À propos de mots

Produit, quotient, base … Voici les courriers de deux collègues qui ont souhaité partager leurs réflexions autour de l’usage de ces mots, en classe, avec les élèves.

Véronique Cerclé & Sonia Calvel-Grazi

© APMEP Septembre 2021

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Produit et quotient (Véronique Cerclé)

Valeur ou écriture?

L’article de Pascal Michel paru dans Au fil des maths n°535 visait à attirer notre attention sur la confusion fréquente entre la valeur du nombre et l’écriture du nombre. Formatrice pour le second degré, je fais un travail similaire avec les stagiaires sur d’autres exemples concernés par la question valeur/écriture : en particulier, je les questionne sur la notion de produit et celle de quotient. Pour mémoire, Pascal Michel faisait le parallèle entre les phrases «Paris est une ville et un nom de cinq lettres» et « \(\dfrac{\mathstrut2}{\mathstrut5}\) est une fraction irréductible et un nombre plus petit que \(1\) », où une partie de la phrase parle de l’écriture (« Paris est un nom de cinq lettres », « \(\dfrac{\mathstrut2}{\mathstrut5}\) est une fraction irréductible »), l’autre partie parle du sujet désigné par cette écriture (« Paris est une ville » et « \(\dfrac{\mathstrut2}{\mathstrut5}\) est un nombre plus petit que \(1\) »).

En mathématiques, les écritures \(\dfrac{\mathstrut2}{\mathstrut5}\) ; \({0,4}\) ; 40 % dénotent le même nombre. On peut faire le parallèle avec la géométrie  : de même qu’il ne faut pas confondre la figure (objet théorique qui appartient au monde des idées) avec ses représentations (dessins à main levée, dessins aux instruments, dessins codés, etc.), il ne faut pas confondre le nombre (objet théorique, abstrait) de ses écritures (écritures décimale, binaire, fractionnaire, ou même écriture égyptienne ou maya…)

Le nombre est donc un concept qu’on représente à l’aide de différentes écritures. On dit que les écritures \(\dfrac{\mathstrut2}{\mathstrut5}\) ; \({0,4}\) ; 40 % dénotent le même nombre, car elles ont la même valeur (\(\dfrac{\mathstrut2}{\mathstrut5}\) vaut \({0,4}\)), elles vérifient la relation d’équivalence « être égal à » : \(\dfrac{2}{5}={0,4}={40}{\%}\), dont le nombre serait la classe d’équivalence. En mathématiques, on peut traduire « avoir la même dénotation » par « avoir la même valeur » ou « être égaux » ; je parlerai de « dénotation » ou de « valeur » pour mettre en évidence ce point de vue sur le nombre.

En mathématiques, on parle d’écriture ou de forme. Le fait de disposer de différentes écritures permet une multiplicité de regards qui enrichit la connaissance du nombre (concept) représenté. Comme le fait remarquer Pascal Michel, beaucoup de mots en mathématiques sont utilisés tantôt pour évoquer la valeur tantôt pour évoquer l’écriture, ce qui peut avoir des effets néfastes sur l’enseignement. C’est le cas des mots produit et quotient.

Le mot produit

On lit très souvent la définition suivante : « Un produit est le résultat d’une multiplication ». Cette définition amène à considérer la notion de produit comme un résultat (la valeur, le nombre dénoté), ce qui pourrait conduire à la situation de classe suivante :

Leçon :

Un produit est le résultat d’une multiplication.

Exercice

Entoure les produits parmi :

\(15\qquad 3\times 5\qquad 8+7.\)

Un élève explique : « J’ai entouré \(15\) qui est le résultat de la multiplication \(3\times 5\). J’ai entouré \(8+7\) parce que c’est \(15\), et \(15\) est le résultat de la multiplication \(3\times 5\). Je ne sais pas s’il faut entourer \(3\times 5\) parce que ça ne donne pas le résultat. »

Ainsi on voit que la phrase « Un produit est le résultat d’une multiplication. » institutionnalisée dans certains manuels ou cahiers d’élèves et la consigne de l’exercice « Écrire \(15\) sous la forme d’un produit » peuvent ne pas paraître compatibles : au sens de la leçon, \(15\) est déjà un produit puisque c’est le résultat de \(3\times 5\) ! De plus, le fait d’écrire \(15\) sous la forme \(3\times 5\) enrichit la connaissance du nombre « quinze » représenté par ces écritures, en montrant par exemple qu’il n’est pas premier.

