Petite enquête sur…

François Boucher

© APMEP Mars 2021

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L’intention de ce nouveau rendez-vous est de produire des résultats d’enquêtes sur des contenus d’enseignement, telles qu’un enseignant peut les mener (et les partager) à partir de son expérience et des ressources documentaires disponibles d’hier ou d’aujourd’hui : cours, livres, publications diverses, manuels scolaires et, bien sûr, la «  toile ». Pour un enseignant en exercice, qui court souvent après le temps, l’information disponible, largement surabondante, peut avoir quelque chose de décourageant.

Deux types de questions appelant la même intention d’enquête sont envisagées : d’une part des questions sur un concept particulier, bien identifié a priori ; par exemple : l’égalité, la preuve en algorithmique, la tangente, la valeur absolue… et d’autre part des questions sur un thème présentant une certaine extension, tel qu’on peut (ou a pu) les voir apparaître dans les programmes ; par exemple : les compétences, les inégalités, la récursivité, le calcul numérique des fonctions…

Toutes les suggestions sont les bienvenues.

L’enquête est en deux parties : un article papier inséré dans Au fil des maths, qui consiste en un compte rendu d’enquête très synthétique sur la question traitée ; un compagnon numérique plus étoffé, déposé en ligne sur le site de l’APMEP qui comprend des détails bibliographiques ou sitographiques, commentés, voire quelques développements mathématiques utiles.

Petite enquête sur …
les compétences en calcul
à l’entrée dans le Supérieur

François Boucher

© APMEP Mars 2021

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Motivation

Le thème du calcul est une préoccupation constante de la profession. Précisons le sujet. Le calcul est ici un terme générique qui peut s’adjectiver diversement : algébrique, fonctionnel, vectoriel, numérique, etc. Le terme «  compétences » est employé pour signifier qu’on s’intéresse à des aptitudes transversales aux déclinaisons précédentes — par exemple, l’auto-contrôle — plutôt qu’à des procédures particulières — par exemple, l’intégration par parties ; bien sûr, ces compétences se manifestent au travers de l’exécution de tâches diverses de calcul. On observera dans la suite l’absence de quelques secteurs moins bien adaptés à l’enquête, comme l’arithmétique (au sens actuel), la valeur absolue couplée aux inégalités, sujet hautement plus délicat.

«  Savoir calculer, c’est mettre le calcul au service du raisonnement » nous disent les didacticiens ; mais cette enquête ne porte pas sur les compétences relatives à l’«  intelligence du calcul » — celles qui sont mobilisées par exemple lors du travail de modélisation — ni sur la part d’invention qu’autorisent les écritures symboliques ; de plus, on en reste à un niveau élémentaire pour ce qui concerne la technique. Il s’agit plus ici de mettre le raisonnement au service d’un calcul encore fragile.

La question des erreurs

«  Bien calculer », c’est en particulier calculer juste ; les «  faiblesses » en calcul des étudiants sont déplorées depuis bien longtemps par la communauté des enseignants, du supérieur en particulier, et pourtant il existe peu de recherche d’ampleur significative sur cette question au niveau universitaire.

Les erreurs ont été très étudiées d’un point de vue épistémologique, didactique et psychologique. Retenons une première idée : dans un processus d’apprentissage, l’erreur est un stade, parfois explicable, qui doit être dépassé et pour ce faire la question du sens est primordiale.

Dans les processus intellectuels mis en œuvre par les étudiants au cours d’un calcul, la psychologie cognitive isole quelques constantes : l’emploi des capacités mnésiques, l’usage de fonctions instrumentales (règles de réécriture, procédures d’auto-contrôle, reconnaissance de forme dans les écritures symboliques), de fonctions exécutives et enfin l’attention.

