Petite enquête sur … l’égalité (II)
Complément numérique

Dans cette partie numérique, nous allons revenir d’une part sur la relation entre définition — définition de fonction — et égalité et d’autre part sur l’égalité dans les différents systèmes de nombres.

François Boucher

© APMEP Septembre 2021

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Nous souhaitons nous cantonner au niveau des classes de lycée, voire aux seuls programmes de la spécialité mathématiques.

Nous confondrons, comme c’est l’usage, la chose et le symbole sauf s’il est pertinent de ne pas le faire : le lecteur croisera parfois les verbes « désigner » ou « dénoter ».
Nous allons aussi introduire diverses abréviations personnelles : sssi pour le « si et seulement si classique », ssi pour la condition nécessaire et suffisante portée par une définition, \(x \longmapsto f(x)\) pour désigner une fonction (l’ensemble de définition étant en général fixé par le contexte).
Observations sur certaines définitions

En nous appuyant sur quelques exemples significatifs, nous illustrons le fait que certaines définitions touchant aux nombres et aux fonctions sur les nombres peuvent se formuler en introduisant des égalités qui les rendent plus opératoires, c’est-à-dire susceptible d’enclencher un raisonnement guidant le développement des écritures. Une fois encore, il s’agit de mettre l’accent sur la bonne perception du sens porté par les égalités.

L’inverse

Qu’est-ce-que l’inverse d’un nombre pour un lycéen ? Sans doute la conception majoritaire renvoie-t-elle à une simple écriture : \(\dfrac{1}{\textrm{ ce nombre}}\) ; peut-être couplée à une « division effectuée » : \(1\) divisé par ce nombre ; et bien exceptionnellement à une définition : « le (seul) nombre qui, multiplié par ce nombre, égale \(1\) », sans omettre qu’on travaille toujours dans un système de nombres particulier.

Même si le contexte le réclame, combien d’élèves reconnaissent-ils spontanément dans l’écriture \(0,25\) l’inverse de \(4\) dans \(\mathbb{D}\) ou dans \(0,\overline{1}\) l’inverse de \(9\) dans \(\mathbb{Q}\) ou dans \(\dfrac{\sqrt{2}}{2}\) l’inverse de \(\sqrt{2}\) dans \(\mathbb{R}\) ou dans \(\dfrac{b}{a}\) l’inverse de \(\dfrac{a}{b}\) dans quoi au fait, ou dans \(-\text{i}\) l’inverse de \(\text{i}\) dans \(\mathbb{C}\) ?

Autrement dit, la définition : dans n’importe lequel des systèmes de nombres \(\mathscr{N}\) de la scolarité \[y \textit{ est l’inverse de } x \textit{ dans } \mathscr{N} \textit{ ssi } y \in \mathscr{N} \textit{ et } x\,y=1\] n’est pas spontanément disponible. Notons que la définition ci-dessus contient la condition nécessaire (pas toujours suffisante) \(x \neq 0\) et pose une existence et une unicité qui ont bien du mal à trouver leur place dans le curriculum ; ajoutons aussi à cela le rôle mal perçu du système de nombres considéré qui demande d’être capable de traduire \(x \in \mathscr{N}\) est inversible dans \(\mathscr{N}\) sssi ….

Tel étudiant devant déterminer les décimaux dont l’inverse est décimal écrit : \(d \in \mathbb{D} \rightarrow \dfrac{1}{d} \in \mathbb{D}\) et reste coi.

La partie entière

On trouve souvent la définition (de nom) suivante :

on appelle partie entière d’un nombre réel \(x\) l’entier « immédiatement » inférieur (ou égal) à \(x\). Une variante, sémantiquement plus complexe, est de parler du plus grand entier inférieur ou égal à \(x\). On dénote la partie entière de \(x\) par l’écriture \(\lfloor x \rfloor\).

Il est usuel d’illustrer cela avec quelques exemples numériques, en particulier négatifs, appuyés par une visualisation sur la droite graduée, très efficace il est vrai.

Observons déjà qu’une telle définition pose à la fois une existence et une unicité ; les étudiants sont fort embarrassés lorsqu’on leur demande de valider cela, peut-être aveuglés par l’évidence visuelle de l’égalité \(\mathbb{R}=\displaystyle\bigcup\limits_{n \in \mathbb{Z}}[n,\,n+1[\) (pas formalisée sous cette forme), mais peut-on demander plus à un lycéen ?

La définition étant valide dans \(\mathbb{D}\) et \(\mathbb{Q}\) (ce que la définition ci-dessus ne dit pas), on doit pouvoir donner une démonstration ne nécessitant pas une propriété spécifique de \(\mathbb{R}\). La clef est la « propriété dite d’Archimède » : si \(a\) et \(b\) sont des grandeurs (respectivement des réels strictement positifs), il existe un entier \(n\) tel que \(n\,a \geqslant b\). Il s’agit d’un axiome de la théorie des grandeurs ; cette propriété est indépendante des autres propriétés de \(\mathbb{R}\) abordées au lycée.

Cette définition, opératoire sur des exemples simples, ne l’est plus si on demande par exemple la partie entière de \(\sqrt{n^2+n+10}\), \(n\) entier naturel. La réécriture de cette définition sous la forme suivante est essentielle \[\lfloor x \rfloor = y \textrm{ sssi } y \in \mathbb{Z} \textrm{ et } y \leqslant x < y+1\] l’encadrement de \(x\) pouvant être utilement remplacé par un encadrement de \(y\) et l’égalité éventuellement par \(y=\lfloor x \rfloor\).

La question précédente devient abordable avec un soupçon de prise d’initiative.

L’exercice bateau \(\left\lfloor\dfrac{\lfloor{n\,x}\rfloor}{n}\right\rfloor=\lfloor x \rfloor\) (\(n\) est entier) est lui quasi-mécanique et d’intérêt modeste quoiqu’une égalité de la forme \(\lfloor u \rfloor = \lfloor v \rfloor\) puisse s’interpréter, dans le schéma précédent, de deux façons. Bien plus intéressante est l’étude de la suite (de rationnels) \(\left(\dfrac{1}{n}\lfloor n\,x \rfloor \right)\), en particulier si \(n=10^p\), qui fournit la suite des valeurs décimales approchées par défaut de \(x\).

Un lycéen malin pourra aussi exprimer la \(n\)-ième décimale d’un réel en utilisant la partie entière.

Aussi bien, on peut traduire la définition par une égalité \[\lfloor x \rfloor = y \textrm{ sssi } x = y + f \textrm{ et } y \in \mathbb{Z} \textrm{ et } 0 \leqslant f < 1\] Il y a bien sûr unicité de \(y\) et \(f\) ; \(f\) est la partie fractionnaire de \(x\), dénotée \(\{x\}\). Le lien entre partie entière d’un rationnel et la division euclidienne du numérateur par le dénominateur — bien utile pour les calculatrices programmables ne fournissant pas le quotient — est alors limpide.

Mais posée à un étudiant, la question : « on sait que \(x\) peut s’écrire \(3+\dfrac{1}{7}\) ; que peut-on dire sur \(x\) ? » obtiendra la seule timide réponse : \(x=\dfrac{22}{7}\) ; « certes, mézencor ? ».

On peut en profiter pour demander de définir une division euclidienne de \(a\) par \(b>0\) dans \(\mathbb{R}\) en justifiant l’appellation de division euclidienne. Par exemple, diviser \(\pi\) par \(\sqrt{2}\) ; réponse probable : \(\dfrac{\pi}{\sqrt{2}}\cdotp\)

Dès qu’il y a plusieurs traductions, il est bon que le choix de la caractérisation la plus adaptée à une question donnée soit laissé à la charge de l’élève :

la partie entière est un entier, donc elle doit bien compter quelque chose… On peut alors songer à exprimer le nombre d’entiers appartenant à un intervalle borné ; par exemple, le nombre d’entiers de l’intervalle \(]a,\,b]\) est \(\lfloor b \rfloor – \lfloor a \rfloor\) qui mérite certainement d’être posée en question ouverte. Et il y a trois autres sortes d’intervalles bornés.

