Enseignement Scientifique de la classe de Première
et mathématiques

En réponse à l’article de Thomas Hausberger, « Les mathématiques dans l’enseignement scientifique de Première et Terminale : un véritable enjeu », Remi Belloeil propose une analyse détaillée du programme de Première. Il montre que ce programme s’appuie sur des notions mathématiques mais ne permet pas de les traiter ni par les limites qu’il impose, ni par le temps d’étude prévu. Pourtant, selon lui, ces mêmes notions permettraient des ouvertures vers d’autres situations issues d’autres contextes ou de disciplines non scientifiques.
Sa crainte est alors que « les maths demeurent des boîtes noires » dont la compréhension est réservée à une élite.
Son analyse se termine par une proposition de programme qui nécessiterait au moins 1 heure hebdomadaire et un programme explicite.

Rémi Belloeil

© APMEP Mai 2019

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Le programme de cet enseignement publié en janvier 2019, est essentiellement orienté vers des connaissances de Physique Chimie et de Sciences et Vie de la Terre. Même si un paragraphe rappelle l’importance des Mathématiques, l’étude systématique des notions Mathématiques concernées est à chaque fois exclue dans les Prérequis et limites du programme. Nous ne discutons pas ici du choix des thèmes scientifiques retenus mais de leur faisabilité sans complément mathématique et de l’intérêt d’un programme de Mathématiques pour tous.

Ainsi, les élèves sont amenés à utiliser des procédures qu’ils ne peuvent maîtriser (sauf certaines pour ceux qui suivent l’enseignement de spécialité de Mathématiques). Et de façon plus regrettable encore, aucun transfert des méthodes utilisées n’est possible puisqu’elles n’ont pas été étudiées pour elles-mêmes.

L’essentiel de ce programme tourne actuellement autour des phénomènes exponentiels, sans utiliser la notion de dérivée. Il serait possible de faire un programme de mathématiques adapté à cet enseignement et qui ouvre la réflexion vers d’autres disciplines.

Le programme et ses limites

1 – Une longue histoire de la matière

Dans le cas de la radioactivité, on peut lire la colonne savoir-faire :

« Calculer le nombre de noyaux restants au bout de \(n\) demi-vies.
Estimer la durée nécessaire pour obtenir une certaine proportion de noyaux restants.
Utiliser une représentation graphique pour déterminer une demi-vie. Utiliser une décroissance radioactive pour une datation (exemple du carbone 14). »

et dans les prérequis et limites :

« L’évolution du nombre moyen de noyaux restants se limite au cas discret mais aucun formalisme sur la notion de suite n’est exigible.
Les fonctions exponentielles et logarithme ne font pas partie des connaissances attendues. »

Si \(A\) est le nombre initial de noyaux, le nombre de noyaux au bout de \(n\) demi-vies est \(\dfrac{A}{2^n}\) ou \(0,5^nA\). C’est précisément la formule d’une suite géométrique de raison \(\dfrac{1}{2}\cdotp\) La connaissance mathématique commence par reconnaître le phénomène, lui donner un nom et généraliser le passage d’une demi-vie ou le nombre est divisé par \(2\), à la répétition de cette division et sa traduction par une puissance, mais les limites de ce programme semblent interdire d’évoquer la notion de suites. Les élèves ont, en principe, vu les pourcentages d’évolution au collège, et les ont revus en seconde. Mais d’une part, ils ne feront probablement pas le lien avec cette situation comme diminution de 50 %, d’autre part, ils n’ont pas étudié le cas de répétition de la même évolution ce qui est précisément l’objet de l’étude des suites géométriques.

Pour « estimer la durée nécessaire pour obtenir une certaine proportion de noyaux restants » en restant dans le cadre du cas discret, on ne peut utiliser que des puissances entières de \(2\) ou de \(0,5\). L’élève ne pourra que donner un encadrement dont la largeur est une demi-vie. Par exemple pour le Carbone 14, cité dans le programme, la demi-vie est de 5 730 ans, environ. L’estimation sera donc à 2 865 ans près. Il faut noter aussi que passer de la quantité de Carbone à la proportion dans un échantillon est aussi une difficulté supplémentaire. Pour faire les calculs, l’élève peut aussi utiliser un tableur, mais cela nécessite une réflexion sur l’utilisation du tableur et sur la notion de référence relative qui n’est pas maîtrisée en seconde.

L’utilisation graphique pour estimer une demi-vie peut paraître aisée. Mais les connaissances mathématiques de l’élève de seconde se limitent à :

« Pour les fonctions affines, carré, inverse, racine carrée et cube, résoudre graphiquement ou algébriquement une équation ou une inéquation du type f(𝑥)=𝑘, f(𝑥)<𝑘. »

Il est exclu qu’il trace lui-même la courbe et il pourra raisonnablement penser qu’elle est celle de la fonction inverse. Cela conduit à la confusion entre « inversement proportionnel » et « exponentiel décroissant » et pourquoi pas entre « exponentiel » et « inversement proportionnel » ?

