Les jeux d’évasion

Le jeu d’évasion constitue à l’échelle de la planète un phénomène de société. Certains enseignants ont pensé qu’il y avait dans les principes de ce jeu, adaptable à tous les âges et à tous les niveaux, matière à faire faire utilement des mathématiques à leurs élèves. Sébastien Dumortier est de ceux-là et nous fait partager ses motivations et son expérience avec passion.

Sébastien Dumortier

© APMEP Juin 2020

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Pourquoi un jeu d’évasion ?

Nous sommes tous joueurs, et je soupçonne les mathématiciens de l’être particulièrement !

La devise du groupe «Jeux mathématiques» que j’ai intégré en septembre 2018 à l’IRES1 de Toulouse est «Le jeu est la forme la plus élevée de la recherche» (Einstein). Et puisqu’il est question de recherche, donc étymologiquement de «fouiller autour», l’un des jeux qui s’y prête tout particulièrement est sans conteste le «jeu d’évasion», qui se pratique en principe en équipe.

Il en existe principalement deux formes, selon l’objectif poursuivi :

  • les joueurs tentent de s’évader d’une salle ;

  • les joueurs tentent d’ouvrir un coffre (ou une mallette, ou …) contenant l’objet de leur quête.

Le dénominateur commun de ces deux formes est la résolution d’énigmes.

On y est : tous les éléments que je souhaitais voir réunis dans une activité pédagogique sont présents :

  • le travail en équipe, pour la coopération et l’émulation ;

  • l’aspect ludique (casse-têtes, fouilles, surprises, émotions, …) ;

  • la prise d’initiative, devant des situations imprévues ou fluctuantes ;

  • la possibilité de créer des énigmes dans les registres que l’on veut, la seule limite étant notre créativité.

Fraîchement muté au collège Théodore Despeyrous de Beaumont-de-Lomagne, patrie de Pierre de Fermat, après plus de quinze ans en lycée à Brive, j’ai souhaité profiter du dynamisme des élèves de collège en concevant une activité originale, si possible captivante, non évaluée, mais formatrice. Le cadre le plus souple m’a paru être les «Clubs Midi-Deux» (parfois appelés Clubs méridiens). La participation des élèves est soumise au volontariat, la liste peut changer à chaque séance, l’effectif est libre, et une salle est toujours disponible.

Le premier trimestre a permis de préparer le concept et de me documenter. J’avais déjà expérimenté plusieurs «Escape Game» commerciaux dans différentes villes d’Europe, en famille, ce qui m’avait donné un aperçu des «coutumes» des joueurs, et de l’esprit général qui doit régner. Toutefois, ce modèle professionnel, bien que séduisant, est hors de portée d’un enseignant dans le cadre de son métier. Certaines salles peuvent coûter \(100000\) € (de la conception à la réalisation) et nécessitent donc un puissant retour sur investissement. Pour ma part, le budget prévisionnel avoisinait plutôt la centaine d’euros, et le retour sur investissement consistait en un reliquat d’heures éventuellement disponibles en fin d’année pour cette activité.

Ma mission, si je l’acceptais, serait donc de concevoir des énigmes à la portée de collégiens, avec du matériel de récupération, ou quelques acquisitions très modestes.

Étape 1 : trouver le matériel

La base, bien sûr, est le cadenas. Mais on est souvent loin d’imaginer qu’il en existe une multitude. Nous avons tous en tête le cadenas à code (chiffres, lettres) plus ou moins classique et celui à clé. Vous avez peut-être aussi croisé ceux-là :

Cadenas à combinaison.

Cadenas d’artillerie.

Cadenas directionnel.

Cadenas chinois.

Mais il en existe aussi d’autres : Bluetooth (nécessite un smartphone), NFC (nécessite une puce), à empreinte («fingerprint» qui nécessite… vos doigts…) etc. Je ne résiste pas à l’envie de présenter un cadenas multi-clés (les clés sont toutes différentes !), aussi appelé «cadenas indien», avec la méthode d’ouverture sur cette page : .

Une forme agréable et intrigante : le cadenas-coffre, dont le cryptex fait partie :

Cadenas coffre.