Ensuite comprendre l’égalité \(\left\lfloor x+\dfrac{1}{2} \right\rfloor = \lfloor 2\,x \rfloor -\lfloor x \rfloor\), puis sa signification d’entier le plus proche de \(x\).

Terminons avec une notion mineure provoquant des difficultés majeures [1].

La valeur absolue

Une définition standard est sans doute celle-ci :

On appelle valeur absolue d’un nombre ce nombre s’il est positif ou son opposé s’il est négatif. On dénote la valeur absolue du nombre \(x\) par l’écriture \(|x|\).

De toute éternité, les manuels mettent en évidence la « formule » : \[|x| = \begin{cases} \ x \textrm{ si } x \geqslant 0 \\ -x \textrm{ si } x \leqslant 0 \end{cases} \textrm{ voire } |x| = \begin{cases} \ x \textrm{ si } x > 0 \\ 0 \textrm{ si } x=0 \\ -x \textrm{ si } x < 0 \end{cases}\] présentée comme une clef pour gérer les (se débarrasser des ?) valeurs absolues.

Chez les étudiants post-bac, deux attitudes sont bien installées : la fuite qui consiste, quelle que soit la situation et quoi qu’il en coûte, à se débarrasser de ces vilaines barrières qui empêchent de calculer tranquillement, parfois en distinguant deux cas : \(x \geqslant 0\) et \(x \leqslant 0\), pardi, et le déni qui consiste à faire comme si les barrières étaient bien là mais invisibles.

Un exemple typique : démontrer que la dérivée (sur \(\mathbb{R}\)) de \(x \longmapsto \left|x^3\right|\) est \(x \longmapsto 3\,x\,|x|\). La fuite bute sur le problème de \(0\), le plus souvent ignoré, et le déni conduit à quelque chose comme \(|x^3|’=|(x^3)’|=|3\,x^2|=3\,x^2\) suivi d’un « Monsieur, y’a pas une erreur ? ». On voit d’ailleurs plus facilement ce déni avec l’intégration : \(\displaystyle \int \dfrac{1}{|x|}\,\text{d}x= \ln(|x|)\) bien sûr (penser à la parité).

On peut traduire la définition par une égalité de plusieurs façons : \[|x|=y \textrm{ sssi } ( x \geqslant 0 \textrm{ et } y = x)\textrm{ ou } (x \leqslant 0 \textrm{ et } y = -x)\] qui montre déjà la complexité logique de cette définition et sa grande difficulté d’emploi. Plus simplement : \[|x|=y \textrm{ sssi } y \geqslant 0 \textrm{ et } x^2 = y^2\]

Ici, l’égalité \(y=|x|\) est sans doute préférable. En français, \(|x|\) est la solution positive de l’équation \(x^2-y^2=0\) (inconnue \(y\)) ; en particulier, on a \(|x|^2=x^2\) et \(|-x|=|x|\). Notons que le programme actuel de Seconde (2019) propose l’utilisation de \(|x|=\sqrt{x^2}\) peut-être parce que nos élèves sont très à l’aise avec \(\sqrt{~\cdot~}\) ; il doit être intéressant de faire tracer la courbe d’équation \(|x|+|y|=1\)1.

Le lecteur est invité à comparer trois démonstrations de l’égalité \(|a\,b | = | a |\,|b|\). Une première basée sur l’élimination des « barres verticales » en jonglant avec les signes (quatre cas a priori, mais des arguments de symétrie sont possibles). Une deuxième basée sur l’utilisation de la réécriture \(|x|=\sqrt{x^2}\) et des propriétés fonctionnelles de \(\sqrt{~\cdot~}\) et de \((~\cdot~)^2\) ; une troisième basée sur une reconnaissance de forme (reconnaissance qui constitue la partie difficile) : l’égalité à prouver est de la forme \(|x|=y\) avec \(y=|a|\,|b|\) et \(x=a\,b\). On a déjà \(y \geqslant 0\) ; reste à prouver que \(x^2=y^2\)

Dans les cours post-bac, on préférera la définition \(y = |x| \textrm{ ssi } y = \max\{x,\,-x\}\) ; en français, \(|x|\) est le plus grand des deux nombres \(x\) et \(-x\) (donc \(x \leqslant |x|\) et \(-x \leqslant |x|\)) ; insistons : cette forme est plus opératoire que le raccourci \(|x|=\max\{-x,\,x\}\). Ces traductions (ou définitions) sont plus orientées vers les inégalités ce qui n’est pas le cœur de notre sujet.

Pour terminer, un changement de registre très pertinent, en introduisant une droite graduée par un repère \((\mathsf{O},\,\mathsf{I})\) et en dénotant \(\mathsf{M}_x\) le point d’abscisse \(x\) \[|x |=y \textrm{ sssi } \mathsf{OM}_x=y\] en français, \(|x|\) est la distance de l’origine au point d’abscisse \(x\). Bien sur, \(|b-a|=\mathsf{M}_a\mathsf{M}_b\) est de première importance.

« Que peut-on dire de \(x,\,y,\,z\) si \(|x-y|=|x-z|+|z-y|\) ? » est une question géométriquement intéressante ; et ensuite « comment traduire avec des valeurs absolues le fait que \(z\) n’est pas entre \(x\) et \(y\) ? » une autre.

Minimiser \(|x+\dfrac{1}{2}|+|x-\sqrt{5}|+|x-2,1|+|x|\) lorsque \(x \in \mathbb{R}\) est un exercice pertinent dans la leçon de statistique.

Les fonctions affines

Dans les définitions proposées en Troisième ou en Seconde, la forme \(x \longmapsto a\,x+b\) apparaît comme essence de la définition, avec deux paramètres qu’il conviendrait d’ailleurs de ne pas s’empresser de cacher sous une pluie d’exemples, surtout avec des valeurs entières comprises entre \(-3\) et \(3\) et en évitant \(a=0\).

Mais pour définir ainsi l’objet « fonction affine », c’est-à-dire l’ensemble des fonctions affines quand bien même cet ensemble ne serait pas étudié pour lui-même, il ne suffit pas d’exhiber l’écriture \(x \longmapsto a\,x+b\) ; il est utile d’en étudier l’unicité (ce qui est fort simple), unicité qui s’avère précieuse : mieux, quelque soit le système de nombres considéré (\(\mathbb{N}\), \(\mathbb{Z}\), \(\mathbb{D}\), \(\mathbb{Q}\), \(\mathbb{R}\), \(\mathbb{C}\)) on a l’équivalence \[x \longmapsto a\,x+b = x \longmapsto a’\,x+b’ \textrm{ sssi } a=a’  \textrm{ et } b=b’ \]

Une égalité de fonctions (donc une infinité d’égalités de nombres) qui équivaut à une égalité de seulement deux nombres n’est pas une propriété banale. La démonstration de la condition nécessaire prouve en plus que l’égalité des images pour deux valeurs distinctes de \(x\) suffit pour avoir l’identité.

Notons qu’on peut faire mieux ; après être passé par l’exercice obligé \(\sqrt{2} \notin \mathbb{Q}\), un réinvestissement possible est d’en déduire qu’il suffit que deux fonctions affines à coefficients rationnels coïncident pour la seule valeur \(x=\sqrt{2}\) pour qu’elles soient égales partout.

Ce point trouvera un écho dans la démonstration de la nature géométrique de la représentation graphique dans un repère quelconque, pas nécessairement orthonormal, et aucun élève ne devrait être surpris que deux points sont suffisants pour déterminer une droite. Bon, utiliser le théorème de Thalès avec des distances n’est sans doute pas optimum mais ce n’est qu’une petite facétie de l’institution ; à quand la restriction du corpus aux seuls réels positifs ?

La réciproque de cette propriété est, elle aussi, bien digne d’intérêt : toute fonction dont la représentation graphique est une droite, est affine.

