La table d’appui, un dispositif à découvrir

Sous la notion de différenciation pédagogique se cache une multitude de pratiques enseignantes et un panel de dispositifs pour faire face à l’hétérogénéité dans les classes. Claire Lommé nous décrit la mise en œuvre d’un dispositif original avec ses élèves : la table d’appui.

Claire Lommé

© APMEP Septembre 2018

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Entre octobre 2016 et mars 2017, le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) et l’Institut français de l’Éducation (Ifé) / ENS de Lyon ont organisé une conférence de consensus intitulée : « Différenciation pédagogique : comment adapter l’enseignement pour la réussite de tous les élèves ? ». Des experts ont présenté les résultats de leurs travaux sur ce thème.

Parmi eux, Alexia Forget, chargée d’enseignement à l’université de Genève (Suisse), a intitulé son intervention : « Quels sont les différents types de différenciation pédagogique dans la classe ? »[1]. J’avais la chance de faire partie du jury, et j’ai découvert alors un dispositif que j’ignorais : la table d’appui, concept formalisé par Battut et Bensimhon en 2006 [2] mais peu étudié depuis.

Description du dispositif

Le dispositif table d’appui peut être mis en œuvre avant, pendant ou après l’apprentissage collectif planifié par l’enseignant. Il s’agit de matérialiser un espace dans la classe dans lequel l’enseignant pourra travailler avec un groupe d’élèves en difficulté ponctuelle sur l’activité proposée. Alexia Forget écrit : « La dimension matérielle n’est pas secondaire : interagir avec un élève sur le coin de son bureau n’est pas de même nature que de l’inviter dans un espace consacré à cette fonction ».

La lecture de la note de synthèse proposée par Alexia Forget avant les présentations publiques des experts et la rédaction des recommandations  m’a donné envie de tester le dispositif rapidement. Après une année de pratique et d’appropriation, il fait partie de mes pratiques pédagogiques régulières. Pourquoi ?

Avantages du dispositif

Travailler par table d’appui est logistiquement simple : il suffit d’une table ou deux, de quelques chaises autour, pour créer cet espace. Comme ma classe est en permanence organisée en îlots, je libère un îlot pour la table d’appui, en ajoutant éventuellement un élève à chaque autre îlot pour « faire de la place ». J’ai choisi de ne jamais utiliser mon bureau, qui pourrait pourtant accueillir des chaises et proposer de la place aux élèves : je tiens à montrer que c’est moi qui me déplace, et qui viens travailler au cœur de la classe, assise parmi eux, avec eux. Car je ne me déplacerai a priori pas de la table d’appui : ce sont les élèves qui viendront à moi. De plus, cela me permet de me positionner de façon stratégique, à l’îlot central, et de pouvoir continuer d’exercer une vigilance nécessaire quant au reste de la classe.

Travailler par table d’appui ne demande pas de préparation particulière. Il m’est arrivé de décider que nous constituerions une table d’appui sans l’avoir anticipé, parce que j’observais des difficultés chez certains élèves. Il faut toutefois avoir à proposer une activité qui permet la mise en autonomie de la majorité des élèves : la table d’appui n’a de sens que si seuls quelques élèves ont besoin d’aide au point de se tourner vers l’enseignant.

La mise en œuvre en classe

Travailler par table d’appui va dans le sens de pratiques collaboratives et inclusives. Comme tout dispositif de classe, elle nécessite, pour bien fonctionner, le respect de quelques règles. Voici celles que j’ai mises en place avec mes élèves :

    1. Je viens à la table d’appui, après m’être assuré que mes camarades ne peuvent pas m’aider ;

    2. Je viens avec une vraie question, précise et formulée dans ma tête ;

    3. Je ne reste pas plus de dix minutes à la table d’appui ;

    4. Je me souviens que mon investissement sera évalué.

La première règle instaurée est qu’aucun élève ne doit venir à la table d’appui sans avoir au préalable demandé l’aide de ses camarades. Ainsi, les élèves qui viennent à la table d’appui sont souvent mandatés par leurs camarades d’îlot, et leur ramèneront des informations, ou bien viennent parce que leurs camarades n’ont pas réussi à leur expliquer comment surmonter leur difficulté.

Cela permet à l’enseignant de collecter des informations précieuses : quels sont précisément les obstacles rencontrés par cet élève ? Comment l’élève parvient-il à exprimer ses difficultés ? Pourquoi ses camarades n’ont-ils pas réussi à les lui faire surmonter ? C’est aussi l’occasion d’entendre des élèves qu’on entend peu, et de s’adresser à eux de façon personnalisée, sur un temps moins court que si l’enseignant circule dans la classe.

Travailler par table d’appui présente un autre atout majeur, lié à ma deuxième règle : obliger à réfléchir avant de parler. La deuxième règle est : ne jamais venir à la table d’appui sans une question précise et formulée en amont. Pas question de s’asseoir à côté de moi pour me dire « je n’ai rien compris » ou « je n’y arrive pas, mais je ne sais pas expliquer ». Pour avoir le droit à la table d’appui, il faut avoir réfléchi, communiqué avec les pairs pour vérifier que l’annonce du problème est intelligible. Cela oblige les élèves à réfléchir à leur parole, à s’interroger sur la formulation, à rechercher l’explicite. D’une part ils progressent dans l’expression orale (et parfois écrite, puisque certains élèves écrivent leur question et viennent avec leur morceau de papier), et d’autre part ils se concentrent davantage sur la façon de communiquer, et moins sur le fait qu’ils ont rencontré une difficulté : cette pratique a un côté clairement désinhibant.

