Faire de la géométrie en grand

Convaincus que la géométrie devient plus facile en expérimentant, Thierry Dias et Jimmy Serment ont mis au point du matériel pédagogique facile à réaliser, permettant d’aborder des sujets de géométrie spatiale avec des élèves dès le cycle 3. N’hésitez pas à tester dans vos classes !

Thierry Dias & Jimmy Serment

© APMEP Mars 2020

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Pourquoi expérimenter ?

La géométrie est un terrain privilégié pour faire des expériences en mathématiques, il faut en profiter ! C’est un domaine qui doit en effet privilégier une approche expérimentale en proposant la manipulation d’objets concrets dans les activités des élèves qui peuvent ainsi construire un rapport sensible aux objets et aux relations de la géométrie. De plus, et comme nous avons eu l’occasion de l’écrire [1], ce sont ces expériences qui permettront in fine aux élèves d’accéder plus facilement à l’abstraction. La plupart des exercices scolaires de géométrie se font pourtant encore aujourd’hui dans l’environnement papier-crayon qui reste un espace médiatisé les privant de ce rapport sensible direct. Les élèves n’ont en effet que rarement l’occasion de construire, de manipuler et d’expérimenter dans un espace en trois dimensions. L’approche des pratiques géométriques qu’implique l’utilisation systématique d’un manuel, peut également laisser à penser aux élèves que les connaissances géométriques ne s’acquièrent que par la compilation de nombreux exercices. Cependant, nous savons que ces exercices sur papier, aussi bien préparés qu’ils soient, ne donnent à voir qu’une représentation des objets et les relations géométriques dont le degré d’abstraction est important. Nous pensons qu’il faut rendre la géométrie plus vivante, dans des activités où les élèves agissent, interagissent, se posent des questions et essaient de résoudre des problèmes proposés de manière plus autonome [2]. Ils font ainsi des allers-retours entre leurs connaissances spatiales construites empiriquement dans un registre sensible (en situation d’expérimentation), et les connaissances théoriques des objets en jeu [3].

Construire en grand

Certes les élèves font parfois des constructions géométriques en classe (par exemple avec du matériel type Polydron), cependant elles se pratiquent souvent individuellement et se déroulent dans le format réduit d’une feuille A4. La petite taille de ces constructions n’incite pas à la collaboration, aux échanges et interactions entre pairs. Comme nous l’avons précédemment écrit [4], nous pensons qu’il est nécessaire d’utiliser un espace plus grand (méso-espace), dans lequel les élèves n’ont pas la possibilité de tout observer en un seul regard [5].

Les élèves peuvent alors entrer dans les formes construites, tourner autour d’elles afin de renforcer leurs compétences de visualisation spatiale. Van Hiele propose à ce sujet cinq niveaux de pensée en géométrie dont le premier niveau est celui de l’identification-visualisation [6], il peut être développé dans un environnement matériel de grande taille. De façon complémentaire, nous pensons que les interactions langagières sont importantes, tout comme la coopération et le partage de connaissances pour répondre aux situations proposées [4]. En privilégiant le recours à un milieu matériel spécifique dédié à des constructions de grande taille du type baguettes et connecteurs comme nous le proposons, ceci permettra aux élèves de mieux identifier et comprendre les propriétés des objets géométriques en jeu [7].

Dodécaèdre.

Ce grand dodécaèdre construit avec des baguettes de 1 m change considérablement le point de vue que l’on peut avoir sur un tel objet et sur sa capacité à représenter le polyèdre correspondant. Il est possible d’entrer à l’intérieur, de tourner autour et même de la déplacer pour mieux en observer les propriétés.

Quelles activités ?

En appui sur notre avant propos, nous proposons des activités de construction, de manipulation et de réflexion à des élèves âgés de 10 à 12 ans. Nous avons ainsi élaboré cinq tâches s’appuyant essentiellement sur les propriétés des solides de Platon (polyèdres réguliers) afin de mettre en jeu les connaissances suivantes :

  • les propriétés de polygones particuliers : quadrilatères et triangles ;

  • le parallélisme et la perpendicularité (dans le plan et dans l’espace) ;

  • les propriétés de quelques solides (relations entre faces, arêtes et sommets).

Pour accompagner ces activités, nous proposons cinq fiches pédagogiques1 facilitant le travail de préparation des enseignants. Chaque fiche-guide (une par solide de Platon) présente :

  • une illustration du solide et quelques connaissances sur le polyèdre correspondant ;

  • la liste du matériel nécessaire à sa construction ;

  • les différentes étapes de l’activité ;

  • les objectifs (qui sont ceux du Plan d’Études Romand en Suisse) ;

  • les thèmes abordés ;

  • les consignes à donner ;

  • des réponses et explications pour la correction ;

  • un lien internet pour fabriquer le matériel.

Exemple de fiche pédagogique.

Le déroulement de chaque activité est le suivant :

  • construction collaborative du solide ;

  • réflexion sur les propriétés des objets géométriques notamment en rapport à la géométrique plane.