Faisons alors une remarque motivée par certains exercices de manuels : avant d’affirmer que la fonction \(x \longmapsto x^2+1\) n’est pas affine, il conviendrait de démontrer qu’il n’existe pas de fonction affine faisant le même travail sur … ; les deux fonctions définies sur \(\{-1,\,0,\,+1\}\), \(x \longmapsto x^3\) et \(x \longmapsto x\) y sont bien égales. Et \(x \longmapsto x\) et \(x \longmapsto x+\sin(x)\) coïncident pour une infinité de valeurs.

Une autre écriture, avec unicité, d’une fonction affine est étonnamment rare dans les manuels ; la forme factorisée, dont l’utilité est indéniable : \(a\,x+b=a\,\left(x-\left(-\dfrac{b}{a}\right)\right)=a\,(x-\alpha)\).

Ce qui vient d’être dit vaut pour les fonctions dites « polynômes du second degré » dont l’unicité d’écriture peut être obtenue somme toute fort simplement. Une récurrence forte (pas très simple il est vrai) permet de traiter le cas des fonctions polynômes de degré inférieur ou égal à \(n\).

Puisque le programme introduit la fonction exponentielle comme solution d’une équation fonctionnelle, il est peut-être pertinent que nos élèves fréquentent assez tôt l’idée de propriété fonctionnelle en allant au delà de celle de formules. Ce point est déjà délicat à comprendre.

Prenons l’exemple de la fonction inverse, dénotons-la \(i\). Elle est définie sur \(\mathbb{R}^{\ast}\), impaire ; première propriété fonctionnelle, propriété de \(i\), pas de \(\dfrac{1}{x}\cdotp\) Elle vérifie \(i \circ i = \textrm{Id}\) sur \(\mathbb{R}^{\ast}\) mais \(s= x \longmapsto -x\) ou \(m= x \longmapsto 1-x\) aussi. Elle vérifie encore sur \(\mathbb{R}^{\ast}\), \(i(x\,y)=i(x)\,i(y)\) mais la valeur absolue et toutes les fonctions puissances aussi ; en revanche ce n’est le cas ni de \(m\), ni de \(s\) ; etc.

Les fonctions affines en revanche sont assez simples à caractériser en s’appuyant sur la représentation graphique, donc in fine le théorème de Thalès. Pour tout \(x_1,\,x_2,\,x_3\) réels distincts, on a \(\dfrac{f(x_2)-f(x_1)}{x_2-x_1}=\dfrac{f(x_3)-f(x_2)}{x_3-x_2}\cdotp\)

Et on peut cacher l’information géométrique en écrivant \[(x_3-x_2)f(x_1)+(x_1-x_3)f(x_2)+(x_2-x_1)f(x_3)=0.\] Tiens, cela sent le barycentre.

Il est aussi possible de les caractériser sur \(\mathbb{Q}\) par : \(f(x+y)+f(0)=f(x)+f(y)\). Sur \(\mathbb{R}\), il conviendra d’ajouter une condition de monotonie ou de continuité. En première, on pourra les caractériser comme les fonctions à dérivée constante, etc.

L’égalité dans les systèmes de nombres

La question examinée est la suivante : pour les systèmes de nombres étudiés dans la scolarité, quels sont les outils « primitifs » — c’est-à-dire donnés avec la définition de ces systèmes — qui permettent d’y démontrer l’égalité de deux éléments ?

Nous allons voir, que faute de définition appropriée, ces outils primitifs n’existent pas. C’est la structure portée par ces ensembles qui les fournira.

Les entiers

Soient \(p\) et \(q\) (les signes de) deux entiers naturels supposés définis par un procédé quelconque ; comment démontrer (ou nier) l’égalité \(p=q\) ?

On a supposé que les entiers sont un donné de l’entendement de l’espèce humaine. Les intuitionnistes contesteront le fait que l’ensemble de tous les entiers nous soit ainsi donné d’un coup, mais l’infini potentiel suffira.

Observons que, même sans formalisation à dire vrai bien inutile, la définition des entiers comme classe d’équivalence d’ensembles finis (notion première) pour la relation d’équipotence (la mise en correspondance bijective), non seulement permet la comparaison effective des (petits) cardinaux sans avoir besoin de les énumérer, a fortiori sans avoir besoin d’une numération, mais ce que personne ne fait, une fois la moyenne section passée. Elle permettrait tout aussi bien d’élaborer une numération, voire de définir les opérations sur les cardinaux et d’élaborer quelque chose qui ressemblerait à une théorie empirique des entiers. En fin de cursus, la mise en bijection pourra être une méthode de démonstration d’identités.

Observons ensuite qu’une définition axiomatique de \(\mathbb{N}\), style Peano, satisfaisante dans la mesure où l’on peut choisir les axiomes pour avoir unicité — à isomorphisme près — de l’objet défini et qu’elle fonde la récurrence, ne nous dit rien de ses éléments sinon que tout entier, à l’exception de \(0\), est successeur d’un entier et d’un seul.

Supposons donc le système de nombres \((\mathbb{N},\, +,\,\times,\, \hat{},\,\leqslant,\, | )\) en place. On a alors au moins deux théorèmes de représentation des entiers qui sont aussi des théorèmes d’unicité d’écriture : celui fournit par les systèmes de numération de position à base avec zéro et le théorème dit de factorisation unique.

La numération (de position en base dix avec zéro) est une belle et grande affaire de la scolarité (et de l’humanité) normalement acquise à l’entrée au collège. L’unicité d’écriture fonctionne implicitement dans la validation d’égalités particulières (\(3 \times 6 = 20-2\)) mais disparaît derrière le calcul faute d’être sollicitée par des problèmes appropriés. Il faut dire que ce concept d’unicité d’écriture est bien difficile et nos élèves (et étudiants) ne semblent sensibles qu’à ce qu’ils peuvent ranger sous la rubrique « identification ».

Demander de résoudre dans \([\![0,\,9]\!]\) l’équation (d’inconnues \(a\), \(b\) et \(c\)) \[100\,a+10\,b + c=217\] peut s’avérer instructif ; et pour ceux qui iraient trop vite, le même problème est à poser dans \(\mathbb{N}\).

Un autre exercice significatif est d’écrire une fonction python prenant en entrée un entier en base un — c’est-à-dire codé par une chaîne du même caractère — et renvoyant une chaîne codant une écriture binaire de l’entier, en n’utilisant en aucune façon les entiers python, surtout pas dans les boucles, ni a fortiori les opérations sur ces derniers ; l’entrée ‘aaaaaaaaaaa’ (onze en français) devra retourner par exemple ‘IOII’.

Il convient sans doute de distinguer le cas où l’on considère des entiers particuliers (égalité) de celui où l’on considère des entiers arbitraires (identité).

Ainsi
« comment vérifier que \(2^{64}-1= 3 \times 5 \times 17 \times 257 \times 641\times 65\,537 \times 6\,700\,417\) »

et

\(\text{« démontrer que }1^3 + 2^3 + \cdots + n^3=(1+2+ \cdots + n)^2\) »

sont deux problèmes assez différents.

Le premier exemple est choisi pour échapper aux calculatrices courantes et inciter à observer (travailler avec \(2^{32}-1\) ne suffirait pas).

Le second l’est pour éviter une récurrence trop routinière ; suggérons la lecture du numéro 540 de l’excellente publication Au Fil des Maths, ou la contemplation de la figuration ci-contre qui, parce qu’elle a quelque chose de générique, est bien indubitablement une preuve (attribuée à Al-Karaji, Xe-XIe siècle). Laquelle figure fournit à l’observateur avisé le moyen — non évident — de faire une récurrence.

\[1^3+2^3+3^3+4^3+5^3=(1+2+3+4+5)^2\]

Les rationnels

Admettons qu’on dispose d’un ensemble \(\mathbb{Q}\) de nombres appelés nombres rationnels, auxquels on accède par des écritures dites fractionnaires ayant diverses significations, certaines très concrètes. Cet ensemble est érigé en système avec des opérations et un ordre.