La particularité est que le cadenas renferme l’objet. On retrouve le même principe dans les «boîtes à clés» codées, ou encore dans les mallettes à code ou double-code, que j’évoquerai plus loin. Pour en finir avec les cadenas, ce serait dommage de faire l’impasse sur le cadenas virtuel. Il permet de varier les plaisirs en offrant des sources d’inspiration nouvelles. Mon préféré, qui évolue et est déjà très complet, est maintenu par Nicolas Desmarets (un collègue de mathématiques que je remercie ici pour cet outil). Il s’agit de lockee.fr. En quelques clics, on accède à toute une panoplie de type de cadenas, dont certains très originaux. Par exemple «Musical» consiste à reproduire la mélodie sur un clavier de piano.

Ou encore «Géolocalisé» qui nécessite de s’approcher à quelques mètres d’un point précis pour débloquer le cadenas. Une fois «ouvert», le cadenas virtuel peut fournir au choix : un texte, une image, un son, une vidéo ou un lien internet. On peut ainsi créer jusqu’à trente cadenas simultanément, et gratuitement. Seule contrainte, il nécessite une connexion à l’internet.

Le matériel est un élément prépondérant du jeu d’évasion. D’où l’importance de cette section. C’est un peu un catalogue à la Prévert, mais selon mon expérience, il est plus simple de partir du matériel à sa disposition, et de créer des énigmes, que l’inverse. Je donnerai toutefois un contre-exemple dans cet article.

Maintenant que nous avons de quoi les fermer, il faut dénicher des contenants. En faisant bien le tour de votre grenier, vous devriez trouver votre bonheur, et en profiter pour faire un peu de rangement. Faire d’une pierre deux coups, en quelque sorte… Tout est bon : valise, sac, boîte en bois, en plastique, coffre à jouets, cage à oiseau, aquarium.

Le mystère étant souvent entretenu par la dissimulation, il me paraît indispensable de s’équiper d’un feutre à encre invisible, et de son inséparable lampe à ultra-violets. Effet «wahou» garanti. Enfin, j’ajouterais au matériel tout objet susceptible de créer une ambiance (des livres, de la décoration, une lumière tamisée…) selon le thème que vous aurez défini !

Étape 2 : choisir ma thématique (excellent choix !)

Résoudre des énigmes, cela reste du travail pour les élèves. Vous aurez beau les lier à un peu de manipulation avec votre matériel, si l’ambiance générale ne plonge pas les élèves dans une aventure enthousiasmante, l’activité risque de faire flop.

Le premier jeu que j’ai créé l’an dernier consistait à faire monter les élèves dans un vaisseau qui les enverrait sur Mars, en quarantaine, s’ils ne se montraient pas capables de coopérer pour sortir d’une toute petite salle. Et à dix élèves dans douze mètres carrés, plus le professeur, je vous garantis qu’on sent la chaleur des réacteurs monter pendant une heure (surtout en mai-juin !). Rajoutons à cela un bruit de moteur d’intensité croissante et un décompte du temps, et vous avez un cocktail qui prend à tous les coups. Et pourtant, la décoration était minimale. L’ambiance sonore contribue également à rendre l’expérience immersive.

Il n’est donc pas forcément utile de passer des heures à la décoration. Les élèves seront rapidement dans l’ambiance avec quelques artifices. Toutefois, cela peut-être intéressant de faire collaborer les collègues d’arts plastiques, de musique, de technologie, … pour cette partie décorum, voire pour les énigmes elles-mêmes selon vos objectifs.

La salle avant le grand rush : un désordre organisé dans une ambiance dépouillée.

Sur l’image ci-dessus on voit le matériel informatique. J’avais installé une webcam reliée à un lecteur de QR-code. Les élèves n’avaient pas le droit de toucher au matériel informatique. Ils devaient trouver cinq morceaux de QR-code et les assembler comme un puzzle, sous la webcam. La lecture du code donnait la clé permettant de sortir de cet enfer.

À la rentrée 2019, je n’avais plus la possibilité de disposer d’une petite salle dans les mêmes conditions. Je me suis donc imposé une contrainte supplémentaire : faire tenir le concept dans une valise. Et ça marche ! À condition de changer un peu de type de jeu. J’ai donc créé un «Désamorce la bombe», que je peux préparer en quelques minutes, et ranger aussi vite. Il est au fond de ma salle de classe, très discret.

Étape 3 : concevoir les énigmes

Une énigme géométrique.

La base du jeu, ce sont les énigmes. À mon sens, la difficulté ne devrait jamais résider dans une manipulation trop complexe d’un objet (par exemple le cadenas indien), ni dans une fouille trop importante (par exemple un indice caché dans une fausse boîte de dérivation électrique). Outre le fait que cela générerait chez les élèves des comportements dangereux (démontage, désossage, casse, électrocution, chute, et j’en oublie…), cela contribuerait à les éloigner de notre objectif qui est, rappelons-le s’il en était besoin, de les faire travailler en mathématiques.