Si l’attention et ses déclinaisons : concentration, vigilance, lucidité — dont l’absence ou le manque condensent bien souvent l’analyse des enseignants — sont certainement des facteurs clefs dans la bonne conduite d’un calcul, il y a bien d’autres processus à l’œuvre ; il semble qu’une partie du problème trouve son origine dans le fait que «  les étudiants en restent, dans leur utilisation de schèmes calculatoires, à des niveaux les plus élémentaires possibles, sans doute gages pour eux à la fois de sécurité psychologique et de moindre coût intellectuel. Ces comportements sont probablement à l’origine des baisses de vigilance, de l’absence d’auto-contrôle et de l’irruption de schèmes erronés comme les linéarités abusives toujours à l’affût… ».

Le calcul sur les puissances (entières ou non), secteur a priori élémentaire, est exemplaire des problèmes rencontrés. La plupart des étudiants connaissent (au sens de «  sont capables de restituer à la demande ») les règles de calcul sur les puissances, lesquelles relèvent, pour ce qui concernent les exposants entiers relatifs, du collège. L’observation quotidienne des productions étudiantes montrent que ces règles ne sont pas spontanément utilisées et qu’aucun auto-contrôle ne vient éventuellement les solliciter, et tout cela de façon durable.

Quelles compétences ?

Nous suggérons quelques idées, en ayant conscience de l’inévitable distance entre le possible et le souhaitable.

Les écritures symboliques

L’analyse syntaxique

Être capable de percevoir à la lecture la structure arborescente des expressions algébriques avec son jeu de priorités opératoires, de percevoir aussi des sous-structures et des décompositions-recompositions possibles. Cette perception est à la base de la reconnaissance de forme ; plus élaboré, savoir décomposer — via l’écriture — un objet complexe en objets plus simples, compétence irriguant tout le calcul.

Il arrive que notre étudiant standard soit à la peine pour passer de la géométrie 1,5D des expressions algébriques à l’écriture linéaire des calculatrices en minimisant le nombre de parenthèses ; la tentation est grande d’en mettre partout.

Une remarque : voir spontanément dans la fonction \(x \longmapsto \vert x²+1 \vert \) une composée de fonctions simples révélant certaines de ses propriétés fonctionnelles fut, naguère, un objectif de la classe de Première.

Le sens

Le sens est «  la capacité à “voir” des idées abstraites cachées derrière les symboles et les écritures symboliques ». Il s’avère que, de façon assez surprenante, l’étudiant standard entrant en classes préparatoires n’est au point, ni sur la syntaxe, ni sur la dénotation des écritures, ni même parfois sur les significations de l’égalité. La bonne perception, selon le contexte et en temps réel, des diverses fonctions des lettres : variables libres ou muettes, inconnues, paramètres, indéterminées est une nécessité. Paramétrer les problèmes abordés est certainement une saine pratique. Ajoutons qu’une lecture mentale correcte (le «  prononcé de formule ») du texte écrit est certainement liée dialectiquement au sens.

La pratique des interrogations orales en classes préparatoires permet de se rendre compte d’une lecture plus qu’approximative de certains étudiants. Un exemple fréquent : \((2\,n)\, !\) est quasi-systématiquement lu «  deux \(n\) factoriel » qui devient trop souvent \(2\,n\, !\).

Des attitudes souhaitables

La conduite d’un calcul, aussi simple soit-il, demande d’abord la dévolution du calcul au calculateur qui doit se sentir pleinement responsable et de sa bonne conduite et de la validité du résultat. Cette dévolution est nécessaire pour obtenir un certain nombre d’attitudes dans l’organisation, la conduite, la vérification du calcul. Le contrat n’est pas seulement de produire une réponse mais de se sentir engagé par son exactitude

L’organisation

Outre une bonne gestion de l’espace du calcul — prévoir du papier en quantité suffisante, ne pas commencer la résolution d’un système en bas à droite du brouillon ou se défaire des habitudes de calculs en spirale sur un coin de feuille — une saine pratique est l’utilisation de notations intermédiaires pour réduire à la fois la «  granularité » et la croissance de la complexité globale du calcul : «  diviser pour régner » en quelque sorte. Ceci est affaire d’expérience et repose d’abord sur l’analyse a priori du calcul et sur une bonne perception des formes.

