Collaborer pour produire une ressource :
les apprentissages numériques en laboratoire
de mathématiques

Cet article présente un travail en équipe d’enseignants, dans le cadre d’un groupe IREM, dont la visée fut l’élaboration d’une ressource pour la formation et l’enseignement destinée à un usage en laboratoire de mathématique.

Maha Abboud

© APMEP Décembre 2019

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Le groupe Ressources TICE pour la formation et l’enseignement est un groupe de l’IREM de Paris , constitué d’enseignants et de formateurs d’enseignants. L’objectif du groupe (dont je coordonne les travaux) est de produire des ressources, intégrant une dimension TICE, qui soient exploitables dans la formation et l’enseignement des mathématiques.

À la rentrée 2018, des Laboratoires de mathématiques ont vu le jour dans certains lycées (cinq à huit par académie) en réponse à des mesures du rapport Villani-Torossian (2018) . De plus, le lien entre ces nouveaux dispositifs de formation et les missions des IREM a été plébiscité dans ce rapport. Notre groupe s’est alors naturellement saisi de cette nouvelle modalité de formation, notamment dans ses dimensions d’adossement à la recherche dans le domaine éducatif et de diffusion de savoirs pour la pratique enseignante.

De surcroît, nous avons eu l’opportunité de collaborer avec le laboratoire de mathématiques du lycée Galilée de Gennevilliers (académie de Versailles). Ce laboratoire a la spécificité d’être inter-degrés, regroupant des enseignants de mathématiques du secondaire et des enseignants du primaire. Les participants à ce laboratoire ont choisi un thème de travail fédérateur : « les apprentissages liés à la numération du primaire au secondaire ». La collaboration qui s’est installée avait pour objectif de partir des besoins de formation exprimés relativement à ce thème pour y apporter une réponse en termes de conception de ressources utilisables par le formateur et par l’enseignant. Ces ressources devaient pouvoir être exploitées par l’ensemble des membres du laboratoire, qu’ils soient enseignants en élémentaire ou dans le secondaire. Une fois élaborées, les activités de classe support de ces ressources ont été testées et analysées de façon à fournir également des éléments de réflexion sur leurs mises en place dans les classes, aussi bien en matière de gestion des apprentissages que des notions mathématiques en jeu.

La dynamique de travail et la réalisation de la ressource

Ayant dans notre groupe IREM des compétences et des expériences variées (enseignants collège-lycée, formateurs universitaires 1er et 2nd degré) nous nous sommes engagés dans une dynamique de travail en plusieurs étapes qui peut être résumée comme suit. D’abord, des germes d’idées sont proposés et discutés au cours de réunions par l’ensemble du groupe. Ensuite, ces idées « primaires » sont reprises par petits groupes pour les développer en y intégrant un apport de la littérature professionnelle et de recherche correspondante. Des activités de classe sont ainsi construites puis testées avec les élèves. Dans une phase de retour réflexif sur l’action, l’ensemble du groupe travaille alors sur la conception d’une ressource à la fois porteuse d’un scénario de formation et intégrant des éléments pour une mise en place en classe.

À l’issue de cette première année de travail, un document complet est né sous la forme d’une brochure1 publiée par l’IREM de Paris. Elle est composée de trois parties, chacune fournissant un scénario de formation basée sur une activité de classe.

Un formateur souhaitant s’en servir peut utiliser les trois parties dans l’ordre proposé ou dans un ordre différent correspondant à son objectif de formation ou bien sélectionner des éléments pour concevoir son propre scénario de formation. Des activités pouvant directement être utilisées en classe sont proposées dans les différentes parties et dans les annexes. L’enseignant peut donc les utiliser selon le format fourni ou bien les adapter pour sa classe.

Le contenu de la ressource

Nous présentons ci-après les trois parties d’une façon sommaire et invitons le lecteur à se rapporter à la brochure et ses annexes disponibles en libre accès sur le site de l’IREM de Paris .

La première partie traite de l’activité « Des chiffres à rayer » qui permet de mobiliser en premier les connaissances autour de la numération décimale de position (écriture d’un entier) ; elle peut être proposée en élémentaire et en secondaire. L’énoncé initial2 qui suit est adaptable relativement à la quantité de nombres à écrire et de chiffres à rayer :

On écrit la suite des soixante premiers nombres entiers non nuls :
12345678910111213141516…5657585960.

Rayez cent des chiffres ainsi écrits, de sorte que le nombre formé par les chiffres restants, sans en changer l’ordre, soit le plus grand possible. Quel est ce nombre ?

L’activité a été mise en place dans deux niveaux différents : en Sixième sous la forme de défis et en Seconde (avec des choix de nombres et un format mieux adaptés à ce niveau de classe).

Une analyse du travail des élèves est présentée ainsi qu’une mise en évidence des connaissances mobilisées et des difficultés rencontrées. Des éléments de comparaison sur les connaissances, liées à la numération, mobilisées selon le niveau de classe considéré sont également fournis.

Pour l’activité de l’enseignant en classe, cette première partie offre aussi une proposition d’utilisation du tableur pour résoudre le problème ainsi qu’une proposition d’écriture d’un algorithme de résolution en langage naturel (envisageable dès la classe de Seconde) puis, selon le niveau de classe et les aptitudes des élèves, son implémentation en Python.