Les élèves construisent les solides avec des baguettes de 1 mètre de longueur (parfois de 50 centimètres) en les assemblant à l’aide de connecteurs en plastique (sommets). Ils doivent collaborer du fait de la taille des objets construits mais aussi utiliser un vocabulaire adéquat dans leurs échanges oraux afin de rendre leurs interactions signifiantes. Pour réussir certaines constructions comme le dodécaèdre géant (qui dépasse deux mètres) ou l’icosaèdre (qui comporte des connecteurs souples provoquant son instabilité jusqu’à la fin de la construction), de nombreux allers et retours entre connaissances spatiales, gestes, actes et connaissances géométriques sont nécessaires : les constructions ne vont pas de soi.

Le partage des connaissances est nécessaire pour faire avancer les constructions et pour répondre aux questions qui sont soulevées lors de la résolution des problèmes rencontrés.

Lorsque les constructions sont terminées, les élèves peuvent ensuite se déplacer à l’intérieur du solide, en faire le tour ou le déplacer pour varier leurs points de vue. Cela leur permettra de résoudre de nouveaux problèmes comme ceux qui consistent à utiliser certaines propriétés d’objets de la géométrie plane dans un repère en trois dimensions : trouver un triangle particulier ou un carré en reliant les sommets du polyèdre par exemple.

Comment transposer ses connaissances dans un environnement 3D ?

Dans les tâches que nous proposons, après l’étape de construction, les élèves sont sollicités pour répondre à des questions spécifiques. On leur demande par exemple de simuler le tracé de certains quadrilatères à l’intérieur des solides en utilisant de la laine pour relier les sommets du polyèdre. Le problème est alors un peu plus complexe et la situation s’appuie dès lors davantage sur la validation (vs action, formulation). Elle est néanmoins indispensable pour que les élèves expérimentent une représentation différente des objets (comme le segment, l’angle, le polygone, etc.) dans un registre différent convoqué dans un environnement en trois dimensions.

Laine tendue à l’intérieur d’un dodécaèdre pour représenter un cube.

Laine tendue à l’intérieur d’un tétraèdre pour représenter un octaèdre.

Les expériences consistant à utiliser un environnement de référence en 3 dimensions (le solide creux) pour représenter des objets familiers de la géométrie (segment, carré, triangle) et des relations connues comme le parallélisme ou la perpendicularité, est nouvelle pour les participants. C’est un changement de point de vue fondamental renforçant notamment la visualisation spatiale et la conceptualisation.

Conclusion

En proposant des situations didactiques ancrées sur la dimension expérimentale des mathématiques, on permet aux élèves de construire un rapport différent aux objets et relations géométriques. Ce sont les allers et retours entre expériences sensibles (par manipulation, déplacement, construction) et connaissances théoriques (propriétés des objets) qui permettent le passage du concret à l’abstraction nécessaire à la construction des connaissances mathématiques. Ce type de pratique des mathématiques est aussi l’occasion de mettre en évidence et de prendre appui sur l’esthétisme des objets géométriques comme les polyèdres qui peut in fine renforcer le sentiment de plaisir à faire des mathématiques [8]. L’aspect collaboratif des tâches est également un élément déterminant puisqu’il permet les interactions orales et le partage des connaissances dans des situations alternant entre action, formulation et validation [9].

Références

  • [1] Dias T. Manipuler et expérimenter en mathématiques. Paris, France : Magnard, 2017.

  • [2] P. Lockhart. La lamentation d’un mathématicien. Boitsfort, Belgique : L’arbre de Diane, 2017.

  • [3] R. Berthelot et M.-H Salin. « L’enseignement de la géométrie à l’école primaire ». In : Grand N n° 53 (1993), pp. 39-56.

  • [4] T. Dias et J. Serment. « Formation à la géométrie dans l’espace par la construction de polyèdres ». In : Actes du XXXXIIIe colloque COPIRELEM (2017). Le Puy en Velay.

  • [5] R. Berthelot et M.-H Salin. « L’enseignement de l’espace et de la géométrie dans la scolarité obligatoire. Thèse de Doctorat. » Université Sciences et Technologies Bordeaux I, 1992.

  • [6] A. Braconne-Michoux. « Les niveaux de pensée en géométrie de Van Hiele : de la théorie à l’épreuve de la classe ». In : Bulletin AMQ Vol. LIV.no 1 (2014).

  • [7] R. Duval et M. Godin. « Les changements de regard nécessaires sur les figures ». In : Grand N n° 76 (2005), pp. 7-27.

  • [8] T. Dias et J Serment. Une petite fable théâtrale sur la beauté des objets mathématiques et sur le plaisir de les apercevoir. Éducateur spécial, 2019.

  • [9] J. Serment. « Dispositif pour aborder la notion d’angle avec des élèves de 11-12 ans dans une classe d’enseignement spécialisé dans le canton de Vaud (Suisse) ». In : Actes du colloque EMF 2018 (2019).

Crédit photos : Lucien Agasse HEPL Suisse

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Jimmy Serment enseigne dans l’Établissement primaire de Pully-Paudex-Belmont en Suisse.


Thierry Dias est professeur au sein de la Haute École Pédagogique du canton de Vaud (UER Mathématiques et Sciences). Il travaille entre autres sur la place de la manipulation dans la construction des connaissances mathématiques.

Pour citer cet article : Dias T. et Serment J., « Faire de la géométrie en grand », in APMEP Au fil des maths. N° 535. 20 avril 2020, https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/faire-de-la-geometrie-en-grand/.


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