L’énigme page précédente a été proposée à un public d’enseignants (mais peut convenir à des lycéens) ; il s’agissait de trouver trois couleurs ouvrant un cadenas virtuel.

La consigne orale était de me donner des coordonnées possibles. Je répondais alors par la distance avec le point mystère. Ainsi avec trois questions, il était toujours possible de trouver ce point, à l’aide du compas fourni.

Une énigme Scratch.

La deuxième énigme (énigme Scratch) peut-être proposée au collège. Basée sur Scratch, elle consiste à associer une couleur à une lettre (la lettre I figurant en bas de la page), afin de reconstituer avec d’autres énigmes un code couleur). Selon le public visé, vous adapterez vos énigmes. Selon le temps que vous souhaitez allouer à l’activité, vous modulerez leur difficulté. Selon la répartition des tâches que vous voulez instaurer dans l’équipe, vous créerez des interférences entre les énigmes.

En premier lieu, il serait dommage de créer des énigmes purement linéaires. Les élèves ne travailleraient alors qu’à une tâche à la fois, tous ensemble, sans réel besoin de communiquer. Certains seraient inactifs (désœuvrés au sens propre). Il est nécessaire que des sous-groupes se créent, et que chacun soit affecté à une mission différente. Si possible, les difficultés des énigmes doivent être très variées, afin de permettre à des élèves de niveaux très différents d’être en situation de réussite.

L’idéal est que les objectifs convergent vers une «résolution finale» dont chacun aura des bribes.

Pour certains élèves, il n’y a sensation de succès que si la résolution d’une énigme ouvre un objet (cadenas, boîte, …). Il faut donc une finalité concrète aux énigmes. Ainsi, chaque sous-groupe pourra avoir comme mission de résoudre une énigme permettant d’ouvrir un cadenas, un coffre, ou autre objet, donnant accès à un morceau d’indice amenant à la résolution d’une énigme finale.

On voit vite que c’est l’imbrication, voire l’intrication des énigmes, qui crée la richesse et l’intérêt du jeu. Mais concevoir cet enchevêtrement ne s’improvise pas. Il faut coucher sur le papier les interactions ainsi créées entre les énigmes. Il serait dommage que l’énigme E, permettant d’ouvrir la boîte B, se trouve dans le coffre C, dont la clé est cachée dans B… Vous suivez ? Et c’est là le cas le plus simple d’infaisabilité. D’où l’utilité par exemple de construire une carte mentale du jeu comme celle ci-dessous.

Carte mentale de mon premier jeu d’évasion.

C’est en tout cas ainsi que je procédais au début. Un peu moins maintenant, car j’ai l’impression que plus on connaît son matériel, et plus on peut se permettre de ne pas tout écrire. Il faudra néanmoins être vigilant à retenir les différentes combinaisons des cadenas, sous peine de ne plus pouvoir s’en servir. Force est de constater qu’il nous est tous arrivé un jour de tomber sur un cadenas dont on avait égaré la clé ou oublié le code. Et quand ce code est constitué de quatre chiffres, cela laisse tout de même \(10000\) possibilités… Pour un cryptex à six lettres, on est à plus de \(300\) millions de combinaisons…

La difficulté du jeu ne doit pas résider dans l’habileté nécessaire pour ouvrir un cadenas, mais dans la qualité de l’énigme qui le permet. Ce sont parfois les systèmes les plus simples qui sont les plus déroutants, et vous seriez surpris de voir la joie des élèves trouvant une «astuce» tellement évidente que vous aviez hésité à l’utiliser. J’en veux pour exemple une simple cage à oiseau utilisée pour contenir des énigmes écrites sur papier, une lampe à UV, et une boîte fermée à clé. Cette cage avait deux trappes, une grande, fermée par un cadenas directionnel, et une petite, qui pouvait s’ouvrir librement. Les papiers pouvaient être sortis sans rien ouvrir, entre les barreaux de la cage. La lampe sortait par la petite trappe libre. Seule la boîte, finalement, était protégée par le cadenas. Rares sont les équipes qui ont sorti la lampe et les papiers en moins de cinq minutes, leur attention étant complètement accaparée par le cadenas qu’il leur fallait absolument ouvrir. Si à ce genre de détail on rajoute quelques leurres qui ne servent qu’à détourner l’attention, on rend vite le jeu plus complexe que ce que l’on pensait. Parfois sont apparues des difficultés plus importantes que je ne l’aurais soupçonné. Par exemple un QR-code dans un livre devenait bien malgré moi la possible solution à une énigme. Et le temps passé à essayer de la résoudre était autant de temps perdu sur le jeu.

