La quadrature du cercle hyperbolique

En géométrie euclidienne, il n’est pas possible de construire à la règle et au compas un carré de même aire qu’un disque donné. En est-il de même en géométrie hyperbolique ? Réponse dans cet article ! Bon voyage en pays hyperbolique.

Pierre Osadtchy

© APMEP Septembre 2021

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Introduction

Définition

Le disque de centre \(\mathsf{O}\) et de rayon \(1\), privé de son bord, est appelé disque de Poincaré et noté \(\mathbb{D}\).

Dans \(\mathbb{D}\), la longueur euclidienne usuelle d’une courbe \(\gamma\) définie par \[L(\gamma)=\int_{\gamma}\mathrm{d}s\] (où bien entendu on a \(\displaystyle\mathrm{d}s=\sqrt{[\mathrm{d}x(t)]^2+[\mathrm{d}y(t)]^2}\)) est remplacée par une nouvelle, nommée longueur hyperbolique et définie par : \[L(\gamma)=\int_{\gamma}\frac{2|\mathrm{d}z|}{1-|z|^2}\cdotp\]\(z\) est l’affixe d’un point \(\mathsf{M}\) parcourant \(\gamma\). La distance entre deux points \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\) de \(\mathbb{D}\), notée \(dh(\mathsf{A,B})\) est le minimum de l’ensemble des longueurs de tous les chemins de classe \(\mathscr{C}^1\) qui relient \(\mathsf{A}\) à \(\mathsf{B}\), et le chemin pour lequel cette longueur minimum est réalisée est appelégéodésique de \(\mathbb{D}\). Ici, nous parlerons de distance hyperbolique puisque les longueurs sont ainsi qualifiées.

Toucher les choses du doigt

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le disque de Poincaré, il est possible de toucher les choses du doigt en utilisant une métaphore. Imaginons que ce disque fasse 30 km de rayon. Au centre de ce disque, le sol est plat et ferme, semblable à celui d’un plan. À proximité du centre, le marcheur se déplace à une vitesse de \(4\) kilomètres à l’heure. Mais alors que l’on s’en éloigne, de la neige apparaît. Oh, d’abord une belle couche de neige légère, qui monte en douceur jusqu’aux chevilles, et peut-être cela ralentit-il déjà notre promeneur. Au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre, la couche s’épaissit, et la qualité de la neige se modifie, elle devient plus lourde. Quand elle arrive aux genoux, sans doute la vitesse passe-telle sous le kilomètre/heure. Plus nous nous éloignons du centre, plus nous nous enfonçons, plus la neige est lourde et moins nous allons vite. En effet, dans la relation qui donne \(L(\gamma)\), lorsque le chemin \(\gamma\) se situe loin du centre, pour tout point \(\mathsf{M}\) d’affixe \(z\) proche du bord, le terme \(\dfrac{|\mathrm{d}z|}{1-|z|^2}\) prend de grandes valeurs, ce qui présage que la longueur de \(\gamma\) sera importante.

Bientôt, le bord du disque, qui paraît pourtant tout proche, semble inaccessible — il l’est ! Ce qui devient prépondérant dans les trajets, ce n’est plus la distance apparente (euclidienne !) mais le temps de parcours. Et cette prépondérance a tôt fait de modifier la façon dont nous concevons nos trajets, et nous conduit très naturellement à pratiquer quelques ruses élémentaires, au fond les mêmes qu’en montagne, où la ligne droite est rarement le plus court (en temps et en efforts) chemin d’un point à un autre. Ainsi, pour nous rendre de \(\mathsf{A}\) à \(\mathsf{B}\) il est alors certainement plus intéressant de suivre le chemin orange, qui est courbe, mais qui passe par une zone peu résistante à la marche, que le chemin rouge qui est rectiligne, mais passe « dans le dur », là où c’est bien profond et la neige bien lourde.

Voir plus loin pour un exemple de construction d’une droite passant par deux points.

Adoptons alors la définition classique de la ligne droite : c’est le chemin le plus court entre deux points, précisons « en temps », et transposons-le dans notre disque. Les droites deviennent alors des courbes. Si l’on quitte la métaphore neigeuse et passe au vrai disque de Poincaré, le calcul montre que plus précisément, ce sont des arcs de cercle perpendiculaires au bord du disque ou des diamètres du disque. Et il montre également que le bord ne peut jamais être atteint, il est à une distance infinie du centre ! Les droites ainsi définies sont appelées droites hyperboliques, et elles ont, comme dans le plan, deux points à l’infini, c’est-à-dire sur le bord du disque (appelé horizon).

On retiendra que :

Théorème 1

Les droites hyperboliques du disque de Poincaré sont des diamètres du disque ou des arcs de cercle orthogonaux au bord du disque.

On obtient de la sorte une géométrie qui vérifie les quatre premiers axiomes d’Euclide, mais pas le cinquième, le fameux axiome des parallèles, auquel est lié le théorème de Pythagore. Le disque de Poincaré réalise un modèle de géométrie hyperbolique.

On sait déterminer le milieu entre deux points (il est décalé vers celui des deux points le plus éloigné du centre, car plus la couche de neige est épaisse plus on met de temps pour l’atteindre, (rappel : penser en termes de temps de trajet)), tracer des perpendiculaires, des triangles (leurs côtés sont bien entendu des courbes ou des diamètres), et, cerise sur le gâteau :

Théorème 2

Les cercles du disque de Poincaré ont la même forme que dans la géométrie euclidienne, à ceci près que le centre est décalé vers le bord du disque (excepté si c’est le centre du disque de Poincaré) !

La différence réside dans les parallèles, si l’on garde la définition la plus courante (deux droites sont parallèles lorsqu’elles n’ont pas de points communs) par un point donné \(\mathsf{M}\), il passe une infinité de parallèles à une droite donnée \(\mathscr{D}\). Bien entendu, les théorèmes de Thalès et de Pythagore ne « fonctionnent » pas dans cette géométrie, et il se produit quelques « bizarreries », il fallait s’y attendre, par exemple deux triangles ayant des angles égaux sont égaux, c’est-à-dire superposables, alors qu’en géométrie euclidienne, ils sont « seulement » semblables.

Plus étrange encore :

Théorème 3

L’aire \(\mathscr{A}\) d’un triangle s’obtient par la relation : \(\mathscr{A}=\pi-\text{(somme de ses angles)}\),

ce qui induit que la somme de ses angles ne vaut pas un angle plat, contrairement à la géométrie euclidienne !

Le milieu \(\mathsf{I}\) de \([\mathsf{AB}]\) est décalé vers \(\mathsf{B}\) pour égaliser les temps de parcours entre \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{I}\) d’une part (où l’on avance facilement), et \(\mathsf{I}\) et \(\mathsf{B}\) d’autre part (où la vitesse est moins élevée).

Depuis le point \(\mathsf{M}\), il est possible d’« abaisser » une perpendiculaire à la droite passant par \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\).

