Les Devoirs Maison, formation plutôt qu’évaluation

Le travail personnel de l’élève en mathématiques est l’une des clés de sa réussite. Consolider des notions, acquérir des méthodes, améliorer une rédaction, résoudre un problème non classique, bref, donner à manger à tous ! Antoine Laniray nous livre ici ses réflexions et son évolution dans la conception et la gestion des DM.

Antoine Laniray

© APMEP Mars 2019

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« Long à corriger », « toutes les copies sont identiques », « ça fausse la moyenne », « on note les parents plus que les élèves »… Dès qu’on parle de Devoir à la Maison (DM)1, on entend ces remarques. Les solutions proposées relèvent souvent de l’évitement : mettre une lettre plutôt qu’une note, faire faire les devoirs à deux… C’est parce que j’étais insatisfait de ces « rustines » que j’ai décidé de changer complètement ma manière de faire. Mais d’abord, petit retour en arrière.

Au commencement était la frustration

Quand j’ai commencé ma carrière en collège en tant que stagiaire en 2012, j’ai repris de grands principes pédagogiques que j’avais vécus en tant qu’élève, sans forcément leur donner de sens. En terme de travail à la maison, je donnais des exercices courts à faire d’une fois sur l’autre, mais aussi des Devoirs à la Maison (DM) plus longs, avec des problèmes plus coriaces. Je les ramassais, les corrigeais, et rendais une note chiffrée sur 10, souvent comprise entre 6 et 10.

J’ai rapidement été très insatisfait de cette manière de fonctionner car elle avait plus tendance à creuser les inégalités qu’à les estomper. En effet, les élèves bénéficiant de ressources ( personnelles, familiales ou dans leur entourage ) avaient toujours de meilleures notes. D’autre part, je me demandais toujours qui j’évaluais, de l’élève ou du parent l’ayant aidé.

Arrivé en collège REP+ en 2013, j’ai rapidement cherché d’autres manières de faire, avec des élèves qui ont de réelles difficultés à se mettre au travail à la maison. J’ai alors découvert le travail de l’équipe académique de Bordeaux de 20102 qui propose de transformer le travail personnel demandé lors des DM en un moment d’évaluation formative.

J’ai donc creusé leurs propositions, et voici comment et pourquoi je donne des DM aujourd’hui.

Contenu

Les devoirs à la maison sont distribués toutes les deux à trois semaines. Ils comportent la plupart du temps deux exercices. Le premier exercice est un exercice d’application directe du cours ; il est court, corrigé mais souvent non évalué. Il permet à l’élève de faire un retour sur ses capacités en lien avec le chapitre en cours.

Le deuxième exercice, lui, est au cœur de l’évaluation. C’est plutôt un exercice dit complexe qui va demander aux élèves de chercher, tester, puis de communiquer leurs résultats par écrit.

Le sujet tient sur une demi-page comme par exemple le sujet précédent donné à des élèves de 3e en début d’année.

Les élèves sont évalués sur quelques critères. Dans mon collège, ils sont évalués par degrés d’acquisition, mais le système fonctionne également par note :

  • savoir expliquer sa démarche (Compétence Communiquer)

  • présenter correctement une copie pour ne pas se perdre et ne pas perdre le correcteur

  • proposer plusieurs démarches lors d’une recherche (Compétence Chercher)

  • corriger et s’auto-corriger.

« Trouver la bonne réponse » n’est pas un critère d’évaluation. Ainsi, des élèves ayant cherché et proposé clairement plusieurs méthodes peuvent être évalués « Excellent », bien qu’ils ne soient pas parvenus à trouver la bonne réponse.

Correction en classe

À leur arrivée en classe, les élèves sortent leur DM rédigé, un stylo vert, et sont prêts à prendre la « correction » sur leur copie. Je ne m’appesantirai volontairement pas sur les élèves n’ayant pas leur DM le jour J : libre à chacun de gérer ces cas de figures comme il l’entend.

J’ai toujours anticipé la correction : je sais sur quels points je veux insister et quelles sont les erreurs fréquentes sur lesquelles je veux travailler. Par exemple, dans le premier exercice du sujet ci-dessus, nous avons travaillé les étapes de la rédaction et la notion d’arrondi, que nous n’avions pas vue en classe.

Lors de la correction de l’exercice 2 du sujet, j’insiste sur les méthodes de recherche possibles :

  • continuer à chercher des exemples pour mieux comprendre la progression de la suite

  • faire un schéma

  • essayer de trouver une formule

  • vérifier sa formule sur un exemple.

L’élève a indiqué ce qu’elle « aurait pu » écrire. En fin de copie, nous avons discuté de la notion d’arrondi au mm et au cm.

Lorsque l’exercice est l’occasion de revenir sur la leçon (une définition, une rédaction-type…), j’utilise une correction à trous que j’ai rédigée à l’avance.

Quand je cherche plutôt à faire remarquer des étapes de raisonnement, des passages obligés et des passages facultatifs, je circule rapidement dans les rangs et je choisis deux à trois copies d’élèves que je projette à l’aide d’un visualiseur3. Je ne corrige pas forcément l’exercice en entier.

Pendant ce temps, les élèves sont chargés de repérer dans leur copie s’ils ont suivi ou non les quatre étapes indiquées. Ils entourent les passages corrects, complètent ce qui leur a manqué.

L’élève a noté dans la marge les quatre méthodes de recherche que l’on pouvait utiliser. Elle note sur sa copie qu’elle a bien refait un schéma.

L’élève identifie dans la marge où elle a utilisé une formule. Elle a ensuite pris la correction du calcul (fait avec les nombres triangulaires), mais sans vraiment le rapprocher de son travail à elle. C’est le professeur qui lui indique la source de l’erreur.