Proposition

Pour accompagner ce programme, il faudrait, au minimum, étudier les suites géométriques. Pour enrichir le tronc commun, cette étude doit être reliée à la répétition d’une évolution en pourcentage (augmentation ou diminution). Cela permet de parler de tous les phénomènes exponentiels (sans utiliser la notion de dérivée). En particulier, cela ouvre cette notion vers les situations d’intérêts composés, la démographie, la croissance des bactéries…
Pour aller plus loin, et pouvoir faire des estimation entre deux demi-vies, il faudrait définir la fonction exponentielle de base \(\frac{1}{2}\) ou plus largement de base a avec a > 0, au moins pour tracer la courbe et faire des calculs d’encadrement par des décimaux ou des nombres rationnels.

Dans le chapitre sur les cristaux, il est écrit :

« La description de l’état cristallin est l’occasion d’utiliser les mathématiques (géométrie du cube et de la sphère, calculs de volumes, proportions) pour décrire la nature et quantifier ses propriétés. »

Il s’agit là d’utiliser des connaissances du collège.
L’étude des cristaux utilise la représentation en perspective qui n’est pas étudiée en Seconde. Les connaissances de Géométrie dans l’espace remontent au collège. En théorie, elles ont pu être réactivées en Seconde, mais la densité de ce programme laisse peu de place pour le faire. Un travail spécifique sur la géométrie dans l’espace (dimension 3) et sa représentation en perspective cavalière, liée aux coordonnées dans un repère cartésien, serait possible même s’il n’est pas indispensable.

Concernant le thème de la cellule, la question de l’ordre de grandeur n’est pas citée dans le programme de Seconde. Même si on y trouve un travail sur les puissances et le nombre de chiffres significatifs, il y aura beaucoup à faire dans cette classe entre l’arithmétique, les intervalles et le calcul algébrique et il restera peu de temps pour s’intéresser à la question de l’ordre de grandeur.

2 – Le Soleil, notre source d’énergie

Pour le rayonnement solaire, la formule de Wein, utilise la fonction exponentielle ou une puissance rationnelle du nombre e inconnu des élèves, mais apparemment, il ne s’agit que d’utiliser la loi du déplacement de Wein qui ne fait intervenir que la fonction inverse. Les élèves utiliseront des formules du types \(E=mc^2\) ou \(\lambda=\dfrac{hc}{a}=\dfrac{bK}{T}\cdotp\) Cela concerne la résolution d’équations étudiées en Seconde mais aussi l’interprétation d’une formule en termes de fonctions pour laquelle la maîtrise des élèves est très légère. Et par ailleurs, il s’agit de lire un graphique, pratique qui doit être entretenue pour être maîtrisée.
L’étude de « la puissance radiative reçue du Soleil » met enjeu des aspects géométriques dans l’espace avec la notion de normale, de maximum lié à un angle et finalement d’une grandeur qui dépend de 3 paramètres. Les élèves sont peu armés pour assimiler cette notion car la géométrie dans l’espace de dimension 3 est absente du programme de la classe de seconde.
Le savoir-faire « Comparer des distributions temporelles de températures » mériterait d’être précisé s’agit-il d’observer les variations et les extrémums ou plutôt une démarche statistique  avec l’écart interquartile ou l’écart type ? C’est assurément une occasion de réinvestissement des connaissances mathématiques.
Le bilan radiatif terrestre s’intéresse à la proportion de la puissance totale émise par le Soleil et reçue par la Terre et à l’effet de l’atmosphère pour retenir une partie de ce rayonnement électromagnétique.
L’étude la photosynthèse et celle du bilan thermique du corps humain sont davantage l’occasion de recherche documentaire et de mise en forme de schéma que d’occasion d’utiliser des Mathématiques.

Un travail mathématique utile pourrait porter sur les expressions proportionnel, inversement proportionnel, inversement proportionnel au carré… en lien avec des formules et des graphiques, et pourrait revenir sur la notion de grandeur quotient.

3 – La Terre, un astre singulier

L’étude de la forme de la Terre est l’occasion de calculs sur les triangles et sur les grands cercles d’une sphère. L’utilisation de la formule des sinus sans sa démonstration comporte le risque que des élèves croient que la nécessité d’un angle droit était inutile dans les calculs de Troisième, de plus, le sinus d’un angle obtus n’est pas défini. La longueur d’un arc de cercle et le lien avec les angles, la compréhension du repérage sur la sphère terrestre, ont déjà fait l’objet de travail par les élèves et peut être approfondi. Un programme de Mathématique sur ces sujets pourrait conduire aux définitions du radian et des fonctions trigonométriques.