Remarquer qu’au bord du disque, les droites hyperboliques « arrivent » en formant un angle droit.

Les trois droites \(\mathscr{D}_1\), \(\mathscr{D}_2\) et \(\mathscr{D}_3\) ne coupent pas la droite passant par \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\), elles sont donc toutes les trois parallèles à la droite passant par \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\). On devine bien qu’en fait, il existe ainsi une infinité de droites parallèles à celle passant par \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\) issues du point \(\mathsf{M}\).

La perception que nous avons des distances et des aires ne vaut pas dans cette géométrie, et nous amène parfois à des résultats plutôt troublants.

Voici deux cercles hyperboliques, \(\mathscr{C}_1\) et \(\mathscr{C}_2\), symétriques l’un de l’autre par rapport à la droite hyperbolique \(\mathscr{D}\). Ils ont la forme géométrique des cercles de la géométrie à laquelle nous sommes habitués, mais leurs centres hyperboliques représentés par les points rouges sont décalés vers le bord.

Ce qui est plus difficile à admettre, c’est que, étant symétriques l’un de l’autre, ils sont de même dimension, c’est-à-dire que leurs rayons sont égaux. Le cercle \(\mathscr{C}_2\) est dans une zone de neige plus lourde et plus épaisse que \(\mathscr{C}_1\), en faire le tour prend le même temps que faire le tour de \(\mathscr{C}_1\). Imaginons que vous deviez en balayer la neige, vous mettriez le même temps pour les deux cercles, car quoique \(\mathscr{C}_2\) soit apparemment plus petit, la neige y est plus haute et plus lourde que dans \(\mathscr{C}_1\). Cela revient à exprimer que les deux cercles ont même aire.

Cette description étant faite, revenons aux maths à proprement parler…

Rectificatrice et cintreuse

En pratique, l’expression permettant de calculer la distance hyperbolique entre deux points \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\) quelconques de \(\mathbb{D}\) est : \[L(\gamma)=\int_{\gamma}\frac{2|\mathrm{d}z|}{1-|z|^2}\cdotp\]\(\gamma\) est ici un arc du cercle orthogonal au bord du disque passant par \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\), est difficile à utiliser, sauf dans le cas particulier où ces deux points sont situés sur un même rayon. En effet, on a alors, en posant \(\mathsf{OA}=a\) et \(\mathsf{OB}=b\) (distances euclidiennes) : \[dh(\mathsf{A,B})=\int_a^b\frac{2\,\mathrm{d}r}{-r^2+1}
\text{ soit
}dh(\mathsf{A,B})=\ln\left(\frac{(1+b)(1-a)}{(1-b)(1+a)}\right)\cdotp\]
En particulier, si \(\mathsf{A}=\mathsf{O}\) et si \(\mathsf{M}\) est un point tel que \(\mathsf{OM}=r\), alors \(dh(\mathsf{O,M})=\ln\left(\dfrac{1+r}{1-r}\right)\) ou encore \(dh(\mathsf{O,M})=2\tanh^{-1}(\mathsf{OM})\) et donc si \(s=dh(\mathsf{OM})\), \(r=\tanh\left(\dfrac{s}{2}\right)\cdotp\)

Dans le cas général, on a recours à une transformation de \(\mathbb{D}\) que je nomme la rectificatrice et qui joue un rôle très important dans la géométrie du disque de Poincaré.

Définition

On appelle rectificatrice de paramètres \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\) d’affixes respectives \(a\) et \(b\), ces deux points appartenant au disque de Poincaré, l’application1\(h\) définie sur \(\mathbb{D}\) par : \[\mathsf{M}(z)\stackrel{h}{\longmapsto}\mathsf{M}'(z’)\text{ avec }
z’=\frac{\text{e}^{\text{i}\alpha}(z-a)}{1-\overline{a}z}\text{ $\alpha$ étant
défini par }\alpha=-\mathrm{Arg}\left(\frac{b-a}{1-\overline{a}b}\right)\cdotp\]
Par la suite, on écrira indifféremment \(\mathsf{M}’ =h(\mathsf{M})\) ou \(z’ =h(z)\).

Application au calcul de distances

Nous avons \(h(\mathsf{A})=\mathsf{O}\), \(h(\mathsf{B})=\mathsf{P}\), si \(p\) désigne l’affixe de \(\mathsf{P}\), celle-ci est réelle, et l’on a \(dh(\mathsf{A,B})=dh(\mathsf{O,P})=\ln\left(\dfrac{1+p}{1-p}\right)\) d’où ce résultat bien commode :

\(dh(\mathsf{A,B})=\ln\left(\dfrac{1+h(b)}{1-h(b)}\right)\), \(h\) étant la rectificatrice de paramètres \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\).

Nous nous autoriserons désormais à ce raccourci pour les calculs de distance hyperbolique.

La rectificatrice présente de nombreuses propriétés qui nous seront très utiles.

Propriétés de la rectificatrice
  1. \(h\) laisse invariant \(\mathbb{D}\) globalement ;
  2. \(h\) est isométrique pour la métrique de \(\mathbb{D}\) ;
  3. \(h\) est conforme, c’est-à-dire qu’elle conserve les angles (attention, nous sommes sortis du cadre de la géométrie euclidienne, ce résultat ne se déduit pas du précédent, mais se démontre aisément avec la loi du cosinus hyperbolique, sinon c’est un résultat relatif aux homographies) ;
  4. Si \(\mathsf{M}\) appartient à la droite hyperbolique \((\mathsf{A,B})\), alors l’image \(\mathsf{M}’\) de \(\mathsf{M}\) par \(h\) appartient à l’axe des réels dans \(\mathbb{D}\).

Ce dernier énoncé justifie le nom donné à cette transformation, car l’image de la droite hyperbolique \((\mathsf{A,B})\) (souvent un arc de cercle euclidien) est l’axe des réels (un segment euclidien). En fait, ce que fait cette transformation, c’est de prendre un arc de cercle et de le décintrer en un segment de l’axe des réels, exactement comme le ferait un couturier s’il voulait en prendre la mesure.

Définition de la cintreuse

La rectificatrice \(h\) de paramètres \(\mathsf{A}(a)\) et \(\mathsf{B}(b)\) possède une application réciproque définie sur \(\mathbb{D}\) et déterminée par les paramètres \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\), que je nommerai (évidemment !) la cintreuse de paramètres \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\) et que je noterai \(\mathrm{Cint}_{a,b}\).

Nous avons bien entendu \(\mathrm{Cint}_{a,b}(\mathsf{O})=\mathsf{A}\) et \(\mathrm{Cint}_{a,b}(\mathsf{P})=\mathsf{B}\), \(\mathsf{P}\) vérifiant \(\mathsf{P}=h(\mathsf{B})\).

Triangle hyperbolique

Nous allons devoir admettre quelques résultats relatifs au triangle hyperbolique, à peu près impossibles « à faire toucher du doigt », hélas.