La résolution du système \[ \left\{ \begin{array}{rcccccc} -\dfrac{1}{x}+\dfrac{1}{y}+\dfrac{1}{z}=\dfrac{1}{a}\\[8pt] \dfrac{1}{x}+\dfrac{1}{y} +\dfrac{1}{z}=\dfrac{1}{b}\\[8pt] \dfrac{1}{x}+\dfrac{1}{y}-\dfrac{1}{z}=\dfrac{1}{c} \end{array}\right.,\] disons dans \(\mathbb{Z}^3\), est simplifiée en introduisant les inconnues auxiliaires \(X=\dfrac{1}{x}\), \(Y=\dfrac{1}{y}\), \(Z=\dfrac{1}{z}\) et même les paramètres auxiliaires \(A=\dfrac{1}{a}\) etc. On est ramené à un système linéaire.

L’exécution d’algorithmes

Il y a dans tout calcul un aspect algorithmique, souvent implicite. Expliciter l’algorithme utilisé peut s’avérer utile, en aidant à concevoir une présentation rationnelle ou économique du calcul, éventuellement programmable. Inversement, un calcul bien maîtrisé peut conduire à l’expression d’un algorithme venant améliorer la performance du calcul. Enfin, dans un tout autre ordre d’idées, de nombreux calculs sont naturellement itérables et conduisent à formuler des conjectures à l’ordre \(n\).

Dans la division euclidienne des polynômes, la bonne présentation des calculs amène à prendre conscience de l’inutilité des \(x^k\) qui ne sont que des marqueurs de place ; dans le cas de la division par \(x-a\), ceci conduit à l’algorithme de Horner, simple à programmer en représentant un polynôme par une liste ; en allant un peu plus loin, on obtient la formule de Taylor pour les polynômes.

Calculer \((a+b)^2\), \((a+b)^3\), \((a+b)^4\) avec une présentation ad hoc, peut conduire à une double conjecture : sur un algorithme d’obtention en ligne des coefficients à l’ordre \(n\) ou sur la formule du binôme en lien avec le triangle de Pascal qui conduit à leur expression classique.

L’anticipation

On calcule en direction d’un but ; apprendre à se projeter dans le  » futur  » d’un calcul est primordial : ne plus être à chaque instant derrière son calcul mais «  en avant ». Outre la possibilité de choisir a priori entre plusieurs pistes de progression d’un calcul, cette anticipation s’appuie elle aussi sur la perception des formes derrière les formules, forme du point de départ, mais aussi forme du résultat : vers quoi veut-on aller ?

Le développement de \((x+a)(x+b)\) peut se faire en ne percevant qu’une situation susceptible du schème de distributivité, ou en percevant a priori la forme polynôme du second degré du résultat et en calculant, par un raisonnement plus élaboré mais plus efficace que la simple mise en œuvre de la distributivité, les coefficients du dit polynôme. Bien sûr, la méthode peut être généralisée, c’est tout son intérêt.

Le calcul de la dérivée de \(w=\dfrac{u}{v}\) déclenche le plus souvent l’appel à la formule du quotient alors qu’il peut être très utile de percevoir a priori la forme \(u \times v^{-1}\). Dans d’autres situations, c’est plutôt sur l’égalité \(w\,v=u\) qu’il conviendra de travailler. Dans tous les cas, un questionnement, suivi d’un choix motivé, est nécessaire ; on ne laisse pas le hasard faire !

Dans la mise en œuvre de l’algorithme de Gauss sur un système à coefficients entiers, la normalisation des coefficients principaux introduit immanquablement des rationnels qui contaminent ensuite tous les coefficients. Il faut alors savoir prendre ses distances avec l’algorithme de Gauss et retarder l’introduction des dénominateurs.

