Carrés magiques aux cycles 2, 3 et 4

Les carrés magiques foisonnent dans les manuels scolaires, sur l’internet…
Ils sont une source intarissable d’activités numériques et algébriques et vous avez vraisemblablement déjà proposé à vos élèves d’en résoudre !
Jean Toromanoff s’intéresse ici à l’évolution des différentes procédures mobilisables du cycle 2 au cycle 4.

Jean Toromanoff

© APMEP Juin 2020

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À propos des carrés magiques

Tout d’abord, rappelons qu’un carré magique est un quadrillage carré dont les cases contiennent des nombres. Mais ces nombres ne sont pas répartis au hasard : leurs sommes sur chaque colonne, chaque ligne, mais aussi chacune des deux diagonales, sont égales. Premier exemple :

Figure 1. Carré magique d’ordre 3.

Les nombres contenus dans un carré magique ne sont donc pas nécessairement tous différents, ni tous entiers, ni tous positifs, mais ces contraintes sont souvent rajoutées (en particulier, un carré magique d’ordre \(n\) qui contient tous les entiers consécutifs de \(1\) à \(n^2\) est appelé «normal»), ce qui permet de proposer des problèmes qui peuvent s’avérer complexes.

Second exemple :

Figure 2 : Carré magique d’ordre 5.

Lorsqu’on résout un carré magique, on travaille les relations arithmétiques (calculs de sommes, éventuellement les notions de divisibilité et de multiples), mais aussi dans certains cas les relations algébriques, combinatoires (il y a des permutations qui permettent de créer de «nouveaux» carrés magiques à partir d’un carré donné), ou encore géométriques (symétries, rotations, …), etc.

Bref, de quoi ravir, à des niveaux d’expertise très variés, de l’élève de CP au chercheur passionné !

Voici un aperçu d’activités qui peuvent être proposées en classe.

Des carrés magiques aux cycles 2 et 3

Au cycle 2

À l’école, les carrés magiques «d’ordre 3» (voire «d’ordre 4») sont un support ludique tout à fait adapté pour faire effectuer aux élèves des séries de calculs additifs… Il suffit en effet de donner un carré magique partiellement rempli (en veillant à ce qu’il soit possible de remplir directement tous les «trous») et de demander aux élèves de le «terminer». Par exemple (Figure  3) :

Figure 3. Carré magique d’ordre 3 à compléter (cycle 2)

 

Quelles procédures les élèves pourront-ils mettre en œuvre ?

  • Certains chercheront d’abord la valeur commune des sommes (ici, grâce à la première ligne), puis repéreront que, dans les deux diagonales comme dans la colonne du milieu, il ne manque qu’un nombre, qu’ils pourront donc trouver en calculant d’abord la somme des deux nombres connus, puis la différence entre la somme commune «du carré» et celle obtenue précédemment. Ils rempliront enfin les deux cases restantes par le même procédé.

  • D’autres vont procéder en «écrivant au hasard» une valeur dans une des deux cases vides de la deuxième ligne. Et c’est là que ça devient très intéressant… car ça ne marche pas ! (sauf, bien sûr, «s’ils ont de la chance» et mettant «3» ou «5» au bon endroit). Et le fait que ça ne marche pas illustre l’intérêt de chercher avec méthode, et non au hasard.

  • Ou encore des procédures du type «essais/erreurs», ou, mieux encore, «fausse position» (voir plus loin), etc.

Au cycle 3

En théorie, il suffit de donner trois valeurs d’un carré d’ordre 3 pour que les élèves puissent retrouver les six autres mais, sans plus de connaissances, il y aura une phase «essais/erreurs»… qui peut être très longue !

Reprenons l’exemple précédent, sans écrire le «4» de la case centrale (Figure 4).

Figure 4. Carré magique (cycle 3).

Une méthode «par tâtonnement» consiste à écrire n’importe quoi dans n’importe quelle case, et combler au fur à mesure les trous restants. Par exemple, si on met «1» à gauche de la deuxième ligne, on en déduit qu’il y a «8» dans la case juste au-dessous (pour que «la colonne fasse 12»), et donc «2» au centre (pour que «la diagonale fasse 12»)… et ça coince, car les trois autres valeurs qu’on trouve alors ne pourront jamais «assurer 12» à la fois verticalement, horizontalement, et en diagonale ! On peut alors continuer en essayant d’autres valeurs, dans une autre case de départ, mais sans ordre vraiment réfléchi, la recherche peut durer très longtemps, parfois même ne pas aboutir.