Le mot « correction » n’est pas tout à fait exact : il s’agit plutôt d’améliorer sa copie ; certains élèves recopieront l’exercice lorsqu’ils n’auront pas trouvé la solution, quand d’autres noteront plutôt des astuces pour aller plus vite, des détails de rédaction, etc. Ils ont pour cela au préalable agrandi la marge, qui occupe maintenant environ un tiers de la copie.

Plutôt que d’être un moment ennuyeux où les élèves sont passifs, la correction devient un vrai moment de débat. Comme tous les élèves ( ou presque… ) ont travaillé leurs exercices, ils cherchent à comprendre leurs erreurs et demandent si leur méthode convient également. Il faut compter entre 30 et 45 minutes pour ce temps de correction, que je place donc lors de notre séance hebdomadaire d’une heure et demie. Dans les exemples de copie que je présente ici, la correction écrite de l’élève est parfois rapide : ils se contentent parfois du calcul final. Ces copies sont issues du deuxième DM de l’année, et les traces écrites ne reflètent pas encore le travail fait à l’oral lors de la correction en classe. Ainsi, lorsque nous avons discuté de méthodes pour calculer la somme des \( n\) premiers entiers, les échanges à l’oral furent dynamiques même s’ils ne se retrouvent pas toujours à l’écrit dans la correction.

Ramassage des copies et correction du professeur

Au terme de cette correction, je ramasse les copies des élèves. Depuis cette année, j’ai choisi de ne ramasser, à chaque DM, qu’environ deux tiers des copies, de manière aléatoire, aidé par un tableur. Cela me permet de corriger sans lassitude et plus vite, si possible du jour au lendemain.

Au début, les élèves étaient vexés de ne pas tous être corrigés. Ils ont ensuite convenu qu’ils avaient tous une correction collective de leur devoir, et que la possibilité que je fasse un retour individuel très rapide à quelques-uns était bénéfique sur la durée. Comme par ailleurs j’évalue surtout des compétences de recherche, de rédaction et d’auto-correction, il n’y a pas d’injustice à ramasser tel DM plutôt que tel autre.

Mon temps de correction est considérablement réduit : l’élève s’étant déjà corrigé, il ne reste plus qu’à compléter certains points. Je passe surtout du temps à faire un commentaire en première page, pour orienter le travail de l’élève lors du prochain DM. J’évalue enfin les compétences travaillées sur une échelle à quatre niveaux. En général, le temps mis pour corriger les quinze copies ramassées dans une classe dure entre une heure et une heure et demie et peut donc être fait du jour au lendemain.

Avantages observés

La remarque que j’entends le plus souvent quand je parle de DM est: «les élèves doivent tous se copier les uns sur les autres». Dans mon cas, non. Il arrive que des élèves partagent ensemble leur méthode de recherche, bien sûr. Mais comme ils savent que le résultat final ne sera pas évalué et que je vais être attentif à leur manière de communiquer à l’écrit, ils cherchent plutôt à savoir si leur méthode est pertinente.

Pour que les élèves aient conscience du caractère formatif de ce travail, il faut leur accorder le droit à l’erreur. Dans mon collège, c’est le cas puisque notre système d’évaluation par compétences le prend en compte. Dans un établissement fonctionnant par notes, il me semble important que l’évaluation de ces devoirs ne soit pas intégrée à une quelconque «moyenne». Cela permet à certains élèves de «tenter» en cours d’année de nouvelles manières de rédiger sans risque d’être pénalisés.

Ces devoirs à la maison permettent également de travailler le domaine 2 du socle de compétences : «Apprendre à apprendre». C’est l’occasion d’apprendre aux élèves à chercher, à présenter correctement une copie, des calculs et des constructions géométriques, à s’auto-corriger. C’est un début d’entraînement à la prise de notes, puisqu’ils ne doivent pas recopier ce qui figure au tableau, mais le comparer à leur copie.

Les moments de correction en classe ne sont plus rébarbatifs : ils sont l’occasion de débats, d’approfondissements ou de rappels. Comme chacun corrige en fonction de ses capacités, c’est aussi un moment de différenciation : certains élèves vont se contenter d’intégrer des méthodes de recherche quand d’autres vont découvrir la méthode de Gauss pour calculer la somme des \(n\) premiers entiers. Et pour le professeur, la correction est plus rapide et surtout plus agréable : en se concentrant surtout sur certaines compétences, elle est un moment d’échange avec l’élève par copie interposée.

Aujourd’hui, donner un DM à mes élèves n’est plus une tâche pénible, qu’il faudrait faire par acquit de conscience. C’est un travail de formation, qui permet aux élèves « d’apprendre à apprendre », de montrer leurs capacités à mettre en œuvre des raisonnements, de communiquer leurs intuitions, et de faire parler leur créativité. 4


  1. L’usage actuel est plutôt « Devoir en temps libre » ou « Devoir hors la classe », voire même « Devoir libre » dans les projets de programmes 2018.

  2.  

  3. Il est possible de construire soi-même un visualiseur en suivant ce tutoriel: .

  4. Pour aller plus loin: article de Rémy Coste dans PLOT 59 : « Comment aider les élèves à préparer un contrôle? » .↩ 

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Antoine Laniray enseigne les mathématiques au collège REP+ Jean Moulin de Villefranche-sur-Saône (69).

Pour citer cet article : Laniray A., « Les Devoirs Maison, formation plutôt qu’évaluation », in APMEP Au fil des maths. N° 531. 22 mars 2019, https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/les-devoirs-maison-formation-plutot-quevaluation/.