L’auto-contrôle

L’auto-contrôle est certainement l’une des compétences essentielles des experts. Il comporte une composante cognitive forte, mettant en jeu des aptitudes élaborées et des savoirs de niveau plus élevé que ceux nécessaires pour le calcul et une composante affective tout aussi forte mais qui ne pose pas problème chez l’étudiant — a priori confiant — de CPGE. L’auto-contrôle va plus loin que la vérification qui, au niveau élémentaire, est une simple relecture du calcul, le plus souvent inefficace.

L’auto-contrôle commence bien sûr par les vérifications évidentes : par exemple lorsque l’on résout une équation de quelque nature qu’elle soit, on s’assure qu’on a bien au final une solution, étape indispensable si le calcul a été conduit par conditions nécessaires.

Ainsi, un calcul d’inverse de matrice se termine par un calcul de produit qui doit donner la matrice unité. Cette attitude est peu fréquente.

L’appel à des vérifications de nature graphique ou instrumentées peut être aussi pertinent. Bien évidemment, il est essentiel d’avoir une claire conscience de la portée de ces vérifications.

Un calcul de dérivée (ou de primitive) peut robustement se vérifier avec une calculatrice graphique. Ce point n’est pas dans la culture des étudiants.

Le formulaire, copieux à ce niveau, doit aussi faire l’objet d’un auto-contrôle permanent1 ; par exemple en trigonométrie, on peut procéder à des vérifications pour des valeurs particulières simples, de parité, de périodicité, des vérifications de signe par exemple au voisinage de \(0\), de l’ensemble de définition.

Dans la formule de dimidiation \[\sin(x)=\frac{2\tan\left(\dfrac{x}{2}\right)}{1-\tan^2\left(\dfrac{x}{2}\right)},\] on peut détecter l’erreur (grossière) de diverses façons.

Une autre composante est le contrôle de la vraisemblance — chère aussi aux physiciens — qui repose sur l’évaluation, a priori ou a posteriori, des ordres de grandeurs, des nombres, de valeurs particulières de fonctions, d’équivalents au voisinage d’un point, d’infiniment petits ou grands «  à la louche ». On doit bien distinguer ici détermination d’un ordre de grandeur et calcul exact.

Ce travail peut commencer avec l’évaluation a priori de l’ordre de grandeur d’une simple expression numérique : apprendre à estimer le poids de chaque élément de l’expression au regard de l’opération dans laquelle il est impliqué est un bel objectif.

L’auto-contrôle s’exerce en continu au cours d’un calcul ; vérification des signes, en particulier du signe «  \(-\) » devant une parenthèse, contrôle de la complexité du calcul qui permet le retour éventuel en arrière et le changement de tactique.

L’exemple typique est le calcul de déterminant pour lequel les méthodes sont nombreuses.

Les réécritures

Toute formule, toute identité a deux sens d’utilisation dont la fonction de réécriture n’est pas la même, c’est-à-dire que l’information monstrative — l’ostention — fournie n’est pas la même. De plus, un sens est en général plus accessible à la reconnaissance de forme, et à l’écriture, que l’autre.

Ainsi, \(a-b+b=a\) est plus facile que \(a=a-b+b\) et \((a+b)^2=a^2+2ab+b^2\) plus que \(a^2+2ab+b^2=(a+b)^2\).

Ainsi, on peut écrire :

\((3x^2+8x+1)-(x^2+3x-4)=2x^2+5x-3\) si on veut montrer la forme polynôme et quelques informations afférentes ;

\((3x^2+8x+1)-(x^2+3x-4)=-3+5x+x(2x)\) si on veut montrer la forme \(\mathrm{DL}_1(0)\) ;

\((3x^2+8x+1)-(x^2+3x-4)=2\left(x+\dfrac{5}{4}\right)^2-\dfrac{49}{8}\) si on veut montrer l’existence et la valeur d’un minimum ;

\((3x^2+8x+1)-(x^2+3x-4)=2(x+3)\left(x-\dfrac{1}{2}\right)\) si on veut montrer le caractère scindé ou le signe.