Soit \(\mathsf{ABC}\) un triangle de \(\mathbb{D}\), on pose \(a=dh(\mathsf{B,C})\) ; \(b=dh(\mathsf{A,C})\) ; \(c=dh(\mathsf{A,B})\), \(\alpha\) est la mesure de l’angle \(\mathsf{A}\). On a alors :

Loi du cosinus hyperbolique \[\cosh(a)=\cosh(b)\cosh(c)-\sinh(b)\sinh(c)\cos(\alpha).\]

On en déduit immédiatement le :

Théorème de Pythagore hyperbolique

Dans le cas où \(\alpha=\dfrac{\pi}{2}\) on a : \(\cosh(a)=\cosh(b)\cosh(c)\)

Circonférence du cercle et aire du disque

Remarque préliminaire

Nous avons vu que rectificatrices et cintreuses sont des isométries de \(\mathbb{D}\). Donc l’image d’un cercle de rayon hyperbolique \(r\) par l’une de ces transformations est également un cercle de rayon hyperbolique \(r\). Si \(\mathscr{C}\) est un cercle hyperbolique de centre \(\Omega\), alors l’image de \(\mathscr{C}\) par toute rectificatrice dont le premier paramètre est \(\Omega\) est un cercle hyperbolique de centre hyperbolique \(\mathsf{O}\) et de même rayon hyperbolique. Nous pourrons donc dans la suite nous borner à l’étude d’un tel cercle, les résultats obtenus qui sont de nature à être conservés par ces transformations se généraliseront à tout cercle de rayon hyperbolique \(r\). C’est le cas en particulier de la circonférence et de l’aire, et ça nous suffira dans le cadre du problème qui va nous intéresser.

Circonférence

Soit donc \(\mathscr{C}\) le cercle centré sur \(\mathsf{O}\) de rayon hyperbolique \(r\) et de rayon euclidien \(R\) et \(P\) son périmètre. Une paramétrisation de \(\mathscr{C}\) est \(x(t)=R.\cos(t)\), \(y(t)=R.\sin(t)\) donc \(\mathrm{d}x(t)=-R.\sin(t).\mathrm{d}t\) et \(\mathrm{d}y(t)=R.\cos(t).\mathrm{d}t\). Pour \(z(t)=x(t)+\text{i}\,y(t)\) on a, avec \(\mathrm{d}z^2=\mathrm{d}x^2+\mathrm{d}y^2=R^2(\mathrm{d}t)^2\), \(\mathrm{d}z=R\,\mathrm{d}t\).

Nous avons vu que dans le plan hyperbolique, \(\mathrm{d}s=\dfrac{2|\mathrm{d}z|}{1-|z|^2}\) donc ici comme \(|z|=R\), on a finalement \(\mathrm{d}s=\dfrac{2R\,\mathrm{d}t}{1-R^2}\) et dès lors : \(\displaystyle P=\int_{0}^{2\pi}\frac{2R}{1-R^2}\,\mathrm{d}t\) et \(P=\dfrac{4\pi R}{1-R^2}\cdotp\)

Exprimons ce résultat en fonction de \(r\), lié à \(R\) par la relation : \(R=\tanh\left(\dfrac{r}{2}\right)=\dfrac{\text{e}^r-1}{\text{e}^r+1}\cdotp\) Après un petit calcul et quelques simplifications faciles, nous obtenons \(P=2\pi \sinh(r)\).

Aire du disque

Nous utilisons le résultat précédent sur le périmètre en considérant le fait que la couronne déterminée par une variation de \(\mathrm{d}x\) (voir sur le schéma la partie de couleur bleue) a pour aire le périmètre multiplié par \(\mathrm{d}x\).

Ce qui nous conduit, en notant \(\mathscr{A}\) l’aire du cercle de rayon \(r\), à : \[\mathscr{A}=\int_{0}^{r}2\pi \sinh(x)\,\mathrm{d}x.\] Un calcul immédiat donne alors : \(\mathscr{A}=4\pi \sinh^2\left(\dfrac{r}{2}\right)\cdotp\)

Le carré hyperbolique

Quadrilatères remarquables : les quadrilatères convexes remarquables de la géométrie euclidienne se caractérisent en termes de longueurs de côtés, d’angles, de diagonales et de parallèles. En géométrie hyperbolique, il nous faut abandonner l’idée de caractérisation en termes de parallèles, et donc dire adieu aux trapèzes. Il nous reste : les parallélogrammes (qui connaissent d’autres caractérisations que par les parallèles, par exemple : côtés opposés de même longueur), les losanges, les rectangles, les carrés sur lesquels il est possible de dire quelque chose d’intéressant, à condition de ne pas exiger trop de … parallèle (évidemment !) avec les définitions euclidiennes. Voici deux définitions du carré hyperbolique :

Carré hyperbolique, définition n°1

Un carré hyperbolique est un quadrilatère hyperbolique présentant quatre angles égaux et quatre côtés égaux.

Remarque : on ne demande pas que les angles soient droits.

Carré hyperbolique, définition n°2

Un carré hyperbolique est un quadrilatère hyperbolique dont les diagonales sont de même longueur hyperbolique et se coupent à angle droit en leur milieu hyperbolique.

Le lecteur désireux de s’assurer que les deux définitions du carré proposées sont bien équivalentes pourra utiliser les cas classiques d’égalité des triangles, qui s’étendent à la géométrie du disque de Poincaré car ils sont indépendants du cinquième axiome d’Euclide.

Carré standard

Examinons maintenant le carré hyperbolique \(\mathsf{ABCD}\) suivant2 : \(\mathsf{A}\) est le point de coordonnées hyperboliques \(\left(\dfrac{a}{2},0\right)\), \(\mathsf{B}\left(0,\dfrac{a}{2}\right)\), \(\mathsf{C}\left(-\dfrac{a}{2},0\right)\) et enfin \(\mathsf{D}\left(0,-\dfrac{a}{2}\right)\) avec \(a\) positif. J’appellerai par la suite « carré standard » un carré dont les quatre sommets sont sur les axes de coordonnées, et le point \(\mathsf{A}\) sera nommé point clé du carré standard d’angle \(u\). On note \(b\) la longueur hyperbolique du côté du carré, \(a\) la longueur hyperbolique des diagonales et \(u\) la mesure de l’angle à chaque sommet.

Les quatre triangles \(\mathsf{OAB}\), \(\mathsf{OBC}\), \(\mathsf{OCD}\), \(\mathsf{ODA}\) sont rectangles en \(\mathsf{O}\) et isocèles. Appliquons le théorème de Pythagore hyperbolique au triangle rectangle \(\mathsf{OAB}\) de dimensions \(\dfrac{a}{2}\), \(\dfrac{a}{2}\), \(b\). On obtient :

\[\tag{1}\cosh(b)=\cosh^2\left(\frac{a}{2}\right).\]

Comme c’est le cas dans le carré euclidien, la longueur de la diagonale est déterminée par celle du côté, et inversement.