Le produit est donc un mode de dénotation (mode d’écriture) et pas la dénotation elle-même. Il me semble que la bonne phrase est

Un produit est une écriture sous la forme d’une multiplication (forme \(A \times B\)).

D’ailleurs la plupart des utilisations ultérieures du mot produit font référence à l’écriture. Ainsi, quand on dit « le produit est/n’est pas commutatif », on veut dire que les produits \(A \times B\) et \(B \times A\) (donc les deux écritures \(A \times B\) et \(B \times A\)) donnent/ne donnent pas le même résultat.

Mais surtout dans le calcul littéral, le mot « factoriser » signifie « transformer une somme en produit ». Le verbe transformer fait bien référence à la forme (transformer, c’est changer de forme), on change l’écriture sans changer la dénotation (la valeur, car les objets écrits sont égaux). Factoriser c’est faire apparaître une multiplication : l’écriture « produit » doit bien mettre en évidence une multiplication.

Le mot quotient

C’est plus compliqué pour le quotient. Là encore, le mot est souvent utilisé pour désigner le résultat, comme dans la phrase donnée dans les programmes « On ne change pas un quotient en multipliant le numérateur et le dénominateur par un même nombre (non nul) ». Mais une telle phrase ne prend pas en charge la problématique discutée ici, puisque le mot quotient peut désigner à la fois une écriture (l’écriture d’une division, évoquée par les mots numérateur et dénominateur) et le résultat de cette division.

Pascal Michel invitait à clarifier l’utilisation du mot « fraction », en mettant en lumière qu’il renvoie bien à l’écriture, une fraction désignant « un nombre en écriture fractionnaire ». Il me semble que les mêmes précautions devraient s’appliquer au mot quotient : une fraction est un quotient qui met en jeu des entiers. Ainsi, ce que l’élève doit entendre c’est bien que « si on multiplie ou divise le numérateur et le dénominateur par un même nombre (non nul), on ne change pas la valeur du quotient, [mais on change son écriture] ».

Comme le produit, le quotient est aussi un mode de dénotation des nombres, qui enrichit leur connaissance : écrire \(15\) sous la forme \(\dfrac{\mathstrut30}{\mathstrut2}\) montre qu’il est rationnel.

Et en calcul algébrique…

Les mots quotient et produit sont souvent utilisés dans des énoncés similaires : « Écrire \(f(x)\) sous la forme d’un produit, d’un quotient » fait explicitement référence à l’écriture. Si les consignes « faire le tableau de signes d’un produit/d’un quotient » ou les règles donnant « limite ou dérivée d’un produit/d’un quotient » semblent de prime abord parler du résultat, elles font aussi référence à l’écriture, puisqu’elles concernent un résultat exprimé sous une certaine forme (produit/quotient).

Les expressions numériques ou littérales peuvent donc être écrites sous différentes formes : les formes somme, produit, quotient. La notion d’écriture est souvent aussi désignée par le mot forme : ainsi un complexe non nul a différentes écritures/formes: algébrique, trigonométrique, exponentielle. De telles écritures peuvent être qualifiées de « canoniques » dans le sens où chaque objet a une unique écriture de cette forme, deux objets sont égaux si et seulement si ils ont la même écriture. Pour le trinôme, la forme factorisée n’est pas unique:

\[(2x-4)(x+3)=(x-2)(2x+6)=2(x-2)(x+3)\] sauf si on impose la forme \[a(x – \alpha_1)(x – \alpha_2)\] Transformer, c’est changer l’écriture (la forme), et pour ça on dispose de formules (magiques, comme la sorcière transforme la citrouille en carrosse !). En ce sens, « ajouter deux fractions » c’est bien « ajouter deux nombres en écriture fractionnaire », ou encore « transformer la somme de deux fractions en une seule fraction » : c’est bien un jeu d’écritures !

Base (Sonia Calvel-Grazi)

Voici une réflexion sur l’emploi du mot base dans la formule de l’aire d’un triangle et sur la pertinence de cet usage.