D’où l’intérêt de ce qu’on appelle les procédures par «essais/erreurs», dans lesquelles on utilise ce qu’on a fait, même si «ça n’a pas marché». Ici, il faut «effacer» le «1» initial, puisque de toute façon il ne pourra jamais «marcher», et le remplacer au même endroit par une autre valeur («2», par exemple), et recommencer. Et comme ça ne convient encore pas, on essaie avec «3» et, là, miracle, ça marche ! (Figure 1). Mais tant qu’on essaiera avec une autre valeur que «3» à gauche de la deuxième ligne, ça n’ira pas. À noter que cette méthode ne permet souvent de ne trouver qu’une seule solution, alors qu’il pourrait y en avoir plusieurs. Ce sera l’un des intérêts de l’algèbre que d’être sûr que la solution trouvée est unique, ou bien de pouvoir toutes les trouver si besoin !

Suivant l’emplacement (et surtout le nombre) des «trous», le problème est donc plus ou moins difficile à résoudre. Et il en est de même avec des carrés magiques plus grands. Cependant, à l’école élémentaire, il faudra vérifier qu’à tout moment il y aura au moins une ligne, une colonne ou une diagonale dans laquelle il ne manquera qu’un seul nombre. Sinon, le problème se ramènera à des essais-erreurs parfois extrêmement difficiles, et ce n’est pas le but à l’école.

Enfin une autre procédure peut émerger, une méthode par «fausse position», à condition de proposer aux élèves de chercher d’abord la valeur «centrale». Certains élèves tâtonnant comme précédemment pourront cependant, avant de «tout effacer», se dire : «Ah, mais ça donne tant en trop» (ou en «pas assez»), et déterminer de façon sûre, cette fois, la valeur de départ «obligatoire».

Prenons l’exemple d’un élève qui aurait essayé de «mettre 2 au milieu» (comme ils disent souvent, même si «milieu» n’est pas très correct ici). Il obtiendrait alors :

Figure 5. Essai avec « 2 » comme valeur centrale.

 

Mais la somme 8 + 3 + 7 vaut 18, et non 12, soit «6 de trop». Comme «c’est trop», une des premières réactions est de «réduire» 2 (en «1», par exemple), mais ça ne fait qu’empirer, car les valeurs «du bas» seraient encore plus grandes (ici, on obtiendrait 9, 4 et 8). C’est alors que certains élèves font le raisonnement suivant : «Quand on augmente la valeur du milieu, chacune des valeurs du bas diminue d’autant. Et inversement, quand on diminue la valeur du milieu, chacune des valeurs du bas augmente d’autant. Dans tous les cas, la somme des valeurs de la ligne du bas augmente (ou diminue) de trois fois ce qu’on a diminué (ou augmenté). Vu qu’on a trouvé «6 de trop», c’est-à-dire «trois fois 2 de trop», si on veut «trouver bon» il va falloir augmenter de 2 la valeur qu’on avait mise au milieu car alors chacune des valeurs du bas va diminuer de 2, et c’est ce qu’il faut.»

Bien sûr, les verbalisations seront très diverses, mais l’idée du tiers de la différence (ou du triple de ce qu’il faudrait changer) émerge assez souvent dans la tête de certains élèves (au moins ceux qui reconnaissent les triples facilement).

Des carrés magiques en cycle 4

Au collège, on pourra montrer l’intérêt de l’algèbre (pas toujours obligatoire, puisque certains élèves arrivent à s’en passer, mais c’est quand même vraiment pratique !). Car une fois qu’ils ont rempli cinq ou six carrés magiques par «essais/erreurs», puis qu’ils ont admis que le raisonnement par «fausse position» est plus rapide, quoique plus «compliqué» (il faut diviser par trois une différence…), les élèves admettront ensuite plus facilement qu’il y a encore plus rapide avec l’algèbre !

Avec des carrés magiques d’ordre 3

On peut repartir de la même activité (Figure 4), mais cette fois, l’enseignant propose aux élèves d’écrire « ?» au centre (au lieu de prendre une valeur «précise», mais a priori fausse), et amène ainsi certains élèves à dire, puis écrire dans les cases du bas 10, 5 et 9 sont obtenus mentalement en faisant 12-2, 12-7 et 12-3 :

Figure 6.

«La dernière ligne fait donc 24 avec trois “ ?” en moins. Et comme on veut 12…eh bien il faut que les trois “ ?” fassent 12 aussi, soit 4 chacun». Passer par « ?» avant «x» aide certains élèves, et en tout cas, les élèves résolvent leur première équation sans le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose.

Par ailleurs, de nombreux élèves (y compris à l’école élémentaire) s’aperçoivent que «la valeur du centre est toujours le tiers de la somme commune dans les carrés magiques d’ordre 3)». Et en cycle 4, ils peuvent le démontrer en utilisant des écritures algébriques (trois paramètres et une inconnue) :

Figure 7.