Appliquons maintenant la loi des cosinus au triangle isocèle \(\mathsf{ABC}\). On obtient :

\[\tag{2}\cosh(a)=\cosh^2(b)-\sinh^2(b).\cos(u)\]

Nous allons exprimer \(u\) et \(a\) en fonction l’un de l’autre en utilisant la relation ([2]) dans laquelle on élimine \(\cosh(b)\) à l’aide de la relation ([1]), de la relation \(\cosh(2x)+1=2\cosh^2(x)\) et de la relation fondamentale de la trigonométrie hyperbolique. On obtient : \[\cosh(a)=\frac{1}{4}\left(\cosh(a)+1\right)^2-\left(\frac{1}{4}\left(\cosh(a)+1\right)^2-1\right)\cos(u)\] et de là3 : \(\cos(u)=\dfrac{\cosh(a)-1}{\cosh(a)+3}\) ou encore \(\cosh(a)=\dfrac{3\cos(u)+1}{1-\cos(u)}\cdotp\)

Nous voyons que la donnée d’un seul des trois termes : \(a\), \(b\) ou \(u\) détermine les deux autres. En particulier, la longueur hyperbolique \(a\) de la diagonale détermine la longueur hyperbolique \(b\) du côté (comme en géométrie euclidienne) et l’angle \(u\) de ce carré (c’est plus original). Poussons plus loin les calculs, en utilisant les résultats élémentaires de trigonométrie circulaire et hyperbolique. On énonce :

Théorème des deux tangentes

\[\tanh^2\left(\frac{a}{4}\right)=\tan\left(\frac{\pi}{4}-\frac{u}{2}\right)\]\(\tanh\left(\dfrac{a}{4}\right)=R\) représente l’abscisse euclidienne du point clé \(\mathsf{A}\) du carré hyperbolique standard de diagonale \(a\) (ou d’angle \(u\)).

En effet : \[\begin{aligned}
\cosh^2\left(\frac{a}{2}\right)&=\frac{\cosh(a)+1}{2}\\
&=\frac{1+\cos(u)}{1-\cos(u)}\\
&=\text{cotan}^2\left(\frac{u}{2}\right)=\frac{1}{\tan^2\left(\dfrac{u}{2}\right)}\end{aligned}\]
En posant \(R=\tanh\left(\dfrac{a}{4}\right)\), on a \(\cosh\left(\dfrac{a}{2}\right)=\dfrac{1+R^2}{1-R^2}\) doù : \[\frac{1-R^2}{1+R^2}=\tan\left(\frac{u}{2}\right)\] ce qui nous amène à : \(R^2=\dfrac{1-\tan\left(\dfrac{u}{2}\right)}{1+\tan\left(\dfrac{u}{2}\right)}\) et donc au résultat énoncé.

Le nombre \(R\) sera désormais nommé nombre clé du carré standard d’angle \(u\). A posteriori nous voyons que ce nombre détermine de façon univoque un tel carré.

Autres carrés hyperboliques

Comme pour tout carré euclidien, un segment hyperbolique \([\mathsf{M,N}]\) détermine de façon univoque un carré hyperbolique dont il est une diagonale. Soit donc un carré d’angle \(u\) dont une diagonale est \([\mathsf{M,N}]\), et \(\mathsf{I}\) le milieu hyperbolique de \([\mathsf{M,N}]\). La rectificatrice \(f\) de paramètres \(\mathsf{I}\) et \(\mathsf{N}\) transforme ce carré en un autre carré (en effet, \(f\) est hyperboliquement isométrique et conforme donc transforme une figure présentant quatre angles égaux et quatre côtés égaux en un quadrilatère ayant quatre angles égaux et quatre côtés égaux) de diagonale \([\mathsf{B,A}]\)\(\mathsf{A}=f(\mathsf{N})\) et \(\mathsf{O}=f(\mathsf{I})\). On peut donc, inversement, considérer qu’il est l’image du carré hyperbolique standard d’angle \(u\) par la cintreuse de paramètres \(\mathsf{I}\) et \(\mathsf{N}\). Au vu des propriétés de la rectificatrice et de la cintreuse, ils ont les mêmes dimensions, même aire et des angles deux à deux égaux : ils sont superposables. On comprend a posteriori pourquoi le carré standard porte ce nom.

La quadrature du cercle hyperbolique

Il s’agit de construire à la règle et au compas un cercle et un carré ayant même aire. En géométrie euclidienne, ce problème a fait débat vingt-quatre siècles durant, et finalement, en 1880, le mathématicien Lindemann a clos la question en montrant que c’était impossible. Relevons ce qui importe dans sa démonstration : elle tient toute entière dans la nature du nombre \(\pi\). Ce nombre, a montré Lindemann, est transcendant. Par conséquent, il n’est pas constructible à la règle et au compas. Mais qu’est-ce qu’un nombre constructible ? Le nombre \(x\) est dit constructible si et seulement si on peut, dans un repère donné, construire à la règle et au compas un point \(\mathsf{M}\) tel que la mesure algébrique de \(\mathsf{OM}\) soit égale à \(x\). On démontre que l’ensemble \(\mathcal{P}\) des nombres constructibles est le plus petit sous-corps de l’ensemble des nombres réels stable par racine carrée. Le mathématicien Wantzel a prouvé en 1837 que tout élément de \(\mathcal{P}\) est algébrique, plus précisément encore qu’il appartient à un corps formé à partir d’une succession d’extensions quadratiques du corps des rationnels. En particulier, il est algébrique et son degré sur le corps des rationnels est une puissance de \(2\). On obtient donc en particulier que les racines cubiques ne sont pas constructibles (la racine cubique de \(5\) est bien algébrique, c’est une racine de \(P(X)=X^3-5\) mais le corps de rupture du polynôme \(P\) est une extension de degré \(3\) de celui des rationnels) mais la propriété « algébrique de degré une puissance de \(2\) » n’est pas non plus suffisante pour assurer la constructibilité (par exemple, les racines du polynôme \(X^4-X-1\) ne sont pas constructibles).

Donc \(\mathcal{P}\) est un sous-ensemble de l’ensemble des nombres algébriques, lequel forme avec l’ensemble des transcendants une partition de l’ensemble des réels. Par conséquent, si un réel est transcendant, il n’est pas constructible, et on comprend le résultat de Lindemann.