Cela fait partie de l’intérêt de ce genre d’activité, mais il nous appartient de prévoir le plus possible les réactions des groupes. Platon disait «On peut en savoir plus sur quelqu’un en une heure de jeu qu’en une année de conversation.».

Votre créativité et votre imagination vous amèneront à créer parfois des scénarios tellement tordus que vous aurez du mal à croire en être les auteurs. Et pourtant… Attention toutefois, dans ce domaine comme dans bien d’autres, le mieux est souvent l’ennemi du bien et, sans sacrifier à la richesse du jeu, il faudra savoir limiter sa complexité. Le risque, le cas échéant, est d’avoir créé un monstre qu’il serait impossible de terminer dans le temps imparti.

Étape 4 : prévoir le temps de jeu

Puisqu’on ne sait jamais comment l’équipe s’organisera, il est quasiment impossible de prévoir un temps de jeu précis. Cependant, l’expérience et quelques bêta-testeurs devraient vous permettre d’en savoir un peu plus. C’est aussi là que le rôle du maître de jeu, vous, sera prépondérant.

Mes testeurs maison.
Mes bêta-testeurs de l’IRES de Toulouse en plein travail : Jean-Pierre, Nicole, Gérard, Claudine et Yves, président de la régionale.

Il est intéressant de favoriser les associations d’idées, en disséminant des indices. Par exemple un motif identique sur une boîte et sur l’énigme associée.

Lors de la phase de test, surveillez bien les raisonnements utilisés, pas tant pour la résolution des énigmes, que pour l’utilisation de leurs solutions. C’est souvent loin d’être évident. Par exemple, vous pouvez vouloir ne donner qu’un chiffre par énigme, et que l’association des quatre chiffres trouvés avec quatre énigmes fournisse le code d’un cadenas. Dans quel ordre ? Peut-être souhaitez-vous que tous les ordres soient testés (attention, il peut y en avoir jusqu’à vingt-quatre, ici). De quel cadenas parle-t-on ? Une pastille de couleur sur le cadenas, une autre sur l’énigme, et tout prend du sens.

Dans l’un de mes jeux, je fournis un smartphone recyclé à mes équipes. Ils doivent l’ouvrir avec un schéma de déverrouillage du type ci-dessous.

Clef smartphone.

Le papier n’ayant pas d’orientation marquée, il y a donc à première vue quatre manières de faire ce schéma. En réalité il y en a huit, puisque le sens dans lequel la ligne est parcourue est important. Or, au bout de cinq essais, une pénalité de trente secondes est appliquée par Android. Donc, et à condition de ne faire aucune erreur, mais de ne pas avoir de chance, on ne perdra que trente secondes. Je n’avais pas prévu que, dans le dernier groupe qui l’a fait, une élève essaie plusieurs schémas complètement aléatoires. Il se trouve qu’après dix tentatives infructueuses, une pénalité de trente secondes est appliquée à chaque nouvelle tentative. C’est à intégrer dans la conception, pour la prochaine fois, ou bien dans les consignes.

Étape 5 : gérer le temps de jeu

À tout moment, le maître du jeu se laisse la possibilité d’intervenir, afin d’accélérer le jeu, pour maintenir un intérêt et susciter de la curiosité. Si mon objectif, par exemple, est que toute équipe, même particulièrement peu entreprenante, arrive à ouvrir au moins l’un des verrous de la mallette qui contient la bombe, je pourrai donner en ce sens des indications qui permettent d’y arriver avant la fin du temps. Peu importe aux élèves qu’ils aient eu ou non des indications, à condition de leur dire que l’on fait (presque) pareil avec tout le monde.

Même à des scientifiques de renom (comme ci-dessous Aurélien Barrau2, que je remercie d’être venu mettre sa vie et celle de son fils en jeu lors du Festival d’Astronomie de Fleurance, dans le Gers, en août 2019), des indices doivent être fournis, et c’est le jeu.