L’histoire de l’âge de la Terre est davantage l’occasion de recherche documentaire et de mise en forme de schéma que d’occasion d’utiliser des Mathématiques.
Par contre, la réflexion sur la position de la Terre dans l’Univers peut être l’occasion d’une réflexion sur la question du choix du repère et ce qu’apporte un changement de repère. La position et l’apparence de la Lune fournissent aussi l’occasion d’un travail sur les sphères, les tangentes et les positions relatives des objets.

4 – Son et musique, porteurs d’information

Dans le chapitre sur le son, phénomène vibratoire, il est écrit :

« Un son pur est associé à un signal dépendant du temps de façon sinusoïdale. »

Mais il est bien précisé :

« La sinusoïde est définie à partir de sa représentation graphique. Aucune construction mathématique de la fonction n’est attendue. »

Il est aussi écrit :

« La puissance par unité de surface transportée par une onde sonore est quantifiée par son intensité. Son niveau d’intensité sonore est exprimé en décibels selon une échelle logarithmique. »

et les élèves devront acquérir le savoir-faire :

« Relier puissance sonore par unité de surface et niveau d’intensité sonore exprimé en décibels. »

Mais comment et pourquoi définir une échelle logarithmique ? Pour cela, il faudrait que les élèves connaissent au moins les suites géométriques. Mais on a déjà vu que cela n’était pas au programme pas plus que le logarithme décimal utilisé pour les décibels.

Dans le chapitre « La musique ou l’art de faire entendre les nombres », on trouve des calculs nouveaux pour les élèves.

Savoirs
Savoir-faire
En musique, un intervalle entre deux sons est défini par le rapport (et non la différence) de leurs fréquences fondamentales.
Deux sons dont les fréquences sont dans le rapport \(\frac{2}{1}\) correspondent à une même note, à deux hauteurs différentes. L’intervalle qui les sépare s’appelle une octave.
 
Une gamme est une suite finie de notes réparties sur une octave.
Dès l’Antiquité, la construction des gammes est basée sur des fractions simples, \(\left(\dfrac{2}{1},\ \dfrac{3}{2},\ \dfrac{4}{3},\text{ etc.}\right)\). En effet, des sons dont les fréquences sont dans ces rapports simples sont consonants.
Une quinte est un intervalle entre deux fréquences de rapport \(\frac{3}{2}\).
Les gammes naturelles, dites de Pythagore, sont basées sur le cycle des quintes.
Des considérations mathématiques permettent de construire de telles gammes à 5, 7 ou 12 notes.
Calculer des puissances et des quotients en lien avec le cycle des quintes.
L’intervalle entre deux notes consécutives d’une gamme de Pythagore n’est pas constant, ce qui provoque des dissonances (la plus connue est la quinte du loup). La connaissance des nombres irrationnels permet de construire des gammes à intervalles réguliers. La plus connue est la gamme tempérée à 12 notes.
Construire la gamme tempérée à 12 notes.

Avec le commentaire :

« La construction des gammes de Pythagore s’appuie sur des connaissances mathématiques acquises au collège sur les fractions et les puissances et permet de les mobiliser dans un contexte artistique. L’introduction des gammes tempérées permet de comprendre en quoi la découverte des nombres irrationnels a des applications en dehors du champ mathématique.
La racine douzième est introduite par analogie avec la racine carrée, en lien avec l’utilisation de la calculatrice. »

Il y aurait là une vraie occasion de définir les puissances rationnelles et de travailler sur les suites géométriques, mais les calculs proposés ne vont s’appuyer sur aucun travail de mathématique : définir proprement la racine douzième, justifier son existence, expliquer la notation rationnelle, montrer sa cohérence avec les règles usuelles sur les puissances… rien de cela ne sera fait. Précisons que si la racine carrée a une touche sur la calculatrice, ce n’est pas le cas de la racine douzième qui nécessite une manipulation un peu plus compliquée.