Ainsi, en appelant \(x\) la valeur «centrale» et \(a + b + c\) la somme «visée», la valeur à mettre dans la case du bas à gauche est nécessairement \(a + b + c
-c -x\)
(certains verront même directement qu’il faut mettre \(a + b -x\), «puisqu’on a déjà \(c\) en haut à droite, et qu’il manque donc seulement \(a\) et \(b\), mais qu’on a \(x\) en trop»). De même, le nombre du bas «au milieu» sera \(a + c – x\) et celui «à droite» sera \(b + c -x\). La somme ainsi obtenue sur la dernière ligne est alors \(2a + 2b + 2c – 3x\), qui doit valoir par définition \(a + b + c\), ce qui aboutit bien à \(a + b + c = 3x\), et finalement \(x\) vaut bien le tiers de la somme, soit \[x = \frac{a + b + c}{3}\cdotp\]

On pourra réserver cette démonstration à une activité d’approfondissement (ou de recherche).

Avec des carrés magiques d’ordre \({4}\)

On peut aussi utiliser des carrés magiques «d’ordre \(4\)», en connaissant les quatre valeurs de la première ligne, trois des valeurs de la seconde, plus une de la troisième. Par exemple :

Figure 8.

On calcule la somme commune : \(23\). On peut alors remplir directement deux cases (Figure 9), et encore les deux dernières de la deuxième colonne (Figure 10).

Figure 9.

 

Figure 10.

Mais les quatre cases restantes «résistent». On est ramené à la problématique du carré «\(3\) sur \(3\)» quand on ne connaît que la première ligne. Toutes les procédures vues alors s’appliquent (par tâtonnements… ce qui n’aboutit quasiment jamais ; par essais/erreurs ou fausse position, possibles, mais délicates à mettre en œuvre, car elles demandent ordre et concentration !) : on ne va donc pas les reprendre ici, mais simplement utiliser la méthode algébrique (utilisable peut-être, cette fois, par la plupart des élèves).

Appelons \(x\) le nombre à inscrire dans la 3 case de la diagonale. On obtient, en regardant successivement la troisième ligne, puis la troisième colonne, et enfin la diagonale :

Enfin, en regardant la dernière ligne, il faut donc que \(7 + 12 + 12 -x + 14
-x = 23\)
, et aussi (mais c’est équivalent, en fait), que \(5 + 16 + 10 -x + 14
-x = 23\)
(dernière colonne). On trouve \(22 = 2x\), soit \(x = 11\), et finalement le tableau complet. Petit clin d’œil : cette fois, on a un nombre négatif, \(-1\), dans notre carré magique.

Autres pistes possibles

On pourrait aussi :

  • faire étudier le cas des carrés «d’ordre \(2\)», et montrer que la seule possibilité est que tous les nombres soient égaux ;

  • faire remarquer que, pour les carrés magiques «d’ordre \(3\)», la somme des nombres écrits aux quatre «sommets» du carré est toujours égale aux \(\dfrac{\mathstrut4}{\mathstrut3}\) de la somme commune ;

  • et enfin, faire également remarquer que, pour les carrés magiques «d’ordre \(4\)», la somme des nombres écrits aux quatre «sommets» du carré est égale à la somme commune (donc aux \(\dfrac{\mathstrut4}{\mathstrut4}\) de celle-ci)… Et faire conjecturer une égalité du genre «somme des quatre sommets \(=f(\hbox{somme commune})\)» pour tous les carrés magiques «d’ordre \(n\)». Si une telle fonction existe, on a nécessairement \(f(x) =
    \dfrac{\mathstrut4x}{\mathstrut n}\)
    vu qu’il y a quatre sommets, et qu’il faut qu’elle soit valable a fortiori pour un carré magique «constant», c’est-à-dire où sur chaque ligne on a \(n\) fois le même nombre, ainsi qu’aux quatre sommets. Cette conjecture est fausse bien qu’elle «marche souvent», ce qui permet de réfléchir à la nécessité de la preuve, et cela amène à utiliser une fonction linéaire de coefficient \(\dfrac{\mathstrut4}{\mathstrut n}\) !

Bref, il y a ainsi de nombreuses conjectures à faire formuler aux élèves (sur la valeur «centrale» quand l’ordre est impair, le cas des carrés «symétriques», etc.), dont certaines sont vraies — et que l’on peut, pour les plus simples, faire démontrer aux élèves —, et d’autres fausses.

Les carrés magiques sont une source intarissable d’activités numériques et algébriques (voire géométriques), comme on vient de le voir pour les cycles 2 à 4, mais aussi pour le lycée et l’université (théorie des groupes, algèbre linéaire ou combinatoire, etc.). Ce qui pourrait donner matière à d’autres articles : avis aux amateurs !

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Jean Toromanoff est formateur à l’INSPÉ d’Orléans.

Pour citer cet article : Toromanoff J., « Carrés magiques aux cycles 2, 3 et 4 », in APMEP Au fil des maths. N° 536. 21 juin 2020, https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/carres-magiques-aux-cycles-2-3-et-4/.

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