Différencier avec un tétraèdre

L’hétérogénéité des élèves dans les classes peut rendre certaines séances inefficaces pour certains d’entre eux. Partant de ce constat largement partagé, Blandine Baudelet a présenté aux Journées de Nantes de 2017 un dispositif destiné à apporter à chaque élève l’aide dont il a besoin, au moment où il en a besoin. Découvrons le tétra’aide

Blandine Baudelet

© APMEP Septembre 2018

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Depuis des années, je me pose la question de la différenciation en classe. Je me suis intéressée notamment aux dispositifs de pédagogie active qui sont mis en place dans certaines classes de primaire. Parallèlement, j’ai découvert dans un journal local que le fameux tétra’aide inventé par Bruce Demaugé-Bost et utilisé dans les petites classes, était aussi utilisé dans une école d’ingénieur de l’ouest. Je me suis alors dit que ce type de matériel n’était peut-être pas réservé aux jeunes enfants, et j’ai osé l’utiliser en lycée, en me lançant dans des séances ponctuelles avec tétra’aide. Face à la réaction très positive de mes élèves, j’ai alors décidé de généraliser le dispositif à l’ensemble de mes classes.

Description et mise en œuvre du dispositif

Lors de séances en demi-groupe, chaque élève s’installe en classe en laissant une place libre à côté de lui. Il pose ensuite sur sa table un tétraèdre coloré qui indique les différentes situations : vert, je travaille seul ; jaune, j’ai une question ; bleu : j’aide ou je suis aidé ; rouge : j’ai une question urgente qui requiert le professeur. Un patron est disponible sur le site de Bruce Demaugé-Bost : .

L’élève dispose d’un plan de travail tournant autour d’une notion où les capacités travaillées sont clairement explicitées. Pour chacune d’elles, différentes activités sont proposées (fiche ou manuel), classées par degré de difficulté, certaines étant obligatoires, d’autres non. L’élève peut construire son parcours. Il connaît d’avance les capacités attendues qui seront évaluées au prochain devoir.

L’élève travaille seul. Dès qu’il a terminé une activité, il échange son tétraèdre avec un des quatre corrigés disponibles sur le bureau du professeur pour s’auto-corriger. Puis il continue. Si un élève bloque sur le travail demandé, deux cas se présentent :

  • soit il tourne son tétraèdre pour indiquer qu’il est dans la zone rouge et attend : il lui faut absolument l’aide de l’enseignant pour pouvoir commencer. Ce n’est pas l’exercice qui est en cause mais la notion abordée.

  • soit il tourne son tétraèdre pour indiquer qu’il est dans la zone jaune, va noter son nom au tableau ainsi que le numéro de l’exercice en cause, et continue à travailler en attendant l’aide d’un camarade. Lorsque l’un d’entre eux est capable de l’aider, il note lui aussi son nom au tableau, se déplace et s’assoit à côté de son camarade. Il n’apporte pas son cahier. C’est celui qui a demandé de l’aide qui montre où il en est, pose sa question. L’aidant écoute, explique, accompagne.

Si aucun élève n’est prêt à aider, le professeur s’inscrit et va aider. Cela arrive parfois en début de séance ou bien sur une activité difficile. Dans ce cas, l’élève aidé est invité ensuite à aider à son tour.

Pour avoir une vision plus éclairée de ce dispositif pédagogique de travail individualisé avec possibilité d’entraide, visionner la vidéo  peut s’avérer utile.

Questions-réponses

Peut-on utiliser ce dispositif dans tous les niveaux ?

Je peux répondre oui pour les niveaux du lycée puisque je l’ai mis en pratique dans mes classes de seconde, première S, et terminale STI2D. Il n’y a pas de raison que les collégiens soient moins aptes à aider leurs pairs que les élèves de primaire. Toutefois, ce dispositif qui permet le déplacement des élèves dans la classe demande une connaissance et une acceptation des règles et surtout un apprentissage de l’aide. Comment puis-je aider sans donner la solution ? Un travail préalable est sans-doute nécessaire pour rendre efficace le dispositif.