Dans la formule « \(\text{base}\times\text{hauteur}\, :\, 2\) », il faut lire « longueur de la base fois longueur de la hauteur divisé par \(2\) » et donc que la base est un segment (c’est même un des trois côtés du triangle !) tout comme la hauteur. Un certain nombre de problèmes de sens des mots mathématiques et donc de didactique se posent alors :

  • pour donner du sens à ce que l’on fait, on montre souvent aux élèves que l’aire d’un triangle est la moitié de l’aire d’un rectangle ; nous appelons ainsi « base » (respectivement « hauteur ») un des côtés du rectangle : vocabulaire jamais employé auparavant ;

  • dans le cas d’un triangle isocèle, les élèves savent que la base est le côté opposé au sommet principal ; et donc, dans le cas où ils doivent calculer l’aire d’un triangle isocèle avec cette formule, un bon nombre d’élèves peut penser qu’il n’y a qu’un seul calcul possible (et non trois…) ; certains, même, ne comprennent pas que l’on passe d’une seule base à trois (et que les côtés de même longueur du triangle isocèle puissent devenir des bases eux aussi !) ;

  • dans le cas d’un triangle rectangle, l’hypoténuse porterait un deuxième nom puisque nous pouvons aussi l’appeler base ; nous leur donnons, par ailleurs, pour les deux autres côtés d’autres mots de vocabulaire dans le chapitre de trigonométrie, pour le calcul d’un cosinus et d’un sinus mais jamais celui de base ;

  • les élèves confondent la base d’un solide avec la base d’un triangle.

De plus, les élèves dans les « petites » classes pensent que la base est forcément le côté sur lequel «repose» le triangle et donc qu’une seule existe.

Il est par ailleurs intéressant de faire l’expérience de demander à nos élèves au moment de se remémorer la formule de l’aire d’un triangle : « Qu’est-ce que la base? » On peut ainsi s’apercevoir que très peu d’entre eux, voire aucun, ne sait y répondre correctement.

Aujourd’hui, nous savons tous qu’une condition indispensable pour la réussite de nos élèves est de donner plus de sens à ce que l’on fait et ce, dès l’enseignement des mathématiques à l’école primaire. Or, l’emploi de ce mot base manque cruellement de sens et va même à l’encontre de tout ce que l’on dit aux élèves par ailleurs. Pourquoi donc ne pas militer pour qu’il soit simplement changé par le mot côté?

Pour conclure, on peut dans ce cas nous reprocher que si la formule avec le mot base est donnée à nos élèves lors d’un examen, ils se trouveront démunis. Je ne le pense pas. Ils ont, en effet, tous déjà entendu la formule avec le mot base. Il faut alors leur expliquer que ce qui est désigné par base dans la formule est simplement un côté, mais que cela nous parait plus correct d’utiliser celui de côté et pourquoi (une discussion doit avoir lieu à ce sujet).

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Véronique Cerclé est professeure de mathématiques au lycée Jean Moulin de Pézenas et formatrice à l’INSPÉ de Montpellier.

Sonia Calvel-Grazi est professeure de mathématiques au collège du Manet à Montigny-le-Bretonneux.

NDLR

Et voilà qui rappelle le travail mené par des collègues de l’APMEP, qui se sont réunis pendant plus de vingt ans pour réfléchir autour des mots : « Nous pensons qu’une réflexion sur le vocabulaire, si on la mène assez loin, débouche sur le fond même des notions mathématiques évoquées et sur leur introduction pédagogique éventuelle.» Entre 1973 et 1991, ils ont publié neuf brochures « MOTS Réflexions sur quelques mots-clés à l’usage des instituteurs et des professeurs »1, accessibles en ligne . Si vous souhaitez partager vous aussi vos réflexions sur certains mots, n’hésitez pas à nous écrire !


  1. Des exemplaires papier de MOTS V (brochure n°37) et de MOTS VII (brochure n°57) sont encore disponibles. Si vous êtes intéressés, adressez-vous par courriel ou par courrier au secrétariat.
Pour citer cet article : Calvel-Grazi S. et Cerclé V., « À propos de mots », in APMEP Au fil des maths. N° 541. 4 décembre 2021, https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/a-propos-de-mots/.


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