Cercles hyperboliques constructibles

Soit \(\mathscr{C}\) le cercle hyperbolique de rayon hyperbolique \(r\) et de centre hyperbolique \(\mathsf{O}\), son centre euclidien est également \(\mathsf{O}\) (c’est un cas particulier) et \(\rho\) son rayon euclidien. Ce cercle est constructible si et seulement si \(\rho\) est constructible. Rappelons que \(\rho=\tanh\left(\dfrac{r}{2}\right)\) ainsi que la formule qui nous donne l’aire \(\mathscr{A}\) de \(\mathscr{C}\) : \(\mathscr{A}=4\pi\sinh^2\left(\dfrac{r}{2}\right)\cdotp\)

Utilisons les relations bien connues de trigonométrie hyperbolique pour obtenir d’abord : \[\mathscr{A}=2\pi\left(\cosh(r)-1\right) ;\] de là, en utilisant le fait que \(\rho=\tanh\left(\dfrac{r}{2}\right)\), on obtient \(\dfrac{2\rho^2}{-\rho^2+1}=\dfrac{\mathscr{A}}{2\pi}\) ce qui s’écrit aussi : \[(4\pi+\mathscr{A})\rho^2=\mathscr{A}.\]

Nous en déduisons que \(\rho\) est racine (positive) d’un polynôme de degré \(2\), et qu’il est donc constructible si et seulement si les coefficients de ce polynôme sont constructibles. C’est notamment le cas lorsque \(\dfrac{\mathscr{A}}{\pi}\) est rationnel (en fait, l’égalité \(\rho^2=\dfrac{\mathscr{A}}{4\pi+\mathscr{A}}=\dfrac{\dfrac{\mathscr{A}}{\pi}}{4+\dfrac{\mathscr{A}}{\pi}}\) montre que \(\rho\) est constructible si et seulement si \(\dfrac{\mathscr{A}}{\pi}\) l’est). On énoncera donc :

Si l’aire \(\mathscr{A}\) du cercle \(\mathscr{C}\) est de la forme \(\dfrac{m\pi}{n}\)\(m\) et \(n\) sont des entiers naturels non nuls, alors le cercle hyperbolique \(\mathscr{C}\) est constructible et son rayon euclidien \(\rho\) vérifie la relation \[\rho=\sqrt{\frac{m}{4n+m}}\cdotp\]

Le lecteur / la lectrice s’avisera qu’il s’agit là seulement d’une condition suffisante, et qu’il y a peut-être (sauf si nous nous restreignons aux cercles standards) d’autres cas favorables que nous laissons sur le côté de notre route. Notons \(\mathcal{E}\) l’ensemble des cercles hyperboliques constructibles et \(\mathcal{E}_0\) ceux dont l’aire \(\mathscr{A}\) est de la forme \(\dfrac{m\pi}{n}\), \(\mathcal{E}_0\) est strictement inclus dans \(\mathcal{E}\).

Carrés hyperboliques constructibles

Soit \(\mathscr{G}\) le carré standard d’angle \(u\) et \(R\) son nombre clé. Nous avons vu que \(R\) vérifie la relation \(R^2=\tan\left(\dfrac{\pi}{4}-\dfrac{u}{2}\right)\) où, rappelons-le une fois pour toutes, \(0< u< \dfrac{\pi}{2}\cdotp\) Ainsi \(R\) est donc constructible si et seulement si \(\tan\left(\dfrac{\pi}{4}-\dfrac{u}{2}\right)\) est constructible. Remarquons que \(\tan(a)\) est facilement constructible lorsque l’arc de mesure \(a\) est lui-même constructible.

Allons plus loin en donnant un procédé de construction à la règle et au compas de \(R\) à l’aide de la figure suivante :

On a \(\mathsf{HJ}=\tan(a)\), \(\mathscr{C}_1\) est le cercle de centre \(\mathsf{H}\) et de rayon \(\tan(a)\) donc \(\mathsf{OB}=1+\tan(a)\), \(\mathsf{I}\) est le milieu de \([\mathsf{O,B}]\) et \(\mathscr{C}_2\) le cercle de centre \(\mathsf{I}\) et de rayon \(\dfrac{1+\tan(a)}{2}\cdotp\) Le point \(\mathsf{A}\) est le point d’intersection de \(\mathscr{C}_2\) avec l’axe des tangentes. Le triangle \(\mathsf{OAB}\) est rectangle en \(\mathsf{A}\), et \((\mathsf{AH})\) est la hauteur issue de \(\mathsf{A}\). On sait que \(\mathsf{AH}^2=\mathsf{OH}.\mathsf{HB}=\tan(a)\). Donc \(\mathsf{AH}=R\).

Ceci étant établi, on en déduit que \(\tan\left(\dfrac{\pi}{4}-\dfrac{u}{2}\right)\) est constructible si l’arc de mesure \(\dfrac{\pi}{4}-\dfrac{u}{2}\) est lui-même constructible, et le lecteur en conclura par lui-même que cela se produit dès que l’arc de mesure \(u\) est lui-même constructible. Le lecteur connaît de tels arcs, citons-en quelques-uns : pour \(n=3\), \(4\), \(5\)\(u=\dfrac{\pi}{n}\) est constructible à la règle et au compas. On sait multiplier (par un entier) à la règle et au compas un arc, et le diviser en deux parties égales. Il en résulte que si l’arc de mesure \(u\) est constructible, celui de mesure \(v=\dfrac{p\cdot
u}{2^q}\)
, (où \(q\) et \(p\) sont des entiers naturels non nuls) est également constructible. Ainsi par exemple, l’arc de mesure \(u=\dfrac{3\pi}{40}\) est constructible. En 1801, Gauss caractérise les polygones réguliers (et donc les arcs) constructibles par \(n\), leur nombre de côtés. Il montre que tous les polygones réguliers ayant pour nombre de côtés un nombre de Fermat premier \(F_n=2^{(2^n)}+1\) sont constructibles. Ainsi peut-on construire un polygone régulier à \(17\) côtés, et de même avec \(257\) côtés. Puis il établit que tout polygone régulier dont le nombre de côtés est de la forme \(2^q\cdot
n\)
\(n\) désigne un produit de nombres de Fermat premiers distincts est constructible. À ce jour, les seuls nombres de Fermat premiers connus sont \(3\), \(5\), \(17\), \(257\), \({65537}\). En 1732, Euler a factorisé \(F_5\) : \[{4294967297}=641\times{6700417}.\] La conjecture selon laquelle tous les nombres de Fermat suivants ne sont pas premiers est toujours en cours d’étude. Nous aboutissons au résultat suivant.

Les carrés hyperboliques d’angle \(u\) inférieur à \(\dfrac{\pi}{2}\) de la forme : \(u=\dfrac{m\pi}{2^qn}\)\(m\) est un entier naturel et \(n\) désigne un produit de nombres de Fermat premiers distincts, sont des carrés constructibles.

Notons que cette étude n’est nullement exhaustive, nous avons seulement établi que certains carrés hyperboliques sont constructibles, mais nous n’avons pas caractérisé l’ensemble des carrés hyperboliques constructibles. Notons \(\mathcal{F}\) l’ensemble des carrés hyperboliques constructibles et \(\mathcal{F}_0\) ceux que l’on peut construire par le procédé précédent, nous voyons que \(\mathcal{F}_0\) est strictement inclus dans \(\mathcal{F}\).

