La quadrature du cercle et le disque de Poincaré

Cet article constitue une sorte de mise en bouche, une introduction à un article de la revue numérique qui nous parle de géométrie hyperbolique et de quadrature du cercle… Une petite douceur pour les amateurs de géométrie !

Pierre Osadtchy

© APMEP Septembre 2021

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De quoi s’agit-il ?

Opérer la quadrature d’un cercle consiste à construire à la règle et au compas un carré ayant exactement la même aire que celui-ci. On peut ramener ce problème au cas particulier où le rayon du cercle est \(1\), alors son aire est \(\pi\), et le côté du carré \(\sqrt{\pi}\).

En apparence, il s’agit d’un problème purement géométrique, mais en réalité, il fait appel à la notion de nombre constructible. Un nombre \(x\) est dit constructible si, en utilisant seulement une règle et un compas, il est possible de placer sur une droite donnée munie d’une origine notée \(\mathsf{O}\) et d’une unité (par exemple le centimètre) un point \(\mathsf{M}\) tel que la mesure algébrique de \(\mathsf{OM}\) soit égale à \(x\) unités. De façon pratique, la construction met en œuvre les techniques classiques de construction (médiatrices, bissectrices etc.), les théorèmes de Thalès et de Pythagore, ainsi que les propriétés des hauteurs d’un triangle rectangle, bien commodes pour obtenir les racines carrées.

Voici, par exemple et pour ne pas rester trop abstrait, la construction (en jaune) d’un segment de longueur \(\rho=\dfrac{\sqrt{6}}{6}\cdotp\)

La construction de \(\dfrac{\sqrt{6}}{6}\) à la règle et au compas.

Nous avons \(\mathsf{ST}=\mathsf{WT}=1\) donc \(\mathsf{SW}=\sqrt{2}\) (Pythagore) puis, toujours avec Pythagore et en traçant le cercle \(\mathscr{C}\) de centre \(\mathsf{S}\) et de rayon \(\mathsf{SW}\), \(\mathsf{OZ}=\sqrt{6}\), enfin à l’aide du théorème de Thalès, on partage \([\mathsf{OT}]\) puis \([\mathsf{OZ}]\) en \({6}\).

On démontre que l’ensemble \(\mathscr{P}\) des nombres constructibles est un sous-corps de l’ensemble des nombres réels stable par racine carrée. Le mathématicien Wantzel a prouvé en 1837 que tout élément de l’ensemble \(\mathscr{P}\) des nombres constructibles est algébrique. On notera néanmoins que, si les nombres constructibles sont algébriques, la réciproque est fausse, il existe des nombres algébriques non constructibles.

Les plus prestigieux des mathématiciens ont buté sur cette question durant vingt-quatre siècles, avant que l’un d’entre eux, un allemand nommé Lindemann, ne prouve en 1882 que cette construction est impossible. À quoi tient sa démonstration? À ce que le nombre \(\pi\) est transcendant. Comme les nombres transcendants forment avec les nombres algébriques une partition du corps des réels, il en résulte que \(\pi\) n’est pas constructible, et par voie de conséquence, \(\sqrt{π}\) non plus. La quadrature du cercle passe à la postérité sous la forme d’une expression populaire qui signifie « s’attaquer à un problème qui n’a pas de solution ».

Cependant, au XIXe siècle, les travaux de trois mathématiciens, Lobatchevski, Bolyai et Gauss, introduisent de nouvelles géométries à partir des quatre premiers axiomes d’Euclide et de la négation du cinquième, celui des parallèles. L’une d’entre elle constitue la géométrie hyperbolique. Dans celle-ci, par un point donné passent deux parallèles à une droite donnée. Et Bolyai « remarque », à la fin d’un de ses travaux que, dans le cadre de la géométrie hyperbolique, la quadrature de certains cercles est possible.

Le disque de Poincaré

Le disque de Poincaré est un modèle de la géométrie hyperbolique plane. Il s’agit d’un disque de rayon 1, représentant tout ce plan.

En bleu, deux droites parallèles à la droite dessinée en rouge, en noir une perpendiculaire. Le lecteur remarquera que la perpendiculaire à la droite rouge ne l’est pas à ses parallèles !

Les droites hyperboliques sont, soit des arcs de cercles contenus dans le disque et orthogonaux à son bord, soit des diamètres. Leurs extrémités, situées sur le bord, en sont les « points à l’infini ».

Les cercles hyperboliques ont la forme de cercles euclidiens (ce n’est pas le cas dans tous les modèles), avec un centre décalé vers le bord. On y définit le carré hyperbolique : il a bien quatre côtés égaux, des diagonales perpendiculaires, quatre angles égaux mais de mesure strictement inférieure à un droit. Les résultats de géométrie euclidienne qui sont indépendants de l’axiome des parallèles restent vrais, par exemple les cas d’égalité des triangles. En revanche, ceux qui lui sont liés ne « fonctionnent pas », en particulier les théorèmes de Thalès et de Pythagore. L’un des intérêts du disque de Poincaré est de rendre tangibles beaucoup de résultats de la surprenante géométrie hyperbolique, et donc de se prêter à une démarche pédagogique. Une fois le « cadre » du disque de Poincaré posé, les calculs nécessaires à la quadrature de cercles hyperboliques font simplement appel à la trigonométrie circulaire et hyperbolique.

Dans ce cadre, c’est l’objet de l’article que je propose sur la revue numérique . Une preuve du résultat signalé par Bolyai devient relativement accessible.

En rouge, un cercle hyperbolique constructible d’aire \(\frac{4\pi}{5}\) ; en bleu, le carré hyperbolique constructible de même aire.

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Pierre Osadtchy a enseigné les mathématiques au collège, au lycée et au sein du département génie électrique et informatique industrielle de l’IUT de Nantes. Il s’est intéressé au disque de Poincaré à titre personnel

Pour citer cet article : Osadtchy P., « La quadrature du cercle et le disque de Poincaré », in APMEP Au fil des maths. N° 541. 13 décembre 2021, https://afdm.apmep.fr/rubriques/ouvertures/la-quadrature-du-cercle-et-le-disque-de-poincare/.

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