On dispose d’une première représentation avec unicité (modulo les signes toutefois et en excluant \(0\)) : la fraction irréductible \(\dfrac{a}{b}\cdotp\) On dispose par ailleurs d’une condition nécessaire et suffisante d’égalité des fractions : l’égalité du produit des « extrêmes » et du produit des « moyens » comme on disait jadis. Mais bien d’autres possibilités sont envisageables, fondées sur l’interprétation des fractions proposées.

Ainsi pour comparer \(\dfrac{308}{385}\) et \(\dfrac{216}{252}\), il est loisible de sortir sa calculatrice pour calculer brutalement deux produits ; il suffirait d’ailleurs à un calculateur lucide de dire que \(308 \times 252\) se termine par \(6\) alors que \(385 \times 216\) se termine par \(0\) ; un familier des ordres de grandeur pourrait dire que la première est voisine de \(3/4\) alors que la seconde est voisine de \(4/5\), mais il y a doute. Il est aussi possible (et souhaitable) de se questionner sur une éventuelle simplification qui conduit à comparer \(\dfrac{4}{5}\) et \(\dfrac{6}{7}\) ; l’unicité d’écriture permet de conclure sans calcul supplémentaire ; mais quel élève le fait ? Un gourmand pourrait certes penser part de gâteau. On peut aussi voir des proportions de quelque chose : 4 reçus à l’examen sur 5, c’est 1 recalé sur 5, ce qui est moins bien que 1 recalé sur 7.

On peut réduire au même dénominateur (respectivement numérateur). Les probabilités peuvent être convoquées : 4 boules rouges et 1 noire dans une urne ; si on ajoute 2 boules rouges dans l’urne, la probabilité de tirer une rouge augmente strictement à \(\dfrac{6}{7}\cdotp\) Tenter un raisonnement similaire sur les deux fractions de départ est certainement générateur d’interrogations.

On peut, enfin, observer que si ces deux fractions étaient égales, elles seraient aussi égales à \(\dfrac{308-216}{385-252}=\dfrac{92}{133}\) donc aussi à \(\dfrac{216- 92}{252-133}=\dfrac{124}{119}>1\) : ah ! L’antique théorème des rapports égaux, mais qui semble refaire surface après quelques décennies d’oubli.

L’exemple précédent est certes un peu artificiel ; le plus souvent, il convient de faire un choix pertinent de méthode.

Yves Chevallard a malicieusement fait remarquer que, contrairement à une opinion fort répandue, la calculatrice peut être un excellent outil pour démontrer l’égalité de deux rationnels.

Le principe est que deux rationnels distincts dont les dénominateurs sont bornés ne peuvent pas être trop proches ; en effet si \(\dfrac{a}{b} \neq \dfrac{c}{d}\) alors \(\left|\dfrac{a}{b} – \dfrac{c}{d} \right| \geqslant \dfrac{1}{|b\,d|}\) ; donc si \(|b|\) et \(|d|\) sont majorées par, disons \(10^4\), un bon majorant des exercices de manuels, deux rationnels distincts sont assez distants pour que la plus modeste des calculatrices décèle leur différence au pire à la huitième décimale (si la différence calculée est strictement inférieure à \(10^{-8}\) les nombres sont égaux).

On dispose d’une autre représentation qui est celle des développements décimaux illimités périodiques, pour lesquelles on a unicité dans le cas des rationnels non décimaux (et \(0\)). Pour les décimaux, on tombe sur la question \(0,\overline{9}=1\), un vrai problème qui demande un vrai débat.

Reprenons l’exemple \(0,\overline{71}+0,\overline{159}=0,\overline{876330}\). Les périodes sont a priori inégales mais on peut prendre tout aussi bien les décimales par paquets de \(6\) : on a alors \(0,\overline{71}+0,\overline{159}=0,\overline{717171}+0,\overline{159159}\) ; et puisque \(717171+159159=876330\), on a avoir envie d’écrire \(0,\overline{717171}+0,\overline{159159}=0,\overline{876330}\). Comme dans le cas de \(0,\overline{9}=1\) se pose la question de l’extension aux développements décimaux illimités des règles de calcul valides sur les décimaux. En première, on pourrait sans doute envisager de passer à la limite dans l’égalité \[0,\overline{717171}_n+0,\overline{159159}_n=0,\overline{876330}_n\] dans laquelle le \(\overline{717171}_n\) signifie que le bloc de décimales \(717171\) est répété \(n\) fois.

Bien entendu, si nos rationnels ont une partie non périodique, ou si en ajoutant deux périodes de même longueur il y a une retenue, il convient d’en tenir compte. Des élèves de seconde furent capables (et devraient toujours l’être) de formuler un algorithme d’addition.

On pourra consulter l’article [2] qui donne des algorithmes pour les quatre opérations.

Achevons cette promenade dans les rationnels avec une dernière représentation : le développement en fraction continue.

Partons de \(x_0=\dfrac{193}{71}\) ; on a \(\lfloor x_0 \rfloor=2\) alors \(x_0=\boxed{2}+\cfrac{51}{71}=\boxed{2}+\cfrac{1}{\boxed{1}+\cfrac{20}{51}}=\boxed{2}+\cfrac{1}{\boxed{1}+\cfrac{1}{\boxed{2}+\cfrac{11}{20}}}\) puis

\begin{align*}x_0&=\boxed{2}+\cfrac{1}{\boxed{1}+\cfrac{1}{\boxed{2}+\cfrac{1}{\boxed{1}+\cfrac{9}{11}}}}\\
&= \boxed{2}+\cfrac{1}{\boxed{1}+\cfrac{1}{\boxed{2}+\cfrac{1}{\boxed{1}+\cfrac{1}{\boxed{1}+\cfrac{2}{9}}}}}\\
&= \boxed{2}+\cfrac{1}{\boxed{1}+\cfrac{1}{\boxed{2}+\cfrac{1}{\boxed{1}+\cfrac{1}{\boxed{1}+\cfrac{1}{\boxed{4}+\cfrac{1}{\boxed{2}}}}}}}\cdotp
\end{align*}

Le lecteur appréciera les substitutions successives dans un sens peu fréquent. On pourrait certes continuer un rang de plus en écrivant \(\dfrac{1}{2}=\dfrac{1}{1+\dfrac{1}{1}}\) ce que, conventionnellement, on ne fait pas.
Et conventionnellement on écrit \(\dfrac{193}{71}=[2,\,1,\,2,\,1,\,1,\,4,\,2]\) qui constitue une représentation du rationnel \(\dfrac{193}{71}\) par une suite finie d’entiers appelée développement en fraction continue (DFC) de \(\dfrac{193}{71}\cdotp\)

Le lecteur fera de lui-même le lien avec l’algorithme d’Euclide (dans lequel on ne retiendra que les quotients) et l’unicité de la représentation.

La documentation sur les fractions continues est surabondante et l’APMEP y a grandement contribué ; il n’est pas utile de développer plus avant une notion dont il faut savoir qu’elle occupe une place centrale dans l’histoire des mathématiques, de l’antiquité à l’époque moderne, et qu’elle fournit une incroyable profusion de situations de calculs et de problèmes sur les nombres, il est vrai essentiellement dans des problèmes d’approximation.

Les nombres algébriques

Un nombre algébrique est un nombre, éventuellement complexe, racine d’un polynôme à coefficients entiers. Un nombre qui n’est pas algébrique est appelé un nombre transcendant. Outre les rationnels, \(\sqrt{2}\) et \(\text{i}\) sont deux exemples, \(\pi\) et \(\text{e}\) sont LES contre-exemples mais leur transcendance est hors de portée du lycée2.