Construction à la règle et au compas du carré d’angle \(u\)

Avant d’aller plus loin, il nous faut en effet résoudre ce problème. Ce carré a pour sommets les points \(\mathsf{A}(R,0)\) et \(\mathsf{B}(0,R)\), \(R\) étant le nombre clé du carré de base d’angle \(u\), que l’on supposera constructible. Il nous faut déterminer le centre \(\mathsf{H}\) du cercle orthogonal à \(\mathbb{D}\) passant par \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\). Nous obtiendrons les trois autres côtés du carré en utilisant de simples symétries euclidiennes. Un calcul montre que \(\mathsf{H}\) a pour coordonnées \(\mathsf{H}\left(\dfrac{R+\dfrac{1}{R}}{2},\dfrac{R+\dfrac{1}{R}}{2}\right)\cdotp\)

Construction : le théorème de Thalès nous fournit une construction simple du nombre \(\dfrac{1}{R}\), puis nous obtenons \(\mathsf{H}\). Par définition, \(\mathscr{D}_1\) est la droite passant par \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{J}(0,1)\) et \(\mathscr{D}_2\) est la parallèle à \(\mathscr{D}_1\) issue de \(\mathsf{K}(1,0)\) ; \(\mathscr{D}_2\) coupe l’axe des ordonnées en un point \(\mathsf{N}\), et le théorème de Thalès nous montre que l’ordonnée de \(\mathsf{N}\) est \(\dfrac{1}{R}\cdotp\) Le point \(\mathsf{M}\) a pour coordonnées \(\left(0,R+\dfrac{1}{R}\right)\) et \(\mathsf{I}\) est le milieu de \([\mathsf{OM}]\). On trace le carré (euclidien !) de diagonale \([\mathsf{OH}]\) et de côté \([\mathsf{OI}]\), puis (couleur or) le cercle de centre \(\mathsf{H}\) passant par \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\). On termine à l’aide de symétries euclidiennes.

Existence de quadrature pour certains cercles hyperboliques

Je n’ai pas été en mesure de décrire explicitement les ensembles \(\mathcal{E}\) (ensemble des cercles hyperboliques constructibles d’aire \(\mathscr{A}\)) et \(\mathcal{F}\) (ensemble des carrés hyperboliques constructibles), mais j’ai obtenu de « grands » sous-ensembles de \(\mathcal{E}\) et de \(\mathcal{F}\), à savoir \(\mathcal{E}_0\) et \(\mathcal{F}_0\), qu’il va désormais être possible de mettre en regard l’un de l’autre.

\(\mathcal{E}_0\) : si l’aire hyperbolique \(\mathscr{A}\) du cercle \(\mathscr{C}\) est de la forme \(\dfrac{m\pi}{n}\)\(m\) et \(n\) sont des entiers naturels non nuls, alors le cercle hyperbolique standard \(\mathscr{C}\) est constructible et son rayon euclidien \(\rho\) vérifie la relation : \(\rho=\sqrt{\dfrac{m}{4n+m}}\cdotp\)

\(\mathcal{F}_0\) : les carrés hyperboliques standards d’angle \(u\) inférieur à \(\dfrac{\pi}{2}\) de la forme : \(u=\dfrac{m\pi}{2^qn}\), où \(n\) désigne un produit de nombres de Fermat premiers distincts, sont constructibles.

Soit \(\mathscr{C}\) un cercle hyperbolique de \(\mathcal{E}_0\), d’aire \(\mathscr{A}=\dfrac{m\pi}{n}\) et \(\mathscr{G}\) un carré hyperbolique d’angle \(u\) d’aire égale à \(\mathscr{A}\) : la relation \(\dfrac{m\pi}{n}=2\pi-4u\) conduit à \(u=\dfrac{1}{4}\dfrac{(2n-m)\pi}{n}\cdotp\) Nous voyons que \(\mathscr{G}\) appartient à \(\mathcal{F}_0\) si et seulement si \(u=\dfrac{1}{4}\dfrac{(2n-m)\pi}{n}\) est de la forme \(\dfrac{k}{2^{\alpha}s}\)\(s\) désigne un produit de nombres de Fermat premiers distincts, donc \(n\) doit être de cette forme, ce qui élimine \(7\), \(9\), \(11\), \(13\) etc.

Inversement, si \(\mathscr{G}\) est un carré hyperbolique d’angle \(u=\dfrac{m\pi}{2^qn}\)\(n\) désigne un produit de nombres de Fermat premiers distincts, l’aire \(\mathscr{A}\) de \(\mathscr{G}\) est \(2\pi-\dfrac{m\pi}{2^{q-2}n}\), et il existe alors un cercle \(\mathscr{C}\) dans \(\mathcal{E}_0\), également d’aire \(\mathscr{A}=\dfrac{(2^{q+1}n-4m)\pi}{2^qn}\cdotp\)

Notons également que l’ensemble des aires des carrés hyperboliques est borné par \(2\pi\) et que, par conséquent, on doit avoir \(m< 2n\). Ce qui implique que le rayon euclidien \(\rho\) des cercles candidats à la quadrature doit vérifier \(\rho\leqslant\dfrac{\sqrt{3}}{3}\cdotp\)

Exemple : quadrature du cercle hyperbolique d’aire \(\mathscr{A}=\dfrac{4\pi}{5}\)

Pour cette valeur de \(\mathscr{A}\), le carré hyperbolique recherché a pour angle \(u=\dfrac{3\pi}{10}\cdotp\) Comme \(5\) est un nombre de Fermat premier, ce carré est constructible. Nous avons : \[R^2=\tan\left(\frac{\pi}{4}-\frac{u}{2}\right)\text{ donc }R^2=\tan\left(\frac{\pi}{10}\right)\cdotp\]

Première étape :

on construit sur le cercle trigonométrique l’arc de mesure \(\dfrac{\pi}{10}\) en reprenant nos calculs :

\(\overset{\frown}{\mathsf{HM}}=\dfrac{2\pi}{5}\) ; on trace la bissectrice \((\mathsf{ON})\) de \(\widehat{\mathsf{HOM}}\) : \(\overset{\frown}{\mathsf{HN}}=\dfrac{\pi}{5}\) ; on trace la bissectrice \((\mathsf{OQ})\) de \(\widehat{\mathsf{HON}}\) : \(\overset{\frown}{\mathsf{NQ}}=\dfrac{\pi}{10}\cdotp\)

Deuxième étape :

on construit le point clé du carré d’abscisse \(R\) en utilisant le procédé vu plus haut que je ne commente pas :

On a \(\mathsf{HL}=\tan\left(\dfrac{\pi}{10}\right)=\mathsf{HE}\), \(\mathsf{I}\) est le milieu de \([\mathsf{OE}]\) et le centre du cercle de diamètre \([\mathsf{OE}]\), \(\mathsf{F}\) le point d’intersection de ce cercle avec l’axe des tangentes, on a \(\mathsf{HF}=R\), que l’on reporte au compas sur l’axe des abscisses pour obtenir \(\mathsf{OA}=R\).