La maîtrise d’emploi et la reconnaissance des identités remarquables \((a \pm b)^2\), \((a \pm b)^3\), \(a^2\pm b^2\) et \(a^3\pm b^3\) (dans les deux sens !) est bien utile voire impérative ; de plus, il convient de distinguer factorisation dans \(\mathbb{R}\) et dans \(\mathbb{C}\). Celle de la forme canonique d’un polynôme du second degré aussi. Les formules de Viète (relations coefficients/racines) sont connues pour le second degré et s’étendent facilement pour le degré \(3\) et même au-delà.

La recherche d’invariants

L’homogénéité

On peut regrouper sous cette appellation tout ce qui relève de l’invalidation a priori d’une égalité \(a=b\) : «  \(a\) » et «  \(b\) » ont nécessairement la même dénotation, donc en particulier doivent désigner des objets mathématiques de même «  nature ». On trouve fréquemment des étudiants qui perdent le fil de ce qu’ils écrivent ; cette dérive se manifeste dès qu’ils ont à gérer dans un calcul des objets de nature hétérogène : scalaires, vecteurs, fonctions, suites. Le contrôle, en temps réel, de la nature des objets manipulés via leurs écritures est vital

La règle d’homogénéité des formules est bien connue en physique, mais cette homogénéité renvoie à l’analyse dimensionnelle et mériterait une enquête à part entière. On la retrouve en géométrie dans les calculs de longueurs, d’aires, d’angles2.

La formule de l’aire d’un triangle \[S=\frac{1}{2}\,bc\sin\left(\widehat{A}\right)\] est homogène au sens des physiciens car si \(b\) et \(c\) se mesurent en mètres, le \(S\) fourni se mesure bien en mètres-carrés. On notera que cet argument ne permet pas de juger de la validité du coefficient \(\dfrac{1}{2}\) ni de la validité de la ligne trigonométrique \(\sin\left(\widehat{A}\right)\). En revanche, l’examen du cas particulier \(\widehat{A}=0\) permet de trancher entre \(\sin\) et \(\cos\).

Une autre acception de l’homogénéité — plus simple que celle des physiciens — renvoie à la notion mathématique de fonction homogène à \(n\) variables de degré \(m\) : \(f\) : \((a,\,b,\,c) \longmapsto f(a,\,b,\,c)\) est une fonction homogène de degré \(m \in \mathbb{N}^{\ast}\) des trois variables \((a,\,b,\,c)\) si et seulement si, avec les quantifications ad hoc, \(f(\lambda\,a,\,\lambda\,b,\,\lambda\,c)=\lambda^m\,f(a,\,b,\,c)\). Par exemple, \((b,\,c) \longmapsto \dfrac{1}{2}\,bc\sin\left(\widehat{A}\right)\) est homogène de degré \(2\), ce que l’on attend pour une aire. Cette définition peut être étendue à des degrés d’homogénéité fractionnaires : \((a,\,b,\,c) \longmapsto \sqrt{a}+\sqrt{b}+\sqrt{c}\) est positivement3 homogène de degré \(\dfrac{1}{2}\cdotp\) Par métonymie classique, la notion d’homogénéité s’applique aussi aux expressions.

La perception intuitive de la forme en jeu pour les degrés \(1\), \(2\), voire \(\dfrac{1}{2}\) pour une, deux ou trois variables est largement suffisante ; autrement dit, la perception du caractère homogène des formes \(ax+by\), \(ax+by+cz\), \(ax^2+bxy+cy^2\), et de leurs racines carrées ; l’intention est de développer l’auto-questionnement sur des bases intuitives, pas de faire un bond d’un siècle dans le curriculum passé.