Les plus simples des nombres algébriques irrationnels sont les \(\sqrt{n}\), pour \(n\) entier non carré. On peut sans doute affirmer qu’une bonne partie du calcul scolaire se passe dans l’extension \(\mathbb{Q}(\sqrt{k}, k \in [\![2,\,n]\!])\) avec \(n\) pas trop grand. La définition générale de la racine carrée

si \(r\) est un réel positif3, \(\sqrt{r}\) désigne l’unique réel positif dont le carré est \(r\)

pose le problème de l’existence, l’unicité étant simple. La figure suivante résout le problème géométriquement de façon satisfaisante en attendant la Terminale où l’on saura apporter des réponses diversifiées à cette existence, ce qui n’interdit pas de proposer des algorithmes d’approximation très tôt : « existe-t-il un nombre décimal dont le carré est 10 ? » est une activité pertinente dès que les décimaux sont connus.

On trouve fréquemment dans les manuels la construction règle et compas de \(\sqrt{n}\) (\(n\) entier) par l’escargot de Pythagore : tâche technique intéressante ; il est plus riche de relever le challenge de construire \(\sqrt{n}\) (pour \(n\) raisonnable) avec au plus trois triangles rectangles (tout entier est somme de quatre carrés).

La définition de nom de la racine carrée se traduit par une condition nécessaire et suffisante d’égalité : \[x=\sqrt{r}\ \textrm{ sssi } x \geqslant 0 \textrm{ et } x^2=r\] qui se généralise à la définition des racines \(n\)-ièmes.

Proposons un exemple faussement compliqué : \(\sqrt{9+\sqrt{17}}-\sqrt{9-\sqrt{17}}=\sqrt{2}\) ou \(\sqrt{9+\sqrt{17}}+\sqrt{9-\sqrt{17}}=\sqrt{34}\).

Le difficile : reconnaître un problème de la forme \(y=\sqrt{x}\) ; il suffit ensuite de …Il y aura bien un élève pour avoir envie d’écrire \(\sqrt{9+\sqrt{17}}=\sqrt{2}+\sqrt{9-\sqrt{17}}\) avant d’élever au carré, donc de belles discussions en perspective.

Une bonne question : inventer un autre exemple de cette forme.

On peut aussi s’attaquer à l’égalité \(\sqrt{a}+\sqrt{b}=\sqrt{c}\) (\(a,\,b,\,c\) entiers non carrés), après ou avant avoir rencontré au détour d’une copie la classique \(\sqrt{a+b}=\sqrt{a}+\sqrt{b}\).

Les racines des polynômes du second degré à coefficients entiers et à discriminant non nul sont sans aucun doute les nombres algébriques les plus fréquentés par les lycéens : \(r+s\sqrt{t}\) avec \(r,\,s \in \mathbb{Q}\) et \(t \in \mathbb{N}\) non carré. Il y a presque unicité d’écriture — question digne d’intérêt.

On peut observer que pour les nombres algébriques, la remarque de Chevallard sur l’utilité des calculatrices s’applique aussi bien et se met assez simplement en évidence sur un exemple de la forme \(a\sqrt{b}=\sqrt{c}\) avec \(a,\,b,\,c\) rationnels.

On peut envisager des égalités entre nombres algébriques plus intéressantes que l’élimination des radicaux du dénominateur. Une idée simple est qu’un nombre algébrique est presque caractérisé par le polynôme de degré minimal dont il est racine. Ainsi \(\sqrt{3}\) est caractérisé au signe près par le polynôme \(x^2-3\) et \(\sqrt{3}+\sqrt{5}\) par le polynôme \(x^4-16\,x^2+4\) et l’intervalle \([3,\,4]\) ; ce polynôme « minimal » permet de prouver (par le pair et l’impair) que \(\sqrt{3}+\sqrt{5}\) n’est pas rationnel (ce qui change du sempiternel \(\sqrt{2}\)).

Toutes sortes d’activités d’obtention/négation d’égalités sont possibles avec des nombres algébriques. Le fameux nombre d’or \(\varphi=\dfrac{1+\sqrt{5}}{2}\) racine positive du polynôme \(x^2-x-1\) est sans doute le plus célèbre et a fait l’objet d’innombrables publications. Un point intéressant est le calcul dans \(\mathbb{Q}[X]\) modulo \(X^2-X-1\) qui est exactement \(\mathbb{Q}[\varphi]\), type de calcul qu’on retrouvera avec \(\mathbb{C}\) qui est aussi bien \(\mathbb{R}[\text{i}]\) que \(\mathbb{R}[j]\) ou que \(\mathbb{R}[X]/(X^2+X+1)\).

Commencer par démontrer que \(a+b\,\varphi=a’ +b’ \varphi\) avec \(a,\,b,\,a’,\,b’\) rationnels implique \(a=a’\) et \(b=b’\) (unicité d’écriture). Puis simplifier (habilement) \(\varphi^n\) pour \(n =-2,\,-1,\, 0,\,1,\,2,\,3,\,4,\,\ldots\) juste assez pour voir apparaître (ou peut-être réapparaître) les nombres de Fibonacci, et conjecturer une formule générale qui peut faire l’objet d’une récurrence. Puis on peut s’intéresser à la suite des parties fractionnaires des \(\phi^n\). etc.

Terminons avec une caractérisation des nombres algébriques de degré 2 par la périodicité de leur développement en fraction continue due à Lagrange (1768). Si \(x \notin\mathbb{Q}\), les relations de récurrence \(x_0= x\), \(x_{n+1}= \dfrac{1}{\{x_n\}}\) et \(r_{n}=\lfloor x_n \rfloor\) définissent une suite d’entiers \((r_n)\) et on peut démontrer que la suite de rationnels \(\left([x_0,\,x_1,\, \cdots,\,x_n]\right)\) converge vers \(x\) mais ce résultat n’est pas utile dans sa généralité.

Prenons l’exemple le plus simple, celui de \(\varphi\) : \(\varphi=[\overline{1}]\) tout simplement. Il suffit de lire l’information contenu dans l’égalité \(\varphi=1+\dfrac{1}{\varphi}\) (on sait que \(\lfloor \varphi \rfloor=1\)).

Et \(\sqrt{2}=[1,\overline{2}]\) ; il suffit de réécrire convenablement l’égalité \(x^2-2=0\) sous la forme \(x=[x]+\dfrac{1}{?}\).

Et un peu plus long : \(\sqrt{7}=[2,\overline{1,1,1,4}]\).

La démonstration générale de la périodicité n’est pas simple mais peut-être accessible à un lycéen. L’argument est tout-à-fait semblable à celui qui permet de démontrer que le développement décimal des rationnels non décimaux est périodique : une infinité d’entiers ne pouvant prendre qu’un nombre fini de valeurs. On la trouvera, limpide, dans le petit bijou de Jean Itard [3] ; la clé est la mise en évidence d’un invariant.

La motivation est de fournir des contextes de calcul riches et des calculs non triviaux sans être déraisonnables.

Les réduites du DFC de \(x\) sont très proches de \(x\), en un certain sens les plus proches ; elles fournissent à l’enseignant de lycée des exercices pertinents : par exemple, comparer \(\dfrac{275\,807}{195\,025}\) et \(\sqrt{2}\) ; on sait que ces deux nombres ne sont pas égaux. La calculatrice est ici douteuse car elle donne une différence seulement sur le onzième chiffre décimal ; une réécriture de \(\delta=\dfrac{a}{b}-\sqrt{2}\) basée sur l’improbable \(u-v=\dfrac{u^2-v^2}{u+v}\) — a contrario des exercices « chasse aux radicaux des dénominateurs » — conduit à \(\textrm{sgn}(\delta)=\textrm{sgn}(a^2-2\,b^2)\). La calculatrice permet alors de conclure.

Pour clore cette section, un exercice de contemplation.

Anthyphérèse est le nom qu’Euclide donnait à son algorithme (qui n’était sans doute pas « le sien ») qui concerne des grandeurs. Il consiste, étant données deux grandeurs inégales, à retirer toujours la plus petite de la plus grande ; si le processus conduit à deux grandeurs égales, il fournit une commune mesure des deux grandeurs de départ ; si le processus est illimité, les deux grandeurs sont incommensurables.