Ce dispositif est-il applicable dans tous les cours ?

Non, c’est son point faible : il ne fonctionne qu’en demi-classe car il nécessite beaucoup de place. Les élèves sont donc en séance de « TI1 » seulement une heure par semaine, quand la classe est dédoublée. Un essai dans une très grande salle avec 35 élèves n’a pas été concluant : les élèves étaient trop loin les uns des autres et trop loin du tableau, trop loin des corrigés. Il aurait fallu une salle circulaire avec un affichage central tournant !

N’est-il pas frustrant de ne travailler de cette manière qu’une heure par semaine ?

Oui, c’est très frustrant. On peut toutefois adopter d’autres configurations favorisant l’entraide en classe de 35 élèves. C’est le cas où la classe entière est gérée en îlots avec un dossier collectif à rendre. Là c’est davantage un travail collaboratif avec partage des tâches. Le dispositif est vraiment différent. Mais c’est vrai que mes autres séances sont plus « classiques » et moins efficaces. Il faudrait des effectifs allégés : une vingtaine d’élèves par classe ! 2

Plan de travail et tétra’aide vont-ils toujours de pair ?

Pas nécessairement, non. Dans mon parcours, le tétra’aide est arrivé une dizaine d’années après l’élaboration de mon premier plan de travail. Je l’avais conçu en première S pour introduire la dérivation des fonctions de référence. Le plan de travail proposait des entrées différentes pour s’approprier les formules de dérivation : la démonstration pour certains et seulement une vérification pour d’autres.

Les élèves travaillaient à leur rythme en choisissant leur parcours mais je n’avais pas prévu d’entraide. Les documents proposés, destinés à un travail en autonomie, avaient tendance à être très directifs. L’élève avait le choix entre les démarches proposées mais il était ensuite très guidé. Je laissais peu l’occasion d’initiative. La possibilité d’entraide offre la possibilité d’ouverture des activités proposées.

Inversement, j’ai des collègues qui utilisent le dispositif « tétra’aide » sans proposer de plan de travail. Il y a une liste d’activités à faire dans un certain ordre. Tous les élèves commencent par le premier exercice et bénéficient de la possibilité d’aider ou de se faire aider. La différenciation repose surtout ici sur le rythme d’avancement.

De bons élèves ne sont-ils pas tentés de travailler dans leur coin sans aider les autres ?

Bien sûr. Et alors ? Un élève peut engloutir le maximum de boulot à son rythme. Laissons-le. Un moment, il aura besoin d’aide et là, il relèvera la tête pour voir ce qu’il se passe autour de lui. Il peut mettre du temps à réaliser le bénéfice qu’il retire de l’explication à un autre.

Y a-t-il des élèves qui prennent les corrigés sans avoir fait l’exercice, sans demander de l’aide et qui recopient ?

Évidemment, c’est pourquoi il n’y a que quatre corrigés pour la classe. Personne ne peut le conserver sans se faire remarquer. Mais je n’interdis pas à un élève de jeter un coup d’œil au corrigé pour prendre des indices. C’est important que les corrigés soient bien explicites.

Et des élèves qui n’osent pas ?

Ce sont eux qu’il faut chercher. Parfois, un élève timide est bloqué mais n’ose pas s’inscrire. Je me propose de l’aider. Il accepte. Pendant que je m’installe, je lui demande de « nous » noter au tableau. Et à la fin, je lui demande s’il a compris, puis s’il se sent capable d’aider sur cet exercice. Il faut souvent l’encourager… mais quel bonheur ensuite quand il est remercié par un camarade pour son aide ! Il reprend confiance en lui.

Y a-t-il eu des classes avec lequel le système ne marche pas ?