Troisième étape :

détermination du cercle orthogonal au bord du disque passant par les points \(\mathsf{A}(R,0)\) et \(\mathsf{B}(0,R)\).

Voici ce que donne le procédé expliqué plus haut.

Quatrième étape :

utilisation de symétries pour compléter la figure.

Cinquième étape :

on trace le cercle et le carré. Le lecteur n’aura aucun mal à vérifier que le rayon euclidien du cercle est \(\rho=\dfrac{\sqrt{6}}{6}\cdotp\)

Construction :

On a \(\mathsf{OS}=2\), \(\mathsf{ST}=\mathsf{TW}=1\), \(\mathscr{C}\) cercle de centre \(\mathsf{S}\) de rayon \(\mathsf{SW}\), il est facile de voir que \(\mathsf{OZ}=\sqrt{6}\).

On divise \(\mathsf{OZ}\) en \(6\) à l’aide du théorème de Thalès en utilisant le point \(\mathsf{U}({0.5},0)\) et les parallèles \(\mathscr{D}_1\) et \(\mathscr{D}_2\).

Le résultat final :

Le monde des idées pures et celui de la caverne

L’exemple étudié a été mené avec facilité, et nous avons constaté qu’il est économique en calculs, puisqu’il nous épargne celui, fastidieux, de \(\tan\left(\dfrac{\pi}{10}\right)\). Mais il ne doit pas faire illusion. La constructibilité de certains réels n’est souvent que théorique. Le lecteur vérifiera par lui-même que l’étude de la quadrature du cercle hyperbolique d’aire \(\mathscr{A}=\dfrac{14\pi}{15}\) conduit d’abord à la construction d’un arc de mesure \(\dfrac{7\pi}{60}\) et surtout à \(\rho=\dfrac{\sqrt{259}}{37}\) dont la construction avec une vraie règle et un vrai compas — le monde de la caverne, quoi, celui où les traits ont le mauvais goût d’avoir de l’épaisseur — reste quand même une gageure.

Donc tout cela est assez largement du ressort des idées pures, sauf dans des cas particulièrement simples. Pour le lecteur désireux de réaliser par lui-même une jolie quadrature, je donne le rayon de quelques cercles hyperboliques pour lesquels l’affaire reste jouable avec des instruments de bonne qualité. Pour \(\mathscr{A}=\dfrac{m\pi}{n}\), avec \(\rho\) le rayon du cercle hyperbolique et \(u\) l’angle du carré, on obtient des résultats qui ressortent du monde de la caverne pour les valeurs suivantes du couple \((n,m)\) : \((2,1)\) ; \((3,2)\) ; \((3,4)\) ; \((5,7)\) ; \((5,8)\).

Et bien sûr, il demeure le cas en or, celui où \(\mathscr{A}=\pi\), que je laisse au lecteur le plaisir de traiter par lui-même !

La possibilité d’opérer des quadratures du cercle dans le cadre de la géométrie hyperbolique est un résultat dû au mathématicien hongrois János Bolyai (1802–1860). À l’époque, le disque de Poincaré n’était pas connu (Henri Poincaré est né en 1854…), et je n’ai aucune idée du modèle dans lequel il opère, ni même s’il opère dans un modèle particulier. La démonstration de Bolyai se trouve dans son ouvrage intitulé « La science absolue de l’espace indépendante de la vérité ou de la fausseté de l’axiome XI d’Euclide suivie de La quadrature géométrique du cercle, dans le cas de la fausseté de l’axiome XI »[5].

Pourquoi la « quadrature » ?

Pourquoi les Anciens se sont-ils intéressés à la quadrature du cercle euclidien ? Après tout, il y a d’autres polygones que le carré ! Je ne vais faire que des hypothèses, qu’il appartient à l’historien des mathématiques (que je ne suis pas) de valider ou non. Je vois essentiellement deux raisons : la première réside dans la fascination des Grecs pour les polygones réguliers convexes constructibles, la seconde dans le fait important qu’entre ces derniers polygones, le carré est celui dont l’aire a l’expression la plus simple. Pour tous les autres polygones réguliers convexes réguliers constructibles, l’expression de l’aire fait par ailleurs intervenir des irrationnels constructibles, dont le statut n’était pas clair chez les Anciens. Mais aujourd’hui, il semblerait possible d’envisager de résoudre le même problème en remplaçant le carré par n’importe quel polygone régulier convexe constructible, par exemple, de chercher s’il existe un pentagone régulier convexe d’aire égale à \(\pi\). Or, à supposer qu’un tel polygone existe, il serait possible de trouver un carré constructible de même aire que lui, quoique différent.

En effet, l’aire d’un tel polygone (à \(n\) côtés) est \(\mathscr{A}=n.R^2.\cos(u).n(u)\) c’est-à-dire un produit de réels constructibles, puisque \(R\) est par hypothèse constructible et l’angle \(u=\dfrac{\pi}{n}\) également (donc son cosinus et son sinus aussi). Le carré de côté \(c=\sqrt{\mathscr{A}}\) serait alors constructible et d’aire égale à \(\pi\). C’est impossible d’après Lindemann. Donc il n’existe aucun polygone régulier convexe constructible d’aire égale à \(\pi\).

Une question s’impose : qu’en est-il en géométrie hyperbolique ?

Examinons par exemple le cas des triangles équilatéraux hyperboliques.

Déterminons pour commencer les relations entre l’angle et le côté dans le triangle équilatéral hyperbolique. Examinons la figure suivante dans laquelle \(\mathsf{ABC}\) est équilatéral hyperbolique centré en \(\mathsf{O}\), \(x\) est la mesure de l’angle, \(a\) est celle du côté, \(u\) la distance hyperbolique \(dh(\mathsf{O,A})\), \(\mathsf{I}\) le milieu hyperbolique de \([\mathsf{BC}]\), et \(\mathsf{O}\) est le centre du cercle circonscrit.

Notre premier objectif est de calculer \(u\) et \(a\) en fonction de \(x\). Ainsi, une fois choisi \(x\), nous pourrons placer \(u\) et construire le triangle équilatéral d’angle \(x\), ce qui nous sera utile par la suite…

Notons que la mesure de l’angle \(\widehat{\mathsf{AOC}}\) est \(\dfrac{2\pi}{3}\) et appliquons la loi des cosinus dans le triangle isocèle \(\mathsf{OAC}\) : \[
\cosh(a)=\cosh^2(u)-\sinh^2(u)\cos\left(\frac{2\pi}{3}\right)\]

\[\tag{3 }=\cosh^2(u)+\frac{\sinh^2(u)}{2}\]

On applique à nouveau la loi des cosinus, mais cette fois dans le triangle \(\mathsf{ABC}\), et on obtient : \(\cosh(a)=\cosh^2(a)-\sinh^2(a)\cos(x)\). Or \(\sinh^2(a)=\cosh^2(a)-1\), donc \[\left(1-\cos(x)\right)\cosh^2(a)-\cosh(a)+\cos(x)=0.\] Cette équation de degré deux en \(\cosh(a)\) présente deux solutions : \(\cosh(a)=1\) qui conduit à \(a=0\), ce qui n’est pas acceptable et \[\tag{4}\cosh(a)=\frac{\cos(x)}{1-\cos(x)}\] que nous retenons.