La figure ci-contre illustre l’application de l’anthyphérèse à la diagonale du carré et à son côté. À la deuxième étape, on aboutit au demi-carré \(OA_2A_3\) semblable à \(OA_1A_0\) : donc le processus ne se termine pas, la diagonale et le côté sont incommensurables.

Mais il y a plus : un œil moderne y lit le DFC de \(\sqrt{2}\) : \([1,\,2,\,2,\,\cdots]\). Le lecteur appréciera la beauté géométrique du procédé.

Les réels

Comment démontrer que deux nombres réels (non algébriques) sont égaux (ou inégaux) ? Faute d’une définition de \(\mathbb{R}\), il n’y a pas de méthode générale, chaque égalité est particulière. On ne dispose même pas d’une représentation d’un réel quelconque, comme on en dispose pour les autres systèmes de nombres, puis plus tard pour les complexes ou encore plus tard pour les matrices : soit \(x \in \mathbb{R}\) ; que peut-on écrire après le signe égale \(x=?\). Il y a certes des développements décimaux illimités mais condamnés à l’exil.

Il est assez extraordinaire qu’Eudoxe (IV siècle avant J.C.) qui ne disposait certes pas du concept de nombre réel, mais de celui de rapport de deux grandeurs de même espèce (longueur, aire, volume), ait réussi à définir l’égalité de deux tels rapports (ce qu’on appelle depuis une proportion) ; en notations très anachroniques mais plus intelligibles pour le lecteur du XXIe siècle : soient \(A,B\) et \(C,D\) deux couples de grandeurs de même espèce ; alors \[\dfrac{A}{B}=\dfrac{C}{D}\textrm{ ssi pour tous } p,\,q \in \mathbb{N}^{\ast}, \begin{cases} p\,A > q\,B \textrm{ implique } p\,C > q\,D \\
p\, A = q\, B \textrm{ implique } p\,C = q\,D \\ p\,A < q\,B \textrm{ implique } p\,C < q\,D \end{cases}\]

Le lecteur pourra tester l’efficience de cette définition en essayant de prouver les implications : \(\dfrac{A}{B}=\dfrac{C}{D}\) implique \(\dfrac{B}{A}= \dfrac{D}{C}\) (facile) ou \(\dfrac{A}{B}=\dfrac{C}{D}\) implique \(\dfrac{A}{C}= \dfrac{B}{D}\) (coriace) ; signalons quand même que cette dernière implication n’arrive qu’à la proposition 16 du livre V des Éléments d’Euclide. Dans [4], Jean Dhombres procède à une analyse fine du livre V.

On a envie de voir dans cette définition les prémisses de la définition des coupures de Richard Dedekind.

Les propriétés (admises ou démontrées) de l’ensemble \(\mathbb{R}\) vont fournir tous les outils utiles :

  • la structure de corps commutatif totalement ordonné, structure qui reste implicite dans la scolarité mais qui est présente sous la forme d’un catalogue de propriétés se constituant à la demande et à dire vrai plus ou moins disponibles ;

  • l’archimédie ; on en déduit la densité de \(\mathbb{Q}\) (ou de \(\mathbb{D}\)) dans \(\mathbb{R}\) en formalisant la preuve visuelle ci-dessous :

    En particulier, si \(x \in \mathbb{R}^+\) quelque soit l’entier \(q\), il existe \(p\) tel que \(\dfrac{p}{q} \leqslant x < \dfrac{p+1}{q}\) ; c’est la notion d’approximation rationnelle de \(x\) à \(\dfrac{1}{q}\) près ; en cette époque du tout séquentiel, on préfère parler de suite de rationnels convergeant vers \(x\).

    Il s’agit d’une propriété fondamentale au sens premier : tout irrationnel est limite d’une suite de rationnels. À la question : « soit \(x \in \mathbb{R}\) ; que peut-on dire ? » la réponse est : « il existe une suite \((r_n)\) de rationnels telle que \(x = \lim r_n\) ». Et si \(y\) est un deuxième nombre réel, limite des rationnels \(s_n\), il suffira de démontrer que \((r_n-s_n)\) converge vers \(0\) pour avoir \(x=y\).

    L’archimédie permet tout aussi bien de définir la partie entière ce qui conduit aux approximations décimales \[\textrm{pour tout}\ n \in \mathbb{N},\ 10^{-n}\lfloor 10^n\,x \rfloor \leqslant x < 10^{-n}\left(\lfloor 10^n\,x\rfloor+1\right)\] approximations plus familières sans doute à nos élèves ;

  • le théorème de la convergente croissante majorée (faux dans \(\mathbb{Q}\)) qui achève de caractériser pleinement \(\mathbb{R}\) ;

  • il convient d’ajouter une propriété qui accompagne les élèves tout au long de leur scolarité : la représentation des nombres sur une droite graduée, représentation « complète » avec les réels (c’est un axiome de la géométrie). Cette représentation intuitive est certainement pertinente pour l’intelligence des réels à la condition d’être travaillée et qu’il ne faudrait pas considérer comme allant de soi.

    Toutes les opérations peuvent être représentées sur une droite graduée en plongeant éventuellement la droite considérée dans le plan ; en géométrie plane repérée, toutes les fonctions usuelles peuvent être construites avec l’outil lieu des logiciels de géométrie dynamique.

    Il existait jusque dans le milieu du XXe siècle, un corpus de savoirs et de techniques rassemblés dans l’appellation de « calcul graphique » aujourd’hui oubliés de la communauté des enseignants de mathématiques (mais pas de celle des collègues de sciences de l’ingénieur) ; quelques historiens, comme Dominique Tournès, s’efforce de ramener dans notre mémoire collective ce précieux capital culturel [5].

Nous allons donner quelques preuves d’égalités qu’à une époque ou à une autre, l’institution a estimé utile d’être enseignées. Le mot « preuve » est employé à dessein à la place de celui de démonstration pour en accentuer la composante psychologique : d’abord faire comprendre ce qui est en jeu, « éclairer » dirait Clairaut, au prix d’éventuelles entorses à la rigueur d’aujourd’hui.

L’aire du rectangle

Illustrons la façon dont on utilisait jadis une condition simple d’égalité des réels \(x\) et \(y\) : pour tout \(\varepsilon>0\), \(|x-y| \leqslant \varepsilon\) sur l’exemple de l’« aire » du rectangle. L’archimédie permet de se limiter à une suite de \(\varepsilon\) de la forme \(\dfrac{1}{n}\cdotp\)

En préalable, on peut toujours choisir une unité d’aire adaptée, par exemple en choisissant une unité de longueur u et comme unité d’aire u\(^2\).

Soient \(L\) et \(\ell\) les (mesures des) longueurs des côtés et \(S\) la mesure de l’aire du rectangle ; on veut démontrer que \(S=L\,\ell\).

On commence par le cas \(L\) et \(\ell\) entiers (cycle 3) ; un dessin (sur l’exemple générique de la tablette de chocolat) suffit pour emporter la conviction : l’aire du rectangle est \((L \times \ell)\, \texttt{u}^2\). C’est ce stade qu’il convient de dépasser.