La deuxième partie traite la question des systèmes de numération au niveau lycée tout en adoptant une entrée qui nous semble motivante pour les élèves et riche de questionnements sur le fonctionnement de ces systèmes. La ressource a été élaborée à partir d’un ensemble de documents accessibles en ligne et cités dans le texte. L’énoncé proposé est celui de décodage d’un message autour de la suite de Fibonacci. Elle permet de faire travailler de façon ludique les élèves de lycée sur des bases numériques autres que celles usuellement utilisées au collège (décimale et sexagésimale).

Pour cela, nous avons associé dans l’activité proposée un système de numération positionnelle, le codage binaire et la suite de Fibonacci. Ceci met en parallèle le codage de Fibonacci et le théorème de Zeckendorf sur la décomposition d’un nombre en somme de nombres de Fibonacci tous distincts et non consécutifs en permettant une activité calculatoire.

De plus, l’activité permet :

  • de mettre en lien les propriétés du système de numération décimale de position au regard de cette numération exotique 3,

  • d’envisager différents prolongements dans divers cadres, l’enseignement des mathématiques, l’enseignement de Sciences Numériques et Technologiques, la spécialité Numérique et Sciences de l’Informatique.

L’activité a été mise en place dans des classes de Seconde et de Terminale. Une analyse a priori des choix faits lors de l’élaboration de l’énoncé est d’abord proposée afin de permettre à un enseignant utilisateur de cette ressource de faire éventuellement d’autres choix. Une analyse du déroulement est ensuite présentée en termes de modalités de mise en place et d’activités des élèves. Ces analyses servent de support au scénario de formation qui suit afin d’illustrer les choix réalisés lors de la préparation et les questions que la mise en œuvre pourrait soulever.

Dans cette partie également nous proposons un prolongement du côté des outils numériques : tableur et Python.

La troisième partie traite du système de numération sexagésimale d’abord à travers une activité de formation et son extension à l’enseignement, revisitant les origines de la base sexagésimale et ensuite à travers un exercice sur les durées pouvant être traité dès le cycle 4.

En effet, la base 60 nous a particulièrement intéressés car au cours de la scolarité, différentes activités sont à mener pour confronter les élèves à des situations qui les amèneront à convertir les années-jours-heures-minutes-secondes, à calculer des durées, à s’approprier des techniques opératoires sur les durées et traiter des problèmes impliquant simultanément différentes mesures.

Cette problématique a été abordée dans plusieurs ressources en ligne et travaux de recherche (cités dans le texte). Dans cette partie nous nous sommes appuyés dessus pour concevoir un scénario autour de la numération babylonienne. Ce scénario permet au formateur et/ou à l’enseignant de saisir l’opportunité de travailler un calcul proposé en numération ancienne pour revisiter les principes de la numération de position dans une base donnée. Il se prolonge ensuite par une activité de résolution de problème sur les durées avec une analyse a priori détaillée et des propositions de mise en œuvre et des prolongements dans le cadre de l’enseignement et/ou la formation.

Perspectives

Un rapide coup d’œil sur la mise en place des premiers laboratoires de mathématiques montre une diversité d’approches et de fonctionnements d’une académie à l’autre, mais aussi à l’intérieur d’une même académie. Plusieurs difficultés factuelles empêchent l’adhésion des enseignants à cette initiative : manque de plages communes de disponibilité, volontariat comme base privilégiée de participation, problème de financement, manque de locaux et de matériels qui faciliteraient le travail des équipes… ajouté à cela un sentiment de perte de temps dans une structure innovante qui n’a pas encore prouvé son efficacité. Toutefois, il nous semble que les équipes (même d’effectif réduit) qui se sont formées et qui commencent à travailler dans un esprit de partage d’expériences et dans une ambiance de confiance peuvent constituer des embryons d’équipes plus élargies qui viendraient alimenter une montée en puissance des collaborations avec les IREM, ne serait-ce qu’au niveau académique. Le développement de ces équipes et les ressources qu’ils peuvent produire comme cela a été le cas dans notre groupe, seraient l’occasion d’un échange renforcé entre les praticiens sur le terrain et les universitaires travaillant sur des thématiques liées à l’enseignement et à l’apprentissage des mathématiques. Le processus de conception de ces ressources représente en soi un pan de formation continue, mais l’analyse a posteriori des mises en œuvre de ces ressources est aussi une autre facette de formation qui amènerait un regard réflexif de l’enseignant sur la pratique et par conséquent un développement professionnel toujours soutenu et permis par le travail collaboratif. C’est notre ambition pour le futur proche de notre groupe.

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Maha Abboud est professeure des universités en didactique des mathématiques et formatrice à l’INSPÉ de l’académie de Versailles. Une de ses thématiques de recherche est celle de l’étude des pratiques et des dispositifs de formation des enseignants de mathématiques.




  1. Maha Abboud, éd. Document pour la formation des enseignants (« Cahier bleu »). Pour la formation en laboratoire de
    mathématiques : une ressource à propos du nombre et de la numération. n o 17. Paris, 2019.

  2. Source :.

  3. On appelle « numération exotique » tout mode de représentation des nombres avec un caractère original dû à son élaboration.

Pour citer cet article : Abboud M., « Collaborer pour produire une ressource : les apprentissages numériques en Laboratoire de mathématiques », in APMEP Au fil des maths. N° 534. 23 février 2020, https://afdm.apmep.fr/rubriques/opinions/collaborer-pour-produire-une-ressource-les-apprentissages-numeriques-en-laboratoire-de-mathematiques/.