L’homogénéité est présente dans de nombreuses relations : ainsi les identités remarquables, la forme canonique d’un polynôme du second degré, les normes des vecteurs ou des complexes, les déterminants, etc. Elle peut être un bon moyen d’auto-contrôle dans les calculs algébriques sur les puissances.

L’équation \(a\,x^2+b\,x+c=0\) est homogène de degré \(1\) par rapport au triplet \((a,\,b,\,c)\) et de degré \(0\) par rapport à \(x\) ; le discriminant \(\Delta= b^2-4ac\) est homogène de degré \(2\) ; la formule \(x=\dfrac{-b \pm \sqrt{\Delta}}{2a\mathstrut}\) est homogène de degré \(0\) ainsi que l’on s’y attend. L’extremum de \(x \longmapsto ax^2+bx+c\) est atteint en \(-\dfrac{b\mathstrut}{2a\mathstrut}\) (homogène de degré \(0\)) et vaut \(\dfrac{4ac-b^2}{4a\mathstrut}\) (homogène de degré \(1\)). Tout baigne dans le formulaire.

On enseignait autrefois au collège le précieux «  théorème des rapports égaux » qui, sous sa forme la plus simple, nous dit que l’égalité \(\dfrac{a}{b}=\dfrac{c}{d}\) implique \(\dfrac{pa+qb}{ra+sb}=\dfrac{pc+qd}{rc+sd}\) quels que soient les coefficients \(p\), \(q\), \(r\) et \(s\) (sous réserve de non-nullité des dénominateurs).

Par exemple, on peut exprimer \(x\) en fonction de \(y\) à partir de l’égalité \(y=\dfrac{2x+1}{x-1}\) via la chaîne asinitrottante4 (si \(x \neq 1\)) :

\(y\,(x-1)=2\,x+1\) puis \(y\,x-y=2\,x+1\) puis \(y\,x-2\,x=y+1\) puis \((y-2)\,x=y+1\) puis (si \(y \neq 2\)) \(x=\dfrac{y+1}{y-2}\cdotp\)

On peut aussi utiliser l’égalité des rapports \(\dfrac{y}{1}=\dfrac{2x+1}{x-1}\) pour en déduire (si \(y \neq 2\)) \(\dfrac{y+1}{y-2}=\dfrac{(2x+1)+(x-1)}{(2x+1)-2(x-1)}=x\), calcul qui demande de l’anticipation : éliminer les termes constants au numérateur et les \(x\) au dénominateur et une prise de risque.

Les arguments de symétrie

La symétrie est une notion plus subtile. Elle se donne déjà à voir dans les notions de fonction paire (resp. impaire).

La symétrie (resp. l’antisymétrie) d’une expression de deux variables est l’invariance (resp. le changement de signe) par permutation des variables. Elles sont en évidence dans la formule du binôme :

\((a \pm b)^3=a^3\pm 3a^2b+3ab^2\pm b^3\).

Pour des expressions à trois variables, l’invariance utile est celle par transposition de deux variables :

\((x,\,y) \mapsto (y,\,x),\ (x,\,z) \mapsto (z,\,x)\text{ et }(y,\,z) \mapsto (z,\,y)\).

Parfois on a seulement invariance par les seules permutations circulaires :

\((x,\,y,\,z) \longmapsto (y,\,z,\,x)\).

Il importe de savoir reconnaître les formes symétriques (resp. antisymétriques) simples :

\(x+y+z\), \(x\,y+y\,z+z\,x\), \(x^2+y^2+z^2\), \(\dfrac{1}{x}+\dfrac{1}{y}+\dfrac{1}{z}\), etc.

Puis des formes plus élaborées comme le produit \((x-y)(y-z)(z-x)\) ou le déterminant \(\left|\begin{matrix} x & y & z\\ z & x & y \\ y & z & x \end{matrix}\right|\). On aura noté le caractère homogène de ces expressions.