Oui, cela m’est arrivé. Une fois, une classe de 1re S assez homogène et plutôt faible ne démarrait pas. Personne n’avait confiance en l’autre pour être aidé et personne n’avait confiance en soi pour se lancer dans un travail individuel. Après un DS raté par la moitié de la classe, je leur ai proposé de faire un « devoir maison facultatif de coaching » où un tuteur devait proposer des exercices à un camarade sur un sujet précis (c’était équations et inéquations), et le corrigeait. En échange de ce travail, il récoltait un bonus en cas de progrès de son « élève » au devoir suivant. Ce devoir a été un succès et a changé leur estime d’eux-mêmes. Le dispositif d’entraide a pu ensuite devenir efficient. Mais lorsque les classes sont hétérogènes, il fonctionne plus rapidement.

Quels sont les inconvénients de ce dispositif ?

Je ne reviens pas sur la nécessité d’avoir des demi-groupes, qui est une contrainte forte.

La préparation de plans de travail demande beaucoup de temps de préparation. Les professeurs qui l’ont essayé dans leurs classes ont souvent travaillé en binôme. Une collaboration entre collègues est nécessaire pour partager le travail. Par contre, le dispositif d’entraide est plus léger à mettre en place.

Un dernier inconvénient est que le professeur ne contrôle pas la pertinence de l’aide apportée par un élève. Il ne maîtrise pas tout ce qui se dit dans la classe. Il est donc important que des mises en commun soient faites et que des séances animées par le professeur complètent ces séances de « TI ».

Les bénéfices sont-ils à la hauteur de l’investissement ?

Ce dispositif me libère pour me rendre disponible pour les élèves qui ont vraiment besoin de moi : un élève en difficulté, un élève qui revient d’une longue absence et qui doit rattraper son cours,… Je ne suis plus happée par les « Madame, madame ! » impatients des élèves qui veulent seulement que je les rassure à chacun de leurs pas « C’est ça, madame ? ». D’autre part, dans mon lycée polyvalent où les séries technologiques prédominent, très peu d’élèves maîtrisent parfaitement l’expression écrite et aucun ne bénéficie de cours particuliers. Or la démarche scientifique s’appuie sur des compétences de communication écrite. Passer par l’oral est une étape indispensable. Dans l’activité mathématique, le chemin est aussi important que le résultat. Là, les élèves s’exercent à expliquer leur démarche. Et c’est un bénéfice indéniable.

D’autres petits bénéfices sont ne sont pas négligeables : l’ambiance de travail dans la classe, le sentiment qu’aucun élève ne s’ennuie, le plaisir de m’assoir à côté d’un élève pour répondre à son attente, le soulagement de mon dos, la relation de confiance, l’intégration des élèves à profil dys, …

L’objet tétraèdre est-il vraiment utile ?

Non, bien sûr. Ce dispositif d’entraide a déjà été adapté dans d’autres matières (par exemple en français en lycée professionnel) sans l’objet « tétraèdre ».

Mais il a l’intérêt de clarifier les situations possibles de l’élève : travail seul en silence, auto-correction, entraide. On peut le rappeler en cas de débordement Tiens, tu parles. Or ton tétraèdre est en position “verte” ! Tu aides ton camarade ? Mais il n’a rien demandé. Tu as oublié de t’inscrire ?.

Jérôme Laboubie, un collègue de Challans a créé un tétraèdre « Excelisé » qui remplace à la fois le tableau et l’objet. Les élèves cliquent sur la feuille de calcul au lieu d’écrire leur nom au tableau. C’est ingénieux !

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Blandine Baudelet est professeure de mathématiques au lycée polyvalent Jean Moulin à Angers. Vous pouvez la contacter pour des compléments et documents.




  1. TI : diminutif de Travail Individualisé (avec entraide, ici)

  2. Freinet : « Invariant 25 : la surcharge des classes est toujours une erreur pédagogique. »

Pour citer cet article : Baudelet B., « Différencier avec un tétraèdre », in APMEP Au fil des maths. N° 529. 3 octobre 2018, https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/differencier-avec-un-tetraedre/.

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