Certaines des orientations du cadre de l’enseignement des mathématiques à Singapour sont peut-être intéressantes à transposer et à intégrer à notre enseignement en France, mais cela ne peut se faire sans expliciter ce qui est transposé ou repris, et ce que cela implique au niveau de la stratégie d’enseignement et des connaissances construites : par exemple, comment concilier la pratique guidée prônée à Singapour avec une approche intégrant des situations problèmes ? que recouvre l’approche « concrète-imagée- abstraite » et quels liens existe-t-il avec la manipulation ? Par ailleurs, étiqueter certaines tâches ou démarches d’enseignement comme s’inspirant de « la méthode de Singapour » sans autre précision (comme cela peut exister sur différents sites internet) n’a guère de sens puisqu’on ne sait pas ce qui est exactement retenu, ni ce que cela implique pour l’enseignant et pour les élèves.

Enfin, si l’enseignement des mathématiques à Singapour est régulièrement cité en exemple et repris pour concevoir des situations d’apprentissage (sans être interrogé), gageons qu’il serve aussi d’appui pour penser la formation des enseignants en France, puisqu’à Singapour, chaque enseignant bénéficie annuellement de 100 h de formation continue…

Bibliographie

  1. N. Grapin et É. Mounier. « Méthodologie d’analyse de manuels et étude du manuel “Méthode de Singapour CP” ». In : Grand \(\mathbb{N}\) n° 102 (2018), p. 57-92.

  2. N. Grapin et É. Mounier. « Vers un outil d’analyse de manuels : exemple d’étude en 1re année d’école élémentaire (3H) ». In : Revue de mathématiques pour l’école (Rmé) n° 230 (2018). , p. 30-37.

  3. M. Neagoy et al. Méthode de Singapour CP. Paris : Éditions La librairie des écoles, 2016.

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Éric Mounier et Nadine Grapin sont maîtres de conférences en didactique des mathématiques à l’université Paris-Est–Créteil. Ils interviennent dans la formation des maîtres à l’ÉSPÉ de l’académie de Créteil. Leurs recherches se déroulent au sein du laboratoire de didactique André Revuz.


Annexe : exemple de scénario prescrit dans le guide pédagogique CP extraits de la séance 81 Comptons (2)

Durée prévue Tâches à réaliser au fur et à mesure4 Modalité
prévue
1er temps
10 minutes
Utilisation de cartes-constellations.

Le PE sort les cartes-constellations pour le tableau et demande de dénombrer les points successivement : sur une carte « 10 », deux cartes « 10 », trois cartes « 10 », deux cartes « 10 » et une carte « 1 », puis en ajoutant à chaque fois une carte « 1 » jusqu’à trente.

Collective
Les élèves sortent leur ardoise et doivent dessiner en mobilisant les représentations par constellation : dessiner successivement 16, 26 et 28. Individuelle
Mise en commun au tableau en confrontant les productions des élèves. Collective
2e temps
10 minutes
Les élèves rangent leur ardoise et sortent leur fichier page 25

Item a).

Collective
Item b) et c). Individuelle
Si nécessaire le PE dessine des cartes au tableau pour des nombres entre 30 et 39. Collective
3e temps
10 minutes
Les élèves rangent leur fichier.

Le PE reprend les cartes-constellations :

  • Indication du nombre de points sur trois cartes « 10 »

  • Ajout d’une carte « dix » et demande du nombre de points

  • Demande de dénombrer les points sur trois cartes « 10 » et une carte « 1 », puis en ajoutant à chaque fois une carte « 1 » jusqu’à quarante.

Collective
Les élèves sortent à nouveau leur fichier page 25

Item d).

Individuelle
Selon le temps restant : dictée de nombre entre 20 et 40 soit avec l’ardoise (à ressortir) ou avec les cartes-constellations. Individuelle
4e temps
30 minutes
Le PE demande de ranger le fichier et prendre les deux fiches pages 154 et 155 des fiches photocopiables (à photocopier par le PE). Individuelle
« Différenciation » :
« Soutien » : sortir les cubes multidirectionnels et « Proposez aux élèves qui en ont besoin, groupés en binômes, de former des nombres de 30 à 40 avec des cubes multidirectionnels. Pour chaque nombre formé, demandez : « Combien y a-t-il de groupes de dix ? » (faites écrire le nombre), « Combien y a-t-il de points isolés ? » (faites écrire le nombre juste à droite du chiffre déjà écrit). »
« Approfondissement » : « Mettez les élèves avancés au défi de compter jusqu’à 50, puis d’écrire sur leur ardoise les nombres de 40 à 50 ».
Binôme

Individuelle

« Évaluation continue » :

« Lors de l’écriture des nombres, veillez à l’exacte position des chiffres : le chiffre des groupes de dix à gauche est écrit en premier, le chiffre des points isolés à droite du précédent est écrit après le chiffre des dizaines.

Conseillez aux élèves de verbaliser ce qu’ils font : « J’écris le chiffre des groupes de dix puis le chiffre des points isolés. »

Individuelle
« Synthèse de la séance

  • Je sais compter jusqu’à 40.
  • Je sais réaliser quatre groupes de dix pour faire 40.
  • Je sais « faire 10 » pour compter des quantités supérieures à 30. »
Pas de modalité prescrite
Pas de temps prescrit « Activité optionnelle : le musée du trente

Réalisez le « musée du trente » : présentez des quantités de 30 à 39 objets de natures différentes (des bouchons, des crayons…) à chaque fois organisées en groupes de dix. »

Collective

  1. Ce terme d’unité sera précisé ultérieurement.

  2. Ce sont les éléments figurant en gras et faisant l’objet d’un développement dans cette partie introductive du guide pédagogique.

  3. Pour elles, une situation-problème est un dispositif pédagogique dont le cœur est une tâche « consistante » (les élèves n’ont pas la réponse a priori) dans laquelle les élèves vont pouvoir s’engager et faire des essais, dont la procédure la plus efficace met en jeu la connaissance nouvelle visée, et dont les rétroactions du milieu permettent une validation par les élèves.

  4. Les formulations en italique sont celles des auteurs, celles en gras soulignent les différentes manipulations matérielles.

Pour citer cet article : Grapin N. et Mounier É., « Que disent les recherches sur les manuels « Méthode de Singapour » ? », in APMEP Au fil des maths. N° 532. 8 septembre 2019, https://afdm.apmep.fr/rubriques/opinions/que-disent-les-recherches-sur-les-manuels-methode-de-singapour/.