Aurélien et son fils, heureusement pour nous tous, ont pu désamorcer la bombe en dix-sept minutes. Ils en avaient vingt. C’est donc un rôle essentiel que de maîtriser ce temps, qui pourra, pour un peu plus d’adrénaline, être rappelé par un décompte sonore aux participants. Notons ici que l’environnement sonore est souvent négligé pour ce qu’il apporte d’indices. J’ai par exemple diffusé un code morse permettant d’ouvrir un cadenas, et nombreuses sont les équipes à avoir mis plus de dix minutes à s’apercevoir que les bip-biiiiip-biiiiip entendus toutes les minutes avaient un quelconque intérêt. L’idée était que j’avais seulement fait ça pour générer du stress.

Bien au contraire, dans mon extrême bienveillance, j’avais fourni un indice ouvrant dès la première minute un verrou de la mallette, indice généreusement répété dix-neuf fois !

Bilan pratique

Au niveau matériel, nous l’avons vu, j’ai essentiellement recyclé de vieux objets. Une mallette à double code qui ne fonctionnait plus (perte des codes et mécanisme grippé). Il a fallu dé-riveter, démonter, dégripper, et riveter, pour obtenir une mallette neuve. Coût : deux heures de travail.

Le reste des cadenas était déjà en ma possession en dehors du cryptex (30 € sur internet, en le choisissant de bonne qualité, c’est essentiel), du cadenas directionnel (10 € ; attention, le changement de code est possible mais très délicat et risque de rendre le cadenas inutilisable) et d’un cadenas d’artillerie trouvé par terre, pour lequel j’ai dû fabriquer en impression 3D une clé triangulaire.

Au titre des achats, il faut compter également le feutre «magique» et la lampe, pour une dizaine d’euros. J’utilise des livres en ma possession pour cacher des indices, des roues de César avec une attache parisienne, des jeux mathématiques (puzzle, tours de Hanoï, …) et au final, l’investissement est tout de même très limité.

Attention, certaines surprises apparaissent parfois : l’encre magique, en plein mois d’août, avec \({40}^\circ\), s’estompe fortement, jusqu’à devenir quasi illisible. Les batteries des appareils n’aiment pas non plus la chaleur, le froid, les fortes décharges, … et nécessitent donc un certain entretien. Un avocat (pour suggérer que «A vaut K» sur la roue de César) risque d’éclater dans les mains d’un élève après quelques semaines d’utilisation (expérience vécue !) et c’est long à nettoyer. Enfin, j’ai la chance d’avoir à la maison un électronicien (Sacha, un de mes bêta-testeurs), qui peut me concevoir des boîtes à codes, des capteurs, etc. à base d’Arduino, sur commande particulière. C’est d’ailleurs la seule fois où je peux me permettre de partir d’une énigme pour créer un objet y répondant.

En l’occurrence, il a utilisé un petit coffret en bois fermé par un servomoteur commandé par une Arduino. Il fallait d’abord effectuer un branchement électrique, selon un schéma fourni, pour alimenter l’Arduino, qui se chargeait alors de vérifier le code tapé sur un clavier, puis le cas échéant actionnait le servomoteur. Coût total : une dizaine d’euros. Conseil : être bricoleur ou en connaître un !

La limitation majeure du DIY3 est la solidité. C’est un point important pour la pérennité du jeu, qui sera manipulé, parfois durement, par des adolescents. Le rôle du maître du jeu est alors de rappeler que «si ça force, c’est que le code n’est pas bon.». En général, les élèves vous sont reconnaissants de vous démener pour eux et respectent le matériel une fois le message passé.

Bilan pédagogique

Je n’ai procédé à aucune évaluation. Le but pour moi est d’amener les élèves à «faire des maths» et plus généralement, à connaître le goût de l’effort intellectuel et l’apprécier. Cependant, je suis souvent amené à reparler de certaines énigmes (suite de Fibonacci, code César, tours de Hanoï, binaire, probabilités, etc.) et le simple fait d’y avoir été confronté donne du sens à ces thèmes pour les élèves, que je sens plus dynamiques en classe. Tous les retours, sans exception, même après un échec, ont été enthousiastes. Les élèves attendent impatiemment la prochaine séance (je change de jeu après chaque période de vacances) pour retenter leur chance.

Les élèves en pleine réflexion, avec un smartphone, un schéma de déverrouillage, un QR-code, une lampe UV et la boite de Sacha dont le schéma de branchement est donné à gauche. Ça bouillonne dans les cerveaux.