Revenons à la relation (3) et utilisons le résultat (4) pour calculer d’abord \(\cosh(u)\) puis \(u\).

On obtient \(\cosh(a)=\cosh^2(u)+\dfrac{\cosh^2(u)-1}{2}\) puis, après simplification, il vient : \[\begin{aligned}
\cosh^2(u)&=\frac{1}{3}\left(2\cosh(a)+1\right)\\
&=\frac{1}{3}\left(\frac{2\cos(x)}{1-\cos(x)}+1\right)\\
&=\frac{1}{3}\frac{1+\cos(x)}{1-\cos(x)}\\
&=\frac{1}{3}\frac{1}{\tan^2\left(\dfrac{x}{2}\right)}\\
\text{d’où }\cosh(u)&=\frac{\sqrt{3}}{3\tan\left(\dfrac{x}{2}\right)}\end{aligned}\]
Or, si l’on pose \(R=\tanh\left(\dfrac{u}{2}\right)\), on a : \(\cosh(u)=\dfrac{1+R^2}{1-R^2}\cdotp\)

On en déduit : \(\dfrac{1-R^2}{1+R^2}=\sqrt{3}\tan\left(\dfrac{x}{2}\right)\), soit \(R^2=\dfrac{1-\sqrt{3}\tan\left(\dfrac{x}{2}\right)}{1+\sqrt{3}\tan\left(\dfrac{x}{2}\right)}\cdotp\) Par un raisonnement analogue à celui utilisé pour le carré, on voit que si \(\tan\left(\dfrac{x}{2}\right)\) est constructible, il en va de même pour \(R\), qui est l’abscisse euclidienne du point \(\mathsf{A}\), et donc notre triangle équilatéral est également constructible.

En reprenant toujours la démarche précédente, pour qu’un triangle équilatéral hyperbolique constructible d’angle \(x\) strictement inférieur à \(\dfrac{\pi}{3}\) ait l’aire \(\mathscr{A}=\dfrac{m\pi}{n}\) (\(m\) entier naturel inférieur strictement à \(n\), avec \(n=3\times 2^{q}\)) d’un cercle hyperbolique constructible, il est nécessaire que l’arc \(x\) soit constructible et que \(x=\dfrac{1}{3}\dfrac{(n-m)\pi}{n}\cdotp\)

Le lecteur constatera maintenant que \(x=\dfrac{\pi}{6}\) vérifie ces deux conditions (avec \(n=2\) et \(m=1\)). Ainsi, le cercle hyperbolique de rayon euclidien \(\rho=\dfrac{1}{3}\) et le triangle équilatéral de centre \(\mathsf{O}\) dont un sommet a pour affixe \(R=\sqrt{\dfrac{1-\sqrt{3}\tan\left(\dfrac{\pi}{12}\right)}{1+\sqrt{3}\tan\left(\dfrac{\pi}{12}\right)}}
=\sqrt{\dfrac{\sqrt{3}-1}{2}}\)
sont tous les deux constructibles (clairement pas dans le monde de la caverne !) et de même aire.

Conclusion

Nous avons un début de réponse à la question posée plus haut : nous avons obtenu des cercles hyperboliques et des triangles équilatéraux hyperboliques constructibles et de même aire.

On peut maintenant se demander ce qu’il en est pour d’autres polygones réguliers hyperboliques, à commencer d’ailleurs par cette question préliminaire : pour quelles valeurs de l’entier \(n\) existe-t-il des polygones réguliers à \(n\) côtés hyperboliques constructibles… Pas sûr que ce soient les mêmes que pour leurs cousins euclidiens… Comme toujours en maths, le travail n’est fait qu’à moitié !

⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅♦⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅

Références

Sur ce qui vient d’être vu, il ne manque pas de sites internet et d’ouvrages à consulter.

En premier lieu, je me dois de citer les documents mis en ligne par Pierre Audibert et Jean- Philippe Préaux. Ils sont clairs, abordables par un lecteur étudiant en licence et novice dans ce domaine, ce qui était mon cas quand j’ai commencé à m’intéresser au sujet, remarquablement pédagogiques et riches en illustrations, ce qui me paraît indispensable.

  • [1] Pierre Audibert. Géométrie hyperbolique. .

  • [2] Jean-Philippe Préaux. Programmation Python pour les scientifiques – Premier contact. .

  • [3] James. W Anderson. Hyperbolic Geometry. Riche en exercices, clair lui aussi, abordable par des étudiants de licence, pas très bon marché, dommage, mais on doit pouvoir le trouver dans de bonnes bibliothèques universitaires. Springer.

  • [4] Roger Cuppens. Cabri : géométries non euclidiennes. APMEP brochures nos 160 & 161. Épuisés ? Très riche en résultats et en illustrations, plutôt allusif quant aux preuves, il demande une très solide culture géométrique, en particulier de bonnes bases en géométrie projective. Pour lecteur averti. On trouvera page 3 une préface où l’auteur décrit son itinéraire, et que j’ai trouvée très intéressante parce qu’elle montre les difficultés inhérentes au sujet. Par ailleurs il aborde d’autres modèles de géométrie hyperbolique plane que le disque de Poincaré, en particulier celui de Klein. En fin d’ouvrage, il donne une liste des macros utilisées, je suppose qu’elles sont accessibles à ceux qui ont téléchargé Cabri géomètre. Pour ma part, j’ai travaillé avec l’imprévisible et capricieux Maple — une médaille pour ma patience.

  • [5] János Bolyai. La science absolue de l’espace indépendante de la vérité ou de la fausseté de l’axiome XI d’Euclide suivie de La quadrature géométrique du cercle, dans le cas de la fausseté de l’axiome XI. . Paris : Gauthier-Villars, 1868.

Pierre Osadtchy a enseigné les mathématiques en collège, au lycée et au sein du département génie électrique et informatique industrielle de l’IUT de Nantes. Il s’est intéressé au disque de Poincaré à titre personnel.


  1. Remarque : cette application h est bien définie de \(\mathbb{D}\) dans \(\mathbb{D}\) .↩︎
  2. Je laisse le lecteur / la lectrice s’assurer qu’il s’agit bien là d’un carré hyperbolique.↩︎

  3. Remarque : la conséquence immédiate est : \(0< u < \dfrac{\pi}{2}\cdotp\)↩︎

Pour citer cet article : Osadtchy P., « La quadrature du cercle hyperbolique », in APMEP Au fil des maths. N° 541. 11 décembre 2021, https://afdm.apmep.fr/rubriques/ouvertures/la-quadrature-du-cercle-hyperbolique/.


Une réflexion sur « La quadrature du cercle hyperbolique »

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