Au sujet des déterminants d’ordre \(2\) ou \(3\), il est à faire remarquer que la forme «  déterminant » est souvent bien plus pertinente que la forme développée : on comparera utilement la recherche d’un facteur de \(\left|\begin{matrix} x& y &z\\ z &x & y \\ y & z & x \end{matrix}\right|\) et de \(x^3+y^3+z^3-3xyz\).

L’ensemble des fonctions symétriques de trois variables par exemple, est stable par combinaison linéaire, produit, quotient. L’utilisation des symétries dans les calculs peut non seulement servir pour des vérifications a posteriori mais aussi, a priori, pour mener le calcul de façon plus pertinente :

Ainsi l’erreur dans

\(\cos(a)-\cos(b)=2\cos\left(\dfrac{a-b}{2}\right)\sin\left(\dfrac{a+b}{2}\right)\)

peut se détecter par défaut d’antisymétrie \(a\rightleftarrows b\) (ou tout simplement en substituant \(b=a\)).

Le produit de \((x+y)\) par \((x^2+y^2-2xy)\) peut être calculé et vérifié de diverses façons.

De même l’introduction de notations symétriques dans les calculs, par exemple en géométrie, permettra d’utiliser plus facilement le jeu des permutations circulaires.

Il y a d’ailleurs là une belle problématique de la géométrie analytique — source inépuisable de calculs : est-il préférable de choisir un repère lié d’une façon particulière à la figure étudiée quitte à détruire certaines symétries de rôle des éléments de la figure, ou vaut-il mieux choisir un repère arbitraire, qui permettra de conserver ces symétries et d’en jouer, quitte à une plus grande complexité calculatoire a priori ?

L’homogénéité et les symétries dûment perçues en temps réel donnent une autre dimension au formulaire.

Conclusion

La question de l’apprentissage du versant technique du calcul est complexe et on ne peut espérer que le lycée fournisse au supérieur des étudiants «  prêts à l’emploi ». Une des questions cruciales est la poursuite de cet apprentissage, le plus souvent laissé à la charge des étudiants.

Peut-on imaginer que, par répétitions, imitations, essais-erreurs, de bonnes attitudes se mettent en place ? Les élèves de ces classes progressent sensiblement, certes, mais modestement au regard du travail fourni et surtout, modifient peu leurs comportements, leur rapport à la matière, au cours des deux années de leur cursus. Penser que l’acquisition du «  conceptuel », porté par l’excellence de la parole professorale, verra s’ensuivre naturellement celle du technique pour le plus grand nombre est douteux. Une autre conception de la nature épistémologique du savoir mathématique que l’empirisme naïf est nécessaire.

Le lecteur intéressé trouvera un addenda numérique à cette enquête, comportant le détail de quelques travaux visant à développer les compétences ici examinées et quelques références bibliographiques.

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L’auteur, à la retraite depuis quelques années, a pu dans sa carrière enseigner à divers niveaux : école, collège, lycée, classes préparatoires, université, école d’ingénieur. Il continue de s’intéresser aux mathématiques et à leur enseignement. Plus amoureux du papier que des PDF, il dispose enfin du temps pour mieux explorer les rayons de sa bibliothèque.


  1. Et d’un apprentissage systématique.
  2. Si toutefois l’unité de longueur n’est pas une longueur de la figure considérée, ce qui est rarement le cas dans le Secondaire ; par ailleurs, le retour en force des grandeurs au collège n’a manifestement pas atteint le lycée.
  3. Positivement car, dans la définition, \(\lambda\) ne peut être que positif.
  4. Tel l’âne qui trotte.
Pour citer cet article : Boucher F., « Petite enquête sur… », in APMEP Au fil des maths. N° 539. 11 avril 2021, https://afdm.apmep.fr/rubriques/ouvertures/petite-enquete-sur/.