Je note le temps de résolution (ou l’échec) pour chaque équipe, et en fin d’année, une remise de trophées aura lieu. Cela a pour conséquence directe que les élèves gardent le secret de ce qu’ils ont vu et essayé. Je me prémunis ainsi contre les fuites, préjudiciables à l’intérêt du jeu. Fonctionner en Club Midi-Deux me permet une souplesse extrêmement agréable. Je choisis le nombre d’élèves que je souhaite. La salle que je veux est en général disponible. Les élèves sont volontaires et motivés. Ils peuvent être de classes, voire de niveaux différents. Cela donne des ambiances de jeu de travail tout à fait intéressantes.

En fin de séance, un débriefing est organisé systématiquement, pour montrer ce qu’il aurait fallu faire. J’en profite pour rappeler la totalité des étapes, car chacun n’a vu qu’une partie de la résolution, et n’imagine pas toujours ce que ses camarades ont fait.

En général, les équipes qui échouent le font en raison d’un manque de communication, ou d’un manque de curiosité (plus rare). Cela me permet de rappeler que l’échange d’informations est la base du progrès dans une équipe, et que la démarche par «essais-erreurs» est, historiquement, celle qui a fait le plus avancer la société.

L’échec n’est plus perçu alors comme une humiliation, mais semble plus acceptable. La coopération devient plus importante que la compétition.

Et après ?

Mon objectif, après avoir fait participer quelques collègues de différentes disciplines, est d’ouvrir cette activité à des thèmes transversaux ou d’autres disciplines.

Un atelier de conception par les élèves a été créé cette année, mené par une collègue de technologie et une collègue de mathématiques4. Les élèves ont en premier lieu testé mon jeu, puis ils partiront sur leur propre voie, en fonction de leurs envies.

Quand l’enfant joue, il est captivé, concentré, attentif et persévérant. Il possède naturellement les qualités d’un apprentissage efficace.

«Il n’est pas de bonne pédagogie qui ne commence par éveiller le désir d’apprendre.»

François de Closets

Un merci tout particulier à mes testeurs Nathalie, Sacha, Lucas, Lisa et Nathan, car c’est beaucoup de temps passé, beaucoup de conseils donnés, beaucoup de modifications apportées. Merci aussi à mes amis qui ont dû résoudre des énigmes pour ouvrir une valise contenant l’apéritif. Ça fait aussi partie de mon process de validation ou comment joindre l’utile à l’agréable !

Merci enfin à la régionale de Toulouse qui m’a offert l’opportunité de présenter le sujet à une trentaine de collègues que j’ai fait souffrir, et au groupe jeux de l’IRES dont le sérieux n’a d’égal que le plaisir de jouer !

Références

  1. dCode.fr. . Une mine d’or du codage et de la cryptographie. Un indispensable pour la conception.

  2. Lockee.fr. . Des cadenas virtuels à foison, classiques ou originaux, pour pimenter le jeu.

  3. S’CAPE. . Des ressources à la fois matérielles et logicielles à exploiter. Des idées, une source d’inspiration.

  4. Morse audio. . Pour inclure du morse audio dans une bande-son en respectant les standards.

  5. QR-code. . Pour générer des QR-codes de types variés.

  6. QR-code. . Pour générer un lien vers une mini-page internet
    et un fichier audio ou vidéo à partir d’un QR-code.

  7. Tinkercad. . Pour la modélisation 3D multi-plateformes et l’impression d’objets.

On n’oubliera pas également tous les logiciels habituels (GeoGebra, LibreOffice, etc.), libres de préférence, pour créer des énigmes ou bien à la disposition des élèves pour les résoudre.

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Sébastien Dumortier est enseignant de mathématiques en collège. Toujours à la recherche de ce qui motivera les élèves, il expérimente la pédagogie par le jeu, les classes inversées, les classes virtuelles, les mathématiques à manipuler, pour que «l’heure de maths» soit perçue comme un moment de plaisir et, parfois, d’émerveillement.


  1. Institut de Recherche pour l’Enseignement des Sciences.

  2. strophysicien spécialisé dans la physique des astroparticules et des trous noirs.

  3. Do It Yourself : faites-le vous-même.

  4. Hommage à Dominique, aujourd’hui disparue.

Pour citer cet article : Dumortier S., « Les jeux d’évasion », in APMEP Au fil des maths. N° 536. 5 juillet 2020, https://afdm.apmep.fr/rubriques/ouvertures/les-jeux-devasion/.

Une réflexion sur « Les jeux d’évasion »

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