Puis on aborde le cas \(L\) et \(\ell\) rationnels (cycle 4) ; alors \(L\) et \(\ell\) sont commensurables, c’est-à-dire ont une commune mesure \(\dfrac{1}{q}\) dont ils sont des multiples (une « partie aliquote ») : \(L=\dfrac{r}{q}\) et \(\ell=\dfrac{s}{q}\). Un dessin sur un exemple est le bienvenu : en prenant comme unité de longueur \(\texttt{v}=\dfrac{1}{q}\,\texttt{u}\), on est ramené au cas précédent : l’aire est

\[(r\,s)\, \texttt{v}^2=\dfrac{r}{q}\times \dfrac{s}{q}\, \texttt{u}^2, \textrm{ donc } S=L\,\ell\]

Enfin, le cas difficile, inaccessible même : \(L\) et \(\ell\) réels (Seconde) ; fixons une précision \(\dfrac{1}{q}\) assez petite pour que \(q>(L+1)+(\ell+1)\), précision déterminant des approximations rationnelles \(\dfrac{r}{q}\) et \(\dfrac{s}{q}\) de \(L\) et \(\ell\) à \(\dfrac{1}{q}\) près. Donc \[\dfrac{r}{q}\dfrac{s}{q} \leqslant L\,\ell < \dfrac{r+1}{q}\dfrac{s+1}{q}\] À l’aide au besoin d’un dessin pour visualiser les inclusions utiles, on a aussi (en utilisant le cas précédent), \[\dfrac{r}{q}\dfrac{s}{q} \leqslant S < \dfrac{r+1}{q}\dfrac{s+1}{q}\] et donc \(|S-L\times\ell|<\dfrac{(L+1)+(\ell+1)}{q^2}<\dfrac{1}{q}\) ; d’où l’égalité.

Le lecteur ne manquera pas de relever les implicites voire les lacunes de ce texte qui n’est finalement qu’une démonstration de continuité du produit \((x,\,y) \longmapsto x\,y\) mais l’intérêt est ailleurs.

Le théorème de Thalès

Il s’agit de prouver une égalité de rapports de longueur. Renvoyons le lecteur à l’article [6] de Pierre Legrand paru dans cette excellente revue qu’est Au Fil des Maths. La similitude avec la preuve précédente est patente.

La dérivée de sin

Tout se ramène à démontrer que \(\displaystyle \lim_{\stackrel{\scriptstyle x \to 0}{x>0}}\dfrac{\sin(x)}{x}=1\).

Supposons \(0<x<\dfrac{\pi}{2}\) ; la figure parle d’elle-même : on y lit les inclusions

\(\rm{triangle}(OPM) \subseteq \rm{secteur}(OAM) \subseteq \rm{triangle}(OAT)\)

ou tout aussi bien avec des longueurs

\(PM \leqslant AM \leqslant \rm{arc}(AM) \leqslant AS+SM \leqslant AT\)

donc \(\displaystyle \sin(x) \leqslant x \leqslant \tan(x)\)

d’où l’on déduit \(\displaystyle 0 \leqslant 1-\dfrac{\sin(x)}{x} \leqslant 1-\cos(x)\).

Puis \(1-\cos(x)=PA \leqslant AM \leqslant x\) d’où la conclusion.

Cette très belle démonstration a été contestée pour manque de rigueur puis abandonnée par l’institution. Coucou, elle revient dans les programmes de CPGE. C’est un travail d’enquête intéressant d’en chercher les lacunes et de voir comment elles pourraient être corrigées, selon le niveau considéré !

Bien d’autres questions d’égalité mériteraient d’être convoquées ici : les démonstrations par exhaustion utilisées par les mathématiciens grecs antiques — Euclide, Archimède — pour la « mesure » du cercle ou de la spirale d’Archimède, la quadrature du cercle, de la parabole, le cubage de la pyramide, de la sphère. On pourrait aussi convoquer les indivisibles de Bonaventura Cavalieri avec la quadrature de la cycloïde ; toutes ces questions sont abondamment documentées et susceptibles de nourrir le travail sur l’infini (chercher « méthode d’exhaustion » et « méthode des indivisibles » dans les mots-clés sur publimath).

Quelques égalités célèbres

Nous excluons tout ce qui relève de techniques algébriques, y compris celles mettant en jeu les fonctions « transcendantes » trigonométriques, exponentielles, logarithme, comme l’égalité classique \[\cos\dfrac{2\,\pi}{7}+\cos\dfrac{4\,\pi}{7}+\cos\dfrac{8\,\pi}{7}=-\dfrac{1}{2}\]

Ce qui différencie fondamentalement le calcul dans \(\mathbb{Q}\) de celui dans \(\mathbb{R}\), c’est l’intervention de procédés mettant en jeu l’infini, ou pour le dire autrement des limites : convergence de suites, continuité de fonctions, dérivation, intégration …

Série géométrique

\[\boxed{\textrm{ si } q \not = 1 \quad \sum_{k=0}^n q^k=\dfrac{q^{n+1}-1}{q-1} \textrm{ et pour } |q|<1,\ \lim_{n \to \infty}\left\{\sum_{k=0}^n q^k \right\}=\dfrac{1}{1-q}}\]

On sait l’incroyable difficulté des élèves (et étudiants) à enregistrer correctement ces informations et ne parlons pas de celle pour retrouver/autocontrôler une formule d’usage constant.

Pour varier les plaisirs, voici une preuve visuelle tirée du livre de Nelsen [7] qui en contient des centaines, preuve qui se passe de commentaire : le décodage fait partie de la lecture.

Les triangles \(ABC\) et \(EDA\) sont semblables ; donc …

C’est la proposition 35-IX des Éléments d’Euclide.

Formule de Leibniz

\[\boxed{1-\dfrac{1}{3}+\dfrac{1}{5}-\dfrac{1}{7}+\cdots=\dfrac{\pi}{4}}\]

Cette très belle égalité a fait l’objet d’au moins un sujet de baccalauréat : Nouvelle-Calédonie, 1986.

La première étape est d’obtenir l’égalité \[1-\dfrac{1}{3}+\dfrac{1}{5}-\dfrac{1}{7}+\cdots=\int_0^1\dfrac{1}{1+x^2}\,\text{d}x\] par une majoration d’intégrale.

La deuxième est de calculer l’intégrale, ni la fonction \(\arctan\), ni a fortiori sa dérivée n’étant connues. Il est facile de faire retrouver cela, y compris avec les outils du programme actuel. Je ne résiste pas à la tentation de proposer un calcul graphique imaginé par le mathématicien danois Aage Bondesen, empruntée à Nelsen.

On applique la méthode des rectangle à la fonction \(t \longmapsto \dfrac{1}{2\,(1+t^2)}\) sur l’intervalle \([0,\,1]\) et transférée au huitième de cercle.

Deux homothéties de centre \(\mathsf{A}\) et de rapport respectif \(\cos(\theta_{i})\) et \(\cos(\theta_{i-1})\) donne \[\text{aire}(\mathsf{ATU})=\dfrac{1}{2}\cos^2(\theta_i)\,\Delta t=\dfrac{\Delta t}{2\,(1+t_i^2)}=\text{aire}(\mathsf{HMLJ})\] et \[\text{aire}(\mathsf{AVW})=\dfrac{1}{2}\cos^2(\theta_{i-1})\,\Delta t=\dfrac{\Delta t}{2\,(1+t_{i-1}^2)}=\text{aire}(\mathsf{HKNJ})\]

Il s’agit bien d’égalités exactes et pas seulement approximatives.

Est-il besoin d’ajouter une explication ?

Un petit passage à la limite avec une belle unicité de la limite fournit

\[\int_0^1\dfrac{1}{2\,(1+t^2)}\,\text{d}t =\dfrac{\pi}{8}\cdotp\]

C’est tout simplement magnifique d’ingéniosité.

Le nombre d’Euler

\[\boxed{\lim_{n \to \infty}\left(1+\dfrac{1}{n}\right)^n=\text{e}\;(= \text{exp}(1))}\]

Si on dispose de la fonction logarithme, la question est vite réglée ; rappelons à ce sujet le rôle essentiel des inégalités \(\dfrac{x}{1+x} \leqslant \ln(1+x) \leqslant x\) dans toute l’analyse élémentaire.

Mais peut-on déduire, sans détour déraisonnable et en restant dans le cadre du lycée, cette limite de la définition de la fonction exponentielle : \(\text{exp}’ =\text{exp}\) et \(\text{exp}(0)=1\) ?