Dans les préambules, on trouve le paragraphe :

« Une place particulière pour les mathématiques
Selon Galilée, le grand livre de la Nature est écrit en langage mathématique. C’est dans cet esprit que les mathématiques trouvent leur place dans ce programme d’enseignement scientifique. De surcroît, l’omniprésence (quoique souvent invisible) des mathématiques dans la vie quotidienne impose aujourd’hui à tout individu de disposer de savoirs et de savoir-faire mathématiques pour réussir pleinement sa vie personnelle, professionnelle et sociale. Le traitement des thèmes figurant au programme permet de présenter des méthodes, modèles et outils mathématiques utilisés pour décrire et expliquer la réalité complexe du monde, mais aussi pour prédire ses évolutions. Parallèlement, le programme offre de nombreuses occasions de confronter les élèves à une pratique effective des mathématiques dans des contextes issus d’autres disciplines. Cette pratique leur permet à la fois de consolider, dans des contextes nouveaux, des compétences de calcul, de raisonnement logique et de représentation et d’exercer leur esprit critique en interrogeant les résultats d’un modèle mathématique. »

La phrase que nous avons marquée en gras est tout à fait hypocrite puisqu’à chaque occasion d’utiliser des connaissances mathématiques, des restrictions empêchent d’introduire les notions mathématiques nécessaires (suites numériques et en particulier géométriques, racine \(n\)-ième, fonction exponentielles, logarithme décimal…), et par ailleurs, aucun temps n’est prévu pour revenir sur des notions antérieures qui pourraient ne pas être maîtrisées (puissances, taux d’évolution, géométrie dans l’espace…).

En résumé, les élèves utiliseront des notions, des techniques ou des formules mathématiques mais jamais ne prendront le temps de les revoir, les définir ou les étudier pour elles-mêmes.
Les savoir-faire vont s’apparenter à l’utilisation de formules magiques dont les élèves ignoreront la signification et la maîtrise risque d’être insuffisante pour les non scientifiques.

Proposition

Manifestement, il manque dans l’Enseignement Scientifique un thème Mathématique (et au moins 1 heure hebdomadaire pour le traiter) qui comporterait en lien avec les autres paragraphes :

Savoirs
Savoir-faire
Suites arithmétiques et géométriques : définition et lien avec une évolution soit constante soit à taux constant.
Traduire une situation par le modèle adapté.
Calculer un terme d’indice donné.
Calculer le premier terme après un seuil.
Racine n-ième d’un réel positif.
Puissance rationnelle d’un réel positif.
Calculer et utiliser les règles de calcul sur les racines.
Calculer un taux moyen.
Graphique dont la graduation d’un axe suit une progression géométrique. Graduations intermédiaires.
Fonctions exponentielles de base 2, \(\dfrac{1}{2}\) et 10.
Logarithme décimal et sa propriété fondamentale.
Placer des points et juger si un phénomène est exponentiel ou non, estimer une valeur.
Calculer avec la fonction log.
Exploiter les propriétés de log.

Et éventuellement un travail sur la géométrie dans l’espace de dimension 3 :

Savoirs
Savoir-faire
Représentation d’un polyèdre en perspective cavalière.
Repère orthonormé de l’espace.
Plan tangent à une sphère et rayon passant par le point de contact. Intersection d’une sphère et d’un plan, d’une sphère et d’un faisceau de droites de direction donnée.
Déterminer et utiliser les coordonnées pour représenter un objet de l’espace dans le plan.
Représenter grossièrement la Terre et la Lune éventuellement avec la zone éclairée par le Soleil. Expliquer le phénomène du « Soleil de minuit » et les saisons.

Il serait aussi possible d’introduire les radians et les fonctions sin et cos. D’une part pour travailler sur la triangulation, d’autre part pour définir les fonctions sinusoïdales dont il est question dans le chapitre « La musique ou l’art de faire entendre les nombres ».

Les chapitres ci-dessus correspondent aux connaissances mathématiques qui semblent nécessaires pour comprendre le programme de l’Enseignement Scientifique tel qu’il est écrit actuellement. Mais on peut s’interroger sur sa pertinence. Il laisse apparemment peu de place à l’expérimentation, mais laissons ce débat aux professeurs de Sciences. Par contre, est-il judicieux de travailler sur la triangulation, alors que les élèves ont si peu de connaissances en Géométrie plane et notamment sur les triangles ? Est-il opportun d’introduire les fonctions exponentielles et trigonométriques avant d’avoir travaillé sur le trinôme ? La géométrie dans l’Espace mériterait-elle davantage de développement ? Faudrait-il développer des notions utiles aux futurs professeurs des écoles (numération) ou à tous (statistique) ? Ce programme permet-il de développer les compétences habituellement dédiées aux Mathématiques ? Ou faut-il y voir une occasion de faire des Mathématiques autrement, c’est-à-dire plutôt une vulgarisation tout public ?

Pour citer cet article : Belloeil R., « Enseignement Scientifique de la classe de Première et mathématiques », in APMEP Au fil des maths. N° 533. 19 mai 2019, https://afdm.apmep.fr/rubriques/opinions/enseignement-scientifique-de-la-classe-de-premiere-et-mathematiques/.

Une réflexion sur « Enseignement Scientifique de la classe de Première et mathématiques »

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