Un effet secondaire de cette deuxième règle est que nous travaillons ainsi de façon sereine : pour ma part, je ne navigue pas d’un bout à l’autre de la classe, interrompue cinq ou six fois alors que je chemine vers un élève qui lève la main depuis trop longtemps, souvent pour répondre à des questions auxquelles les élèves auraient été en mesure de répondre s’ils avaient réfléchi un moment. Et les élèves, de leur côté, apprécient l’autonomie conférée par le dispositif, et aussi de pouvoir circuler dans la classe dans le cadre des règles. Rien que ce déplacement, parfois, suffit à les aider à remédier : à leur âge, le mouvement est important.

Vers l’autonomie des élèves

Travailler par table d’appui, comme le souligne Alexia Forget, « permet aussi d’accompagner l’élève vers l’autonomie. En effet, bon nombre de praticiens profitent des moments à la table d’appui pour aborder avec les élèves, parallèlement aux contenus, la question des démarches de résolution et des méthodes d’apprentissage » en appelant « chez l’élève la prise en charge progressive des dimensions métacognitives ». Cela profite à l’élève, qui observe qu’il comprend de toute façon des choses, qui voit comment faire pour avancer, qui découvre d’autres méthodes proposées par ses camarades à la table d’appui. Et cela profite à l’enseignant, qui accroît et consolide sa connaissance des élèves et de leurs processus de compréhension et d’apprentissage. Il analyse aussi plus facilement les insuffisances de son propre discours, les difficultés inattendues, les implicites dans son enseignement.

À me lire, le dispositif « table d’appui » semble aisé à mettre en œuvre et productif. C’est en effet le cas, mais évidemment des inconvénients peuvent apparaître.

Inconvénients du dispositif

Le premier inconvénient est que certains élèves ont tendance à se reposer de façon excessive sur l’enseignant, ou à avoir besoin de sa présence physique à côté d’eux pour se rassurer. Or, lors d’une telle séance, l’enseignant est là pour remédier, mais ne doit pas se transformer en une espèce de doudou ! Ce constat a alors donné naissance à la troisième règle : interdiction de rester plus de dix minutes à la table d’appui. On pourrait aussi envisager de limiter le nombre de fois par élève à la table d’appui, pour les plus en demande. En tout cas, il faut veiller à développer l’autonomie, la confiance en soi, et ne pas risquer un sur-étayage qui est l’opposé de ce que l’enseignant recherche.

Le deuxième inconvénient est qu’un élève peut passer inaperçu dans ce dispositif : s’il ne joue pas le jeu ou n’ose pas quérir de l’aide, il n’aura pas profité de la séance, et la différenciation aura échoué pour lui. C’est une problématique classique par ailleurs, et familière à l’enseignant, mais exacerbée dans ce dispositif puisqu’il ne se déplace pas.

Pour cette raison, j’ai décidé d’établir la quatrième règle : les élèves sont systématiquement évalués sur la séance. Cela ne prend pas forcément une forme sommative, mais je cherche à savoir où en sont les élèves sur les savoirs et les compétences engagés, en ramassant leur travail, en les enregistrant avec des lecteurs MP3 pendant la séance, en ramassant leurs productions, par des questions flash, etc. Je n’évalue pas forcément toute la classe, et je ne préviens pas de la modalité choisie : ainsi je peux m’adapter à ce que j’observe. En une année d’expérimentation, je n’ai jamais relevé de gros problèmes d’investissement.

En guise de conclusion

Le dispositif table d’appui s’intègre à mes pratiques pédagogiques. À peu de frais, il me permet de mieux travailler, de façon plus posée, et de consacrer davantage d’espace intellectuel à la remédiation que tel ou tel élève vient chercher auprès de moi. Il ne constitue pas une solution, mais s’inscrit dans le panel des pratiques efficaces liées à la différenciation pédagogique. Le fait que cet espace soit institutionnalisé dans la classe, matérialisé, est en effet fondamental : les élèves sont sensibles à la portée symbolique de la table d’appui, et cela contribue à son bon fonctionnement.

Je vous livre une anecdote pour finir : l’année dernière, lors d’un rallye mathématique CM2-6e, j’ai vu mes élèves organiser de façon spontanée et explicite une table d’appui. Deux élèves identifiés comme « forts et qui expliquent bien » ont été poussés à animer une table d’appui pour aider les élèves bloqués devant un problème ou résoudre les désaccords. Et cela a plutôt bien fonctionné !

Références

  1. Cnesco (2017). Notes remises dans le cadre de la conférence de consensus du Cnesco et de l’Ifé/Ens de Lyon « Différenciation pédagogique : comment adapter l’enseignement pour la réussite de tous les élèves ? » pp. 17-25. .

  2. Éric Battut et Daniel Bensimhon. Comment différencier la pédagogie. Retz, 2006.

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Claire Lommé est enseignante de mathématiques et formatrice académique. Elle enseigne au collège Jean de la Varende à Mont-Saint-Aignan (Haute Normandie) et intervient dans la formation, continue et initiale. Elle est aussi l’auteur du blog PIERRE CARRÉE .

Pour citer cet article : Lommé C., « La table d’appui, un dispositif à découvrir », in APMEP Au fil des maths. N° 529. 6 octobre 2018, https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/la-table-dappui-un-dispositif-a-decouvrir/.