La réponse est (presque) positive et s’appuie sur la méthode d’Euler relative à la résolution approchée des équations différentielles. L’intérêt est d’expliquer une origine de la suite des \(\left(1+\dfrac{1}{n}\right)^n\cdotp\) Les logiciels de géométrie dynamique permettent d’illustrer parfaitement la méthode (moyennant un labeur certain).

Tout repose sur des manipulations d’inégalités ; sans entrer dans les détails :

  • la mise en œuvre de la méthode d’Euler (à pas régulier) sur l’intervalle \([0,\,1]\) conduit aux approximations

    \(\exp\left(\dfrac{k}{n}\right) \approx \left(1+\dfrac{1}{n}\right)^k\) pour \(1 \leqslant k \leqslant n\). Notons que la convexité de \(\exp\) donnent des approximations par défaut. Le problème est de majorer \(\exp(1) – \left(1+\dfrac{1}{n}\right)^n\) ;

  • On a besoin d’une inégalité taylorienne :

    une i.p.p. fournit l’égalité \(\displaystyle\int_a^x(x-t)f^{\prime\prime}(t)\,\text{d}t=f(x)-f(a)-f'(a)(x-a)\) ; joli parachutage ; bien sûr, il est préférable d’aboutir à cela par une heuristique qui pourrait démarrer par \(\displaystyle f(x)-f(a)=\int_a^x f'(t)\,\text{d}t\).

    Appliquée à \(\exp\) entre \(\dfrac{k}{n}\) et \(\dfrac{k+1}{n}\), on obtient la majoration \(\exp\left(\dfrac{k+1}{n}\right)-\left(1+\dfrac{1}{n}\right)\exp\left(\dfrac{k}{n}\right) \leqslant \dfrac{\text{e}}{2\,n^2}\) et un télescopage plutôt classique fournit \(\text{e}-\left(1+\dfrac{1}{n}\right)^n \leqslant \dfrac{\text{e}^2}{2\,n}\) qui permet de conclure.

Un développement du nombre d’or

Illustrons une question type du baccalauréat de ces dernières années à base de « suite récurrente ». Soit à démontrer l’égalité

\[\sqrt{1+\sqrt{1+\sqrt{1+ \sqrt{1+\sqrt{1+\cdots}}}}}=\dfrac{1+\sqrt{5}}{2}\cdotp\]

Il y a déjà un problème de signification, donc d’existence du membre de gauche. Si cette écriture désigne bien un nombre réel, appelons-le provisoirement \(x\) ; on a \(x \geqslant 0\) et on a bien envie d’écrire \(x=\sqrt{1+x}\) donc \(x=\varphi\). Bon, avec les \(\cdots\) et l’infini, il convient d’être prudent.

Le déchiffrage du membre de gauche révèle quelque chose qui se répète « à l’infini » : \[\sqrt{1}\quad \sqrt{1+\sqrt{1}} \quad \sqrt{1+\sqrt{1+\sqrt{1}}} \quad \sqrt{1+\sqrt{1+\sqrt{1+\sqrt{1}}}}\quad \ldots\]

L’invariant est le passage d’un nombre au suivant selon l’algorithme \(\square \longmapsto \sqrt{1+\square}\), ce qui montre que la formule se développe par la gauche et non pas par la droite comme l’indique les points de suspension initiaux ; est-ce bien le même nombre ?

Avec les notations habituelles, on définit alors une suite en posant \(u_0=0\) et pour tout \(n\), \(u_{n+1}=\sqrt{1+u_n}\). Ici encore, phénomène très instructif, peu d’étudiants pourtant biberonnés aux suites récurrentes sont à même de faire cette lecture inverse.

Une fois acquise la convergence de la suite, dans le cas présent par application du théorème de la convergence croissante majorée, reste la conclusion en trois étapes dont nous allons nous autoriser le détail :

  • si la suite \((u_n)\) converge vers \(\ell\), alors la suite \((u_{n+1})\) converge aussi vers \(\ell\). On pourrait dire : « ne pinaillons pas, c’est la même suite décalée ». Mais c’est l’intelligence de la définition de la convergence qui devrait faire comprendre qu’on ne modifie pas la convergence et la limite d’une suite en modifiant ou supprimant ou ajoutant un nombre fini de termes. C’est toute la notion de propriété asymptotique qui est en jeu. Cette intelligence est un travail de longue haleine ;

  • ensuite la suite \(\left(\sqrt{1+u_n}\right)\) converge vers \(\sqrt{1+\ell}\) par caractérisation séquentielle de la continuité, ce qui demande de valider la continuité en \(\ell\) qui est inconnu. Cette propriété est absolument fondamentale et ne saurait être évacuée de l’argumentation. En général, on utilise un argument de monotonie ou de passage à la limite dans les inégalités larges ;

  • enfin, l’égalité \(\ell=\sqrt{1+\ell}\), obtenu par un argument d’unicité de la limite (ou aussi bien dit, de passage à la limite dans les égalités) qui peut sembler anodin, voire trivial et certes, le lycéen ne risque pas de rencontrer des topologies non séparées ; mais au début du XXe siècle, on trouvait dans les cours d’algèbre une leçon intitulée méthode des limites dont l’un des tous premiers théorèmes énonçait : une quantité variable ne peut tendre vers deux limites inégales.

Il semble bien que, l’évaluation bienveillante aidant, la précision dans la justification des « passages à la limite » a été laissée à la charge des cursus ultérieurs, ce qui se conçoit bien. Les étudiants de première année du supérieur ont bien du mal à comprendre qu’on ne puisse se satisfaire, au moins dans une première phase de mise au clair des déductions, du magique « en passant à la limite, on a … ».

Conclusion

Cette promenade dans les ensembles de nombres avait pour intention de pointer une difficulté d’importance pour l’enseignement : toute définition raisonnable d’un objet mathématique, donc d’un ensemble, devrait s’accompagner d’une définition pratique de l’identité dans cet ensemble.

Les lignes précédentes ont au moins mis en avant une évidence : dans le domaine numérique, égalité et inégalité sont inséparables ; Michel Serfati a bien mis en relief le nécessaire développement simultané de ces deux figures constitutives de l’écriture symbolique : le « deux-traits » de Recorde et les « coins » d’Harriot [8].

Références

  1. Alain Duroux. « La valeur absolue : difficultés majeures pour une notion mineure ». In : Petit \(x\) n° 3 (1983). , p. 43-67. ↩

  2. Benoît Rittaud et Laurent Vivier. Algorithmes des 4 opérations de base sur les rationnels en écritures décimales. Disponible sur HAL : . 2011. ↩

  3. Jean Itard. Arithmétique et théorie des nombres. Coll. Que sais-je ? PUF, 1967. ↩

  4. Jean Dhombres. Nombre, mesure et continu. Sur Publimath, la page possède un lien vers une version de 1976. CEDIC/NATHAN, 1978. ↩

  5. Dominique Tournès. « Pour une histoire du calcul graphique ». In : Revue d’histoire des mathématiques n° 6 (2000). Consulter , p. 127-161. ↩

  6. Pierre Legrand. « Thalès et ses mystères ». In : Au fil des maths n° 539 (janvier-mars 2021). ↩

  7. Roger Nelsen. Preuves sans mots. Hermann, 2013. ↩

  8. Michel Serfati. La révolution symbolique. Éditions PETRA, 2005. ↩

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L’auteur, à la retraite depuis quelques années, continue de s’intéresser aux mathématiques et à leur enseignement.


  1. Puis, en sens inverse, de demander une équation pour un parallélogramme…↩︎

  2. L’irrationalité est par contre classique mais pas simple↩︎

  3. Rappelons que \(0\) est positif.↩︎

Pour citer cet article : Boucher F., « Petite enquête sur … l’égalité (II) Complément numérique », in APMEP Au fil des maths. N° 541. 29 juin 2022, https://afdm.apmep.fr/rubriques/ouvertures/petite-enquete-sur-legalite-ii-complement-numerique/.


Une réflexion sur « Petite enquête sur … l’égalité (